Une intervention intéressante, dans laquelle M. Reynes tente de se sortir de quelques contradictions. C’est assez difficile. Ainsi, tout en reconnaissant que l’ouverture dominicale cannibaliserait le commerce de détail, il lui est bien difficile de prouver que l’ouverture du dimanche consécutive au texte Mallié n’aura pas d’effet de cannibalisme. Inquiétude partagée récémment par François Baroin, et ses 3 millions de « touristes » des magasins d’usine de Troyes. Plus loin, il explique que le concept de ZACE portait en germe la généralisation du travail dominical, mais que ce n’est pas du tout le cas des PUCE. Il lui est toutefois bien difficile d’expliquer les différences de nature entre ces deux concepts ! |
Présidence de Mme Catherine Vautrin, vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Le secteur du commerce relevant de ses attributions, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire a souhaité se saisir pour avis de la présente proposition de loi, qui réaffirme le principe du repos dominical et adapte les dérogations à ce principe.
Cette proposition reprend une partie des dispositions d’une précédente proposition de loi, n° 1254, qui avait fait l’objet d’un rapport initial et d’un rapport supplémentaire de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales en décembre 2008, ainsi que d’un avis de la commission des affaires économiques, confié à Mme Catherine Vautrin.
L’objectif ici poursuivi n’est nullement, comme on l’a trop souvent prétendu, d’ouvrir les vannes au travail dominical dans tous les commerces et tous les services, en tous points du territoire. Votre rapporteur ne soutiendrait pas une telle proposition, qu’il juge inutile et dangereuse.
En effet, ce scénario emporterait ce que l’on peut appeler des « effets de cannibalisme », c’est-à-dire le grignotage du chiffre d’affaires des commerces qui ne veulent ou ne peuvent ouvrir le dimanche,…
M. Jean-Pierre Brard. C’est bien vu !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …ainsi que de ceux, notamment dans le secteur du commerce de détail alimentaire, qui bénéficient déjà du droit d’ouvrir le dimanche.
Une libéralisation sans limite de l’ouverture dominicale des commerces aurait un effet proprement dévastateur sur le petit commerce de proximité,…
M. Jean-Pierre Brard. C’est pourtant ce que vous faites !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …qui est une richesse irremplaçable de notre patrimoine urbain, social et culturel.
En outre, l’élargissement de l’ouverture dominicale des commerces, reposant sur une vision individualiste et consumériste de la société, compromettrait les équilibres familiaux des salariés contraints de travailler le dimanche, et réduirait encore le champ des espaces et des moments susceptibles de donner lieu à des activités liées au « vivre ensemble », notamment des activités associatives, bref contribuerait à la disparition de ce « point de repère symbolique » dont parle le Conseil
économique et social dans son rapport sur Les Mutations de la société et les activités dominicales.
Pourquoi me suis-je rallié à la présente proposition de loi ? C’est d’abord parce qu’elle permet de stabiliser l’existant.
La première proposition de loi, déposée en mai 2008, introduisait une brèche dans le principe du repos dominical en instituant des zones d’attractivité commerciale exceptionnelle expérimentales – les ZACE –, dans lesquelles le travail le dimanche aurait été possible. Ces zones avaient vocation à être généralisées. Dans sa version initiale, la seconde proposition ne me paraissait pas plus acceptable car la même notion la sous-tendait. La substitution des périmètres d’usage de consommation exceptionnel – les PUCE – aux ZACE a rendu le texte non seulement acceptable, mais aussi nécessaire et utile, puisqu’il n’y a pas de généralisation, mais un constat de l’existant.
M. Jean-Pierre Brard. Des illégalités !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. La présente proposition de loi permet ainsi d’éviter la rupture brutale d’équilibres de consommation solidement ancrés, mais aussi d’équilibres sociaux non moins solidement ancrés, défendus par les salariés concernés eux-mêmes et dont la mise en cause pourrait avoir des conséquences graves, surtout en cette période de crise.
