Compte rendu analytique officiel du 8 juillet 2009 : première séance

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.

Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, bien que ses trois premières moutures se soient soldées par un échec, grâce à la mobilisation de l’opposition et de l’opinion publique ainsi qu’au cafouillage de la majorité, vous vous obstinez à présenter, une fois encore, cette proposition de loi, en la justifiant par son aspect restrictif et la crise économique.

Or, ne nous y trompons pas : en permettant de rendre permanentes et collectives les dérogations au repos dominical sur un territoire donné, vous engagez franchement la France dans la généralisation du principe du travail du dimanche. En franchissant ce pas, vous condamnez le repos dominical. Pourquoi revenir sur la réglementation existante ?

La législation européenne considère que le dimanche est le jour de repos hebdomadaire des enfants et des adolescents, ce qui n’est pas conciliable avec le travail des parents. Réunir, un jour par semaine, les parents et les enfants est l’aboutissement d’une vie familiale équilibrée, reflétant une société équilibrée.

Si l’on compare la situation de la France à celle de nos voisins européens, on constate que nous nous situons au-delà de la norme. La réglementation en vigueur offre en effet de nombreux assouplissements, qui permettent d’ouvrir à titre exceptionnel les commerces le dimanche dans des périodes très particulières, telles que les soldes ou les fêtes de fin d’année. Face à un tel constat, on ne peut que s’interroger sur les véritables raisons qui motivent votre acharnement à vouloir adopter ce texte.

Vous avez ainsi choisi l’été, le mois de juillet, durant lequel la mobilisation sociale est par définition restreinte, pour présenter un texte dont les Français ne veulent pas. J’en veux pour preuve la quantité de courriels et de lettres que nos concitoyens nous envoient depuis plusieurs semaines pour nous faire part de leur refus catégorique de voir un tel texte adopté.

Au-delà de notre opposition au travail dominical, nous combattons la conception de la société qui est la vôtre. Selon nous, le dimanche doit rester un jour de repos consacré à la famille, à la vie sportive, culturelle, associative et militante, mais aussi, tout simplement, au repos.

Pour nos concitoyens, l’ouverture des commerces le dimanche ne répond pas à une demande latente et répétée. En effet, quel est l’intérêt d’ouvrir les commerces un jour supplémentaire lorsque le pouvoir d’achat est en chute libre et que, même en temps normal, on ne peut pas faire ses courses ?

L’argument mis en avant par votre majorité, selon lequel l’ouverture des magasins le dimanche favoriserait la relance de la croissance, est tout simplement infondé. Ou alors, si l’on sui
t votre logique, il faut aller plus loin encore et ouvrir les commerces vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la nuit, le jour, les jours fériés, du 1er janvier jusqu’au 31 décembre.

M. Jean Mallot. Et voilà !

Mme Frédérique Massat. De la même façon, justifier l’ouverture le dimanche par le succès du commerce en ligne, au prétexte que les achats à distance peuvent se faire également le dimanche, est une supercherie. En effet, le commerce à distance, qui se fait à domicile n’importe quel jour de la semaine et à n’importe quelle heure, ne sera en rien concurrencé par l’ouverture des commerces le dimanche.

Par ailleurs, l’apologie de la consommation n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas élever l’homme que de le ravaler au rang de simple consommateur. Les activités habituellement pratiquées le dimanche sont, me semble-t-il, plus intéressantes et épanouissantes que de pousser un caddie dans un supermarché. Pensez-vous qu’il est plus bénéfique pour un enfant de passer son dimanche dans une galerie marchande que de se promener à la campagne, de visiter un musée ou, tout simplement, de discuter en famille ?

En outre, en banalisant le travail dominical, on fragilise toute une économie et des pratiques. Le dimanche est en effet le temps fort de la vie associative. Les fameuses rencontres entre sportifs amateurs tendront à disparaître si la moitié de l’équipe est contrainte de travailler le dimanche. Il en va de même pour les pratiques culturelles : d’un côté, vous dites vouloir favoriser leur démocratisation, mais, de l’autre, vous incitez les Français et les touristes à se rendre dans les boutiques plutôt que dans les musées. Quel paradoxe !

Pour les salariés concernés, ce texte représente un danger. Tout d’abord, il ne garantit pas le doublement de la rémunération des salariés qui travaillent déjà le septième jour de la semaine, créant ainsi deux catégories de salariés : ceux qui sont nouvellement concernés, et qui seront payés double, et ceux qui travaillaient déjà le dimanche, et qui seront payés normalement. Cette injustice est inadmissible !

De plus, une enquête menée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail démontre que la probabilité de maladies et d’absentéisme dans les entreprises travaillant le samedi et le dimanche est 1,3 fois plus élevée que dans les autres entreprises,

Je voudrais également revenir sur les conséquences d’une telle mesure pour la vie familiale de milliers de Français. Même si le travail dominical repose sur la notion de volontariat, il ne faut pas être dupe sur ce que cela signifie. Dans la pratique, la relation de subordination qui caractérise le lien entre l’employeur et son salarié empêchera toujours celui-ci d’être pleinement libre de refuser de travailler le dimanche. La menace n’a pas besoin d’être formulée pour être présente. Et en ces périodes de chiffres records du chômage, les salariés n’ont pas le choix et ils sont davantage enclins à accepter des situations qu’ils auraient, en temps normal, refusées.

M. Frédéric Cuvillier. C’est du chantage à l’emploi !

Mme Frédérique Massat. La vie familiale des personnes concernées s’en trouve chamboulée. En dépit des problématiques de garde d’enfants inhérentes au fait de travailler le dimanche, c’est tout un équilibre de vie qui s’effondre. Le dimanche, jour du repos collectif, permet actuellement aux individus de se retrouver et de passer du temps ensemble. C’est justement parce que la très grande majorité de nos concitoyens bénéficient d’un jour de repos en commun qu’il est fondamental pour nous de le sauvegarder. D’ailleurs, selon un récent sondage Ipsos – pour changer un peu des sondages OpinionWay, auxquels vous faites référence dans votre rapport – 84 % d’entre eux souhaitent que le dimanche reste le jour de repos commun.

Pour conclure, j’ai beau m’interroger, je ne vois pas quel intérêt il y aurait à voter un tel texte dont les avantages économiques sont si faibles comparés aux lourdes conséquences qu’il aura sur la vie des citoyens – à moins qu’il ne s’agisse que de légaliser des pratiques illégales en autorisant l’ouverture le dimanche d’établissements situés dans une zone commerciale où il existe déjà un usage constaté et pour concrétiser les promesses de campagne électorale du Président de la République.

Ce qui est sûr, c’est que ce texte va permettre des dérives futures visant, à terme, à rendre le travail du dimanche obligatoire pour tous les salariés d’établissements commerciaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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