M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.
M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’évidence, le statut particulier du dimanche est un élément structurant de la vie dans notre société. Le fait, incontestable, qu’il s’agisse d’un héritage religieux et historique particulier n’enlève rien à la portée concrète de cette réalité sociale contemporaine.
Certes, aux yeux des progressistes que sont les radicaux de gauche, rien ne saurait être immuable de principe. Toutefois, dans la mesure où nous débattons ici d’un élément structurant de la société, donc de l’économie – et que nous en débattons dans cet ordre –, il est important de nous inviter, de vous inviter tout spécialement, chers collègues de la majorité, à la plus grande prudence.
Devant l’importance de ce dossier, une première question s’impose : que peut-on, et ne peut-on pas, accepter ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne question, en effet !
M. Gérard Charasse. C’est même une excellente question et nous verrons bien la réponse que vous y apporterez !
Si la généralisation du travail du dimanche, assortie de garanties effectives en matière de protection des droits des salariés, était l’une des composantes d’un ensemble de mesures cohérentes, notamment en faveur du pouvoir d’achat ou de l’organisation et du renforcement des services publics, alors oui, les radicaux de gauche pourraient éventuellement s’y retrouver. En revanche, s’il s’agit de supprimer le temps social, fondamental et structurant, du dimanche, et de le faire sans garanties effectives ni contrepartie réelle, la réponse des radicaux sera toujours non.
Une seconde question se révèle dès lors nécessaire : que nous propose le texte présenté aujourd’hui ?
Il met en place deux régimes distincts. D’une part, il consacre la liberté d’ouvrir le dimanche dans l’ensemble des communes touristiques et thermales, et ce pour tous les commerces, et non plus seulement pour ceux qui sont directement concernés par les activités de tourisme, condition actuellement posée pour permettre la dérogation au repos dominical. D’autre part, il introduit la notion de « périmètre d’usage de consommation exceptionnel », ou PUCE : le choix de cet acronyme, monsieur le ministre, sous-entendrait-il qu’il ne s’agi
rait que de petites entités ne représentant finalement que peu de chose à l’échelle nationale ?
M. Marcel Rogemont. Bien gênantes quand même comme toutes les puces ! (Sourires.)
M. Gérard Charasse. Elles seraient gênantes, effectivement et nous attendons, sur le sujet, la réponse à cette seconde question.
Dans le cas précis des PUCE, il s’agit, en effet, de la possibilité pour le préfet, sur demande préalable du conseil municipal, de délimiter des zones où le travail dominical est possible, mais exclusivement sur la base de l’accord écrit de chaque salarié concerné. Le texte prévoit, en outre, des garanties de repos compensateur et des contreparties de rémunérations qui sembleraient, de prime abord, très intéressantes.
Oui, chers collègues, ces dispositions sont bien présentes dans le texte ! Les radicaux de gauche sont opposés à la politique imposée depuis deux ans à notre pays par la majorité présidentielle, mais leur opposition est toujours réfléchie. C’est pourquoi le groupe radical du conseil municipal de Vichy a fait adopter à l’unanimité du conseil, dont la majorité est UMP, un vœu visant à pérenniser le statu quo, car on peut légitimement craindre que le prétendu « volontariat », prévu par le texte dans le cas des PUCE, ne se transforme dans les faits en travail forcé.
L’interdiction, faite aux employeurs par le texte, de refuser d’embaucher les candidats qui ne seraient pas volontaires pour travailler le dimanche, sera impossible à appliquer concrètement, puisque les choix d’embauche, vous le savez, sont arbitraires. Ils ne font l’objet d’aucune obligation de motivation. Comment voulez-vous qu’un débouté puisse prouver que c’est bien en raison de son refus de travailler le dimanche que l’employeur a refusé de l’embaucher ?
La protection contre la discrimination ainsi affichée par le texte risque tout simplement d’être inique. Dès lors ce volontariat, qui n’en porterait plus que le nom, nous semble malheureusement constituer une simple vue de l’esprit, pour ne pas dire un acquit de conscience.
On peut, de même, s’interroger sur la réalité des contreparties proposées : de votre propre aveu, monsieur le rapporteur, il est hors de question que les personnes travaillant actuellement le dimanche bénéficient des nouvelles contreparties prévues par la proposition de loi, lesquelles, en tout état de cause, ne s’appliqueront pas dans les communes touristiques et thermales !
M. Richard Mallié, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !
M. Gérard Charasse. C’est une rupture d’égalité fondamentale. Même si, dans ces communes, des négociations étaient éventuellement imposées par le texte, comme vous l’avez suggéré, cela ne constituerait en rien une garantie réelle, notamment lorsque l’absence d’accord conduit à une décision unilatérale de l’employeur, fût-elle avalisée par la suite par un référendum d’entreprise.
En ces temps de crise et de licenciements, ce sont les salariés qui sont systématiquement en situation de faiblesse dans de pareilles négociations. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Cette maxime, formulée à son époque par Lacordaire, reste plus que jamais d’actualité.
Tel est le problème fondamental du texte : les garanties n’étant pas effectives, la grande majorité des employés risquent de se voir imposer le travail du dimanche sans contreparties financières ni repos compensateur ; cela a déjà été dit, mais il faut le répéter.
Il suffira pour une commune de se déclarer « touristique », après une simple demande adressée par le maire au préfet sur la base de critères relativement souples, nous l’avons vu, pour que les salariés échappent complètement aux garanties législatives.
Les députés du groupe SRC défendront et soutiendront de nombreux amendements de nature à améliorer objectivement le dispositif proposé et les garanties qui l’accompagnent. J’espère que notre assemblée en adoptera l’essentiel.
Dans le fond, nous en revenons implacablement au principe humaniste, fondement de toute l’action des radicaux de gauche : l’économie doit être au service de l’homme, jamais l’inverse !
À nos yeux, cette proposition de loi constitue une nouvelle preuve que la majorité présidentielle ne partage pas le principe humaniste. C’est pourquoi nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur de nomberux bancs du groupe SRC.)