Si je me suis rallié à cette proposition, c’est aussi parce qu’elle permet, dans le respect des équilibres actuels, de simplifier des situations trop complexes, en particulier en zone touristique.
En effet, le régime d’autorisation actuel repose sur un critère lié à la nature des biens vendus. Ce critère est à l’origine d’un abondant contentieux. On a cité l’exemple des boutiques de lunettes de soleil, qui peuvent ouvrir le dimanche, et des boutiques de lunettes de vue, qui ne le peuvent pas, mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, ces situations absurdes étant nombreuses.
Le passage à un régime simplifié d’autorisations de plein droit me paraît donc une bonne chose. À cet égard, j’aimerais apporter deux précisions.
La première, c’est qu’il ne suffit pas d’être une commune touristique pour pouvoir bénéficier de ce régime de dérogations ; il faut dissiper la confusion qui règne sur cette notion. Il existe deux régimes distincts : l’un applicable aux « communes touristiques et stations classées de tourisme », qui relève du code de tourisme ; l’autre applicable aux « communes touristiques ou thermales et aux zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente », qui relève du code du travail.
M. Christian Eckert. Qu’est-ce que cela change ?
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. Seul le classement sur le fondement du code du travail, qui repose sur des critères précis figurant à l’article L. 3132-20, ouvre droit au régime dérogatoire en matière d’ouverture dominicale des commerces. Ces critères ne sont pas modifiés par le projet de loi ; aujourd’hui, 494 communes et 29 zones en bénéficient et personne n’a l’intention d’ouvrir les vannes ; le Gouvernement vous le confirmera.
En outre, les grandes surfaces incluses dans le périmètre de ces communes et zones touristiques relevant du régime propre au commerce de détail alimentaire ne pourront ouvrir que jusqu’à 13 heures le dimanche matin.
M. Frédéric Cuvillier. Et les autres ?
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. Enfin, je souscris à cette proposition de loi parce qu’elle pose comme principe fondamental le volontariat des salariés dans les PUCE,…
M. Frédéric Cuvillier. C’est faux !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …principe que je vous proposerai, au nom de la commission des affaires économiques ainsi que d’un certain nombre de collègues, de renforcer.
Notre commission a réalisé un travail constructif puisque trois de ses amendements ont été adoptés par la commission des affaires sociales, dont deux étaient portés au départ par nos collègues socialistes, ce qui témoigne de l’esprit de dialogue et de consensus…
M. Jean-Pierre Brard. Et d’ouverture, comme les huîtres ! (Rires sur les bancs du groupe GDR.)
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …qui a été le nôtre. Outre un amendement rédactionnel, notre commission est ainsi à l’origine de deux dispositions. Lorsque la majorité des établissements intéressés le demande, le préfet devra retirer les arrêtés d’extension d’ouverture dominicale des commerces pris sur le fondement de l’article L. 3132-20 du code du travail, alors qu’il s’agit pour l’heure d’une simple faculté. Par ailleurs, le refus d’une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constituera pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi.
Nous vous présenterons en outre deux amendements.
Le premier, qui constitue une version légèrement rectifiée d’un amendement que nous avions adopté en commission, prévoit que, dans le cadre de la procédure d’établissement par le préfet de la liste des communes touristiques ou thermales et des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente dans lesquelles il peut être dérogé au repos dominical, sera consulté le comité départemental du tourisme,…
M. Christian Eckert. Quelle révolution !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …au sein duquel sont représentés les organismes consulaires, les syndicats, ainsi que les EPCI concernés, afin d’établir un parallèle avec la procédure d’octroi des autorisations sollicitées par les commerces situés dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnels. Cet amendement vous sera présenté par mon collègue Jean Gaubert et moi-même.
Le second vise à réaffirmer le principe du volontariat.
