Jean-Pierre Brard expose qu’il défend le repos dominical par conviction, au nom même de la laïcité de 1905, et revient sur deux points importants : la légalisation de l’illégalité que représente le texte Mallié, ainsi que les difficultés qu’il va faire naître pour les plus faibles. |
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, chacun aura été sensible à la qualité de la démonstration de Martine Billard. Hélas, on a beau être excellente pédagogue, que faire face à des autistes ? On a bien compris, ce matin, que la majorité s’était pris les pieds dans le tapis, et que cela explique tous les délais qui ont retardé ce débat.
Comme souvent, le plus intéressant est l’attitude de Pierre Méhaignerie, qui est toujours la bonne ou la mauvaise conscience de la droite – selon qu’on l’observe d’un côté ou de l’autre. Nous avons perçu son embarras, lorsqu’il a expliqué qu’il n’y aurait sûrement pas beaucoup d’extensions. En fait, il n’est sûr de rien, parce qu’il sait bien que, quand on commence à tirer sur un bout de laine, on finit par tout détricoter. Pierre Méhaignerie nous dit qu’il faut prendre en compte la réalité. Mais, mes chers collègues, depuis quand est-il recommandé de faire la politique du chien crevé au fil de l’eau ? Il faut avoir des convictions et les défendre. Et c’est par conviction que nous nous opposons au travail du dimanche. Il est bien connu que, chez les jeunes, aujourd’hui, dans les réunions conviviales, on boit de plus en plus d’alcool. À vous entendre, il faudrait prendre en compte la réalité et laisser faire. Ils se droguent davantage ? Là aussi, il faut prendre en compte la réalité et laisser faire !
Tel n’est pas notre point de vue. Nous, nous avons des convictions. Les salariés ont conquis des droits tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier. Ces droits, il faut les défendre. Vous avancez à pas de loup, parce que vous voulez, vous, les détruire. Pour cela, tout est bon : ainsi, vous inventez la notion de commune d’affluence touristique. J’aimerais que notre collègue Éric Raoult nous dise si, grâce à sa magnifique église construite par Perret, Le Raincy peut être considéré comme une commune d’affluence touristique.
M. Éric Raoult. Il y a une synagogue, aussi !
M. Jean-Pierre Brard. Permettra-t-il que, en raison de la présence de cette église, les commerces soient ouverts en dehors des horaires actuellement pratiqués ?
M. Patrick Ollier. C’est absurde ! C’est scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. Imaginons que, demain, un maire de gauche soit élu au Raincy. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le Gouvernement prétend que l’on pourra revenir en arrière, mais vous sa
vez bien que ce n’est pas vrai. Une fois que les acquis sont détruits, il est extrêmement difficile de revenir en arrière.
En réalité, vous légalisez l’illégalité. Comme notre collègue l’a dit, vous donnez une prime aux délinquants et aux voyous, par exemple aux patrons de Virgin. Vous menez ce que l’on appelait autrefois une politique de classe. Quand, pour se faire entendre, des salariés humiliés sont obligés de séquestrer légitimement, sinon légalement, leur patron, c’est illégal – le Premier ministre l’a rappelé. Mais quand un patron oblige les salariés à travailler en dehors des horaires légaux, y compris la nuit, c’est légal, puisque cela répond au besoin de rentabilisation du capital. Dès lors qu’il s’agit de remplir certaines poches, vous êtes prêts à vous agenouiller devant le Veau d’or. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Quant à moi, je crois à la vie en famille.
