De la valeur des oracles

Est-il encore permis, dans ce pays, de lire les Écritures et de les commenter, sans se voir affubler des caricatures les plus éculées d’obscurantisme et de bigoterie que véhiculent à l’envie la puissance monstrueuses des médias mainstream et la médiocrité contemporaine ?

Les traditions juives et chrétiennes partagent des textes que les chrétiens appellent Ancien Testament, et les juifs Tanakh, ou Bible hébraïque. Le Livre des Chroniques en fait partie, qui parle – il n’est pas le seul – de la journée que veut se réserver le Seigneur, pour laquelle les chrétiens ont retenu le dimanche, et les juifs le samedi.

Et il se trouve justement que le tradition liturgique catholique ordinaire fait lecture, en ce dimanche de mi-carême (autrefois nommé « de laetare », où les curés s’habillent en rose), des versets 14 et suivants du second livre des Chroniques.

Voici ce que dit ce vieux texte (probablement écrit trois ou quatre siècles avant Jésus-Christ) :

14 Tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les abominations des nations païennes, et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem.

15 Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, sans attendre et sans se lasser, leur envoyait des messagers, car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure.

16 Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ; finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple.

17 Alors le Seigneur fit monter contre eux le roi des Chaldéens, qui tua par l’épée les jeunes gens à l’intérieur du sanctuaire, n’épargna ni le jeune homme ni la jeune fille, ni le vieillard ni l’infirme : le Seigneur les livra tous entre ses mains.

18 Tous les objets, grands ou petits, de la Maison de Dieu, les trésors de la Maison du Seigneur et les trésors du roi et de ses princes, Nabucodonosor emporta tout cela à Babylone.

19 Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu, détruisirent le rempart de Jérusalem, incendièrent tous ses palais, et réduisirent à rien tous leurs objets précieux.

20 Nabucodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ; ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils jusqu’au temps de la domination des Perses.

21 Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie : « La terre sera dévastée et elle se reposera durant soixante-dix ans, jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés. »

Il y est question d’une époque où les dépositaires de l’amitié de Dieu font comme s’il ne l’étaient pas, imitant les païens dans la brutalité de leurs vies, tournées seulement vers la simple satisfaction de leurs désirs et de leurs pulsions, méprisant tout appel à considérer la dimension métaphysique de l’existence.

Dieu abandonne alors ce peuple infidèle, et laisse s’abattre sur lui des catastrophes qui se matérialisent par l’invasion d’un autre peuple, la mort des uns, la déportation et l’asservissement des autres.

Le chroniqueur y voit l’accomplissement de la parole de Jérémie, prophète de malheur qui écrivait deux siècles avant l’auteur des Chroniques, expliquant que la profanation du sabbat révoltait la terre, et que cette révolte devrait être payée.

L’ironie contemporaine, naturellement, se gaussera de ce vieil oracle. Et il est juste de reconnaître que l’homme du 21° siècle, celui là qui sait désormais modifier le vivant, mécaniser l’intelligence, et atteint presque l’immortalité, sûr de son savoir et d’une puissance qui ne fait que s’accroitre, n’a que faire des avertissements des vieux prophètes.

Pourtant, ce même homme tout puissant est toujours aussi incapable de dire d’où il vient, et où il va. Ce qui pourrait être une raison suffisante pour reconsidérer son point de vue sur cette sagesse transmise du fond des siècles, et qui nous enseigne que si les nécessités de l’existence nous imposent de trouver des modes d’organisation efficients pour nos sociétés, cette fin ne peut constituer le but ultime de l’organisation politique.

Aussi, ceux qui cherchent à préserver, pour les sociétés auxquelles ils appartiennent, ce temps de respiration collective qu’est le dimanche, mais aussi ce temps métaphysique, conservent-il un rôle capital de prophète contemporain, métier d’ordinaire payé de dérision, comme au temps de Jérémie, et quelquefois de mort.

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