La présente proposition de loi consacre un droit au refus, qui comporte plusieurs éléments. Le refus de travailler le dimanche par un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement. De même, une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler le dimanche pour rejeter sa candidature. Enfin, le salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une autorisation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire.
En outre, le texte précisait, avant les délibérations de la commissi
on des affaires sociales, que seuls les salariés ayant donné explicitement leur accord peuvent travailler le dimanche. On comprend l’intérêt de cette précision, qui permet d’obtenir un consentement clair, transparent et incontestable du salarié au travail dominical.
M. Frédéric Cuvillier. Arrêtez !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. C’est une garantie pour lui,…
M. Jean-Pierre Brard. C’est hypocrite !
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …mais aussi pour l’employeur, qui est ainsi mieux à même de gérer son personnel et d’organiser ses équipes en disposant d’une plus grande visibilité sur leur disponibilité.
Cependant, la question qui se pose est celle de la réversibilité de cet engagement, qui doit s’exercer sans trahir la confiance d’un employeur qui a pu embaucher un salarié précisément pour étoffer ses équipes le dimanche,…
M. Régis Juanico. Du volontariat, ça ?
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. …mais aussi sans contrainte excessive pour le salarié, qui doit pouvoir revenir à des horaires moins atypiques et plus compatibles avec la vie familiale, en particulier lorsque la famille s’agrandit, ou en cas de maladie ou de dépendance d’un proche.
Afin de ménager l’équilibre entre les droits du salarié et les contraintes de l’employeur, notre commission avait proposé un amendement disposant que cet accord écrit serait renouvelable tacitement tous les ans, mais que le salarié pourrait renoncer à ce renouvellement automatique, faculté dont il aurait été informé par écrit par son employeur.
Cette disposition semblait également de nature à encourager les salariés à « sauter le pas » du travail dominical, en leur permettant de ne pas se lier les mains une fois pour toutes.
La commission des affaires sociales a écarté notre proposition et a retenu celle qui nous est aujourd’hui présentée en séance publique.
Cette proposition distingue deux hypothèses. S’il existe un accord collectif dans l’entreprise souhaitant bénéficier d’une dérogation, c’est cet accord qui organisera les modalités selon lesquelles l’employeur doit – c’est donc une obligation – tenir compte de l’évolution de la situation personnelle du salarié.
Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue.
M. Bernard Reynès, rapporteur pour avis. C’est une précision intéressante.
À défaut d’accord collectif, la commission des affaires sociales propose un « droit de préférence ».
J’entends l’argument selon lequel si, dans une petite structure, vous recrutez un salarié qui accepte de travailler le dimanche et change d’avis un an après, vous ne pouvez vous en séparer mais vous trouvez en même temps en difficulté pour faire fonctionner votre entreprise.
J’entends également celui selon lequel il ne faudrait pas pénaliser les petites structures par rapport aux grosses. En même temps, le principe du volontariat, dans cette rédaction, ne me paraît pas garanti. Or il est essentiel : dans les petites structures, il suppose que des postes sans travail le dimanche soient disponibles ou viennent à se libérer, ce qui est peu plausible.
C’est pourquoi plusieurs collègues et moi-même avons déposé un amendement qui réaffirme le principe du volontariat : là où un accord collectif intervient, c’est à lui de fixer les modalités de la réversibilité de l’assentiment du salarié. À défaut d’accord collectif, nous proposons d’introduire une réversibilité annuelle : lorsque le salarié refuse de continuer à travailler le dimanche, ce refus prend effet dans les trois mois suivant sa notification à l’employeur. Le vote de cet amendement, essentiel à nos yeux, nous permettra de donner un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi. Ainsi, le dernier obstacle à son adoption sera levé.
Cette proposition de loi reste fidèle à des valeurs essentielles sur le repos dominical tout en témoignant d’un pragmatisme indispensable pour sortir d’un imbroglio juridique, et permettre ainsi de stabiliser l’existant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Brard. Bernard Reynès est l’auteur d’Alice au pays des merveilles !