M. Bernard Deflesselles. Et à la messe le dimanche !
M. Jean-Pierre Brard. J’entendais tout à l’heure une collègue invoquer l’argument du libre choix.
M. Pascal Clément. À l’église ?
M. Jean-Pierre Brard. Je ne suis pas clérical, comme certains de vos amis, monsieur Clément ! Héritiers de Jaurès, nous sommes des laïcs ! Or, la laïcité de la loi de 1905, c’est avant tout la liberté de conscience – y compris la liberté d’aller à la messe le dimanche, en famille, pour ceux qui ont la foi ! Las, vous détruisez jusqu’à cette liberté, parce que vous ne croyez à rien sinon à l’argent ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Je suis d’ailleurs convaincu que c’est là l’une des raisons qui expliquent les hésitations de M. Méhaignerie : au fond de sa conscience, appuyée sur la foi, il sait bien qu’il est en train de commettre une mauvaise action, et se demande s’il s’agit d’un péché véniel ou d’un péché mortel ! (Rires sur divers bancs.) Oui, cher collègue, vous allez devoir vous confesser pour avoir prêté votre main à cet acte – sans regarder où vous la posez : dans celle de M. Mallié, en un pacte diabolique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
Au fond, que voulez-vous ? Vous voulez supprimer les citoyens et ne conserver que des salariés, taillables et corvéables à merci, disponibles selon les besoins des employeurs !
M. Jean-Patrick Gille. C’est Germinal !
M. Jean-Pierre Brard. Songez au Président de la République – parfois proche de tenir des propos ridicules – qui a dû téléphoner à des commerçants pour que Michelle Obama puisse faire ses courses ; n’aurait-on pas pu imaginer – même s’il est difficile de se le représenter dans une telle posture – qu’il propose à Mme Obama et à ses enfants une visite culturelle ? Imaginons donc le Président de la République devant la Victoire de Samothrace, ou contemplant cette belle Italienne qu’on appelait la Joconde. (Rires sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Jean Bardet. N’y a-t-il pas aussi des salariés au Louvre ?
M. Jean-Pierre Brard. Voilà qui aurait non seulement permis à Michelle Obama de connaître le patrimoine culturel de la France, mais aussi au Président de la République lui-même de se cultiver, plutôt que d’ouvrir Plan-de-Campagne sans limites !(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Jean-Marc Roubaud. C’est scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. Scandaleux ? Est-il plus scandaleux d’avoir Johnny Hallyday et Doc Gynéco pour références, ou Marguerite Yourcenar ?
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est vous qui êtes scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. Nos valeurs ne sont pas cotées à la Bourse, mais au Panthéon et à l’Académie française ; nous ne fréquentons pas les mêmes lieux ! Vos amis sont banquiers : vous faites pression sur les salariés tandis que M. Milhaud, ancien président des caisses d’épargne, M. Bouton, ancien président de la Société générale, ou M. Forgeard, d’EADS, qui ont chacun ruiné leurs établissements, sont libres ! Pour eux, vous n’êtes jamais trop bons ! Et pendant ce temps, vous pressurez les salariés.
J’en reviens – et j’en finirai ainsi – à notre chère collègue qui, tout à l’heure, indiquait que le choix serait « libre ». Imaginez cette femme seule, avec ses trois enfants, obligée de travailler le dimanche matin : est-ce cela la liberté, lorsque vous n’êtes que trois ou quatre dans un magasin ?
M. Jean-Marc Roubaud. On peut refuser !
M. Jean-Pierre Brard. Que signifie tout cela ? Cette liberté-là est celle de la poule face au renard ! M. Darcos est le renard ; M. Mallié le loup – il a le poil plus revêche ! (Rires.) Vous, monsieur Darcos, êtes plus patelin, mais le résultat sera le même pour cette femme et ses trois enfants, qu’elle sera contrainte de laisser parce que le salaire qui lui est servi ne lui permettra pas de payer leur garde.
M. Jean-Marc Roubaud. C’est faux !
M. Jean-Pierre Brard. Dans ces conditions, les enfants feront des sottises ! Heureusement, vous avez déjà la parade : votre loi sur les bandes organisées. Ainsi, pendant que vous déroulez le tapis rouge pour les tenants des grandes surfaces, vous envoyez la répression sur ces pauvres gamins abandonnés parce que vous contraignez leurs parents à travailler aux moments où ils devraient vivre en famille ! Je ne suis pas nostalgique, mais j’estime qu’il faut conserver le repas dominical, de même que les sorties dominicales. (« La poule au pot ! » sur les bancs du groupe UMP.) Passer le dimanche dans les grandes surfaces ne constitue pas une sortie culturelle ! Ayez le courage, monsieur Mallié, de le dire à vos électeurs et à ceux dont vous êtes le fondé de pouvoir dans cette Assemblée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)