Travail du dimanche : « Nous n’avons rien à gagner collectivement à le banaliser »

ZOOM Sur le parking d’un supermarché à Cabourg, / Mychèle Daniau/AFP

ENTRETIEN. Le travail du dimanche engendre une « perte sèche » de sociabilité, et les Français y sont moins favorables qu’on ne le croit, selon Laurent Lesnard, sociologue au CNRS et à Sciences-Po.

La Croix : Vous avez étudié les effets du travail du dimanche sur la vie familiale et sociale (1). Quelles sont vos conclusions ?

Laurent Lesnard : Pour bien comprendre ces effets, il faut rappeler le rôle que joue le dimanche dans notre société. À mesure que le travail des femmes s’est généralisé, c’est devenu la principale journée passée en famille et/ou avec des amis, un temps essentiel pour la vie en société.

Huit heures travaillées le dimanche, c’est évidemment huit heures de moins pour soi et ses proches. Mais cela va au-delà : si l’on mesure le temps passé avec ses proches – ce que nous appelons la « sociabilité » –, le travail dominical engendre une perte supplémentaire à celui du travail en semaine.

Lorsqu’ils travaillent le dimanche, les parents passent, selon nos mesures, une heure et demie de moins avec leurs enfants qu’un jour non travaillé, alors qu’en semaine, ce manque à gagner est de cinquante minutes. Cette « perte sèche » se mesure aussi pour le temps conjugal ou les loisirs.

Quels sont les effets du repos compensateur ?

L. L. : La sociabilité perdue le dimanche n’est pas récupérée en semaine. Le repos compensateur permet de récupérer du temps personnel, individuel, de loisirs, mais pas le temps perdu avec les autres. La perte est mieux compensée pour deux personnes habitant le même domicile (conjoints, parents et enfants) que pour la famille élargie.

Peut-on parler d’une « double peine » pour les travailleurs du dimanche ?

L. L. : Oui, même d’une triple peine, si l’on tient compte du fait que les personnes concernées par le travail du dimanche ont la plupart du temps des horaires très atypiques en semaine. C’est le cas, par exemple, des caissières dont la présence au travail est liée à la courbe de fréquentation des commerces.

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Il ne faut pas oublier que le travail du dimanche se concentre sur les employés du commerce (20 %), en dehors du cas particulier des militaires et des policiers (25 % de travail dominical). Il ne concerne que 6 % des cadres du public et 2 % des cadres du privé.

Vous mettez en évidence des effets moins visibles du travail du dimanche…

L. L. : Nous avons constaté qu’il n’a pas le même impact sur les relations père-enfants et mère-enfants. Les mères qui travaillent le dimanche s’organisent mieux que les pères pour préserver du temps avec leurs enfants. Elles vont même chercher à surcompenser en renonçant à des activités personnelles et de loisirs. Sur ce point, le travail du dimanche renforce des inégalités de genre déjà marquées.

Les Français y sont-ils favorables ?

L. L. : Ils y étaient défavorables jusqu’au milieu des années 2000, puis y sont devenus favorables. Mais on peut parler d’un soutien mou. Les jeunes et les très âgés, et plus généralement ceux qui sont en marge de l’activité, y sont les plus favorables. Les actifs y sont majoritairement défavorables. Et même lorsqu’ils y sont favorables, l’opposition au fait de travailler soi-même le dimanche demeure une constante !

On peut dire que le volontariat n’existe pas, sauf cas particuliers. Les salariés ne souhaitent pas travailler le dimanche, en revanche, ils peuvent souhaiter compléter leurs revenus, notamment quand on leur a imposé un temps partiel.

Que peut-on en déduire ?

L. L. : Le travail du dimanche ne doit pas se décider en fonction de postures dogmatiques, mais en fonction des attentes de Français. Or notre étude montre qu’ils ne sont pas demandeurs d’un commerce de divertissement. Faire les courses ne figure pas parmi leurs activités préférées. Ce que les Français préfèrent, c’est avoir des activités ensemble. Le dimanche chômé, qui permet de synchroniser les agendas, est donc essentiel.

Il ne s’agit pas d’interdire tout travail le dimanche, mais de réfléchir, au cas par cas, en se demandant : pour quelle utilité sociale va-t-on ouvrir un commerce ou un musée ? Nous n’avons rien à gagner collectivement à banaliser le travail du dimanche.

La Croix 04/08/2017 – Recueilli par Élodie Maurot
(1) Auteur avec Jean-Yves Boulin de l’ouvrage Les Batailles du dimanche, à paraître aux PUF le 6 septembre.

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