Libéraliser un peu plus l’ouverture des magasins le dimanche. C’est l’un des objectifs de la loi Macron actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Echange d’arguments entre le député PS Stéphane Travert qui défend le projet et le syndicaliste CFTC Joseph Thouvenel qui y voit une régression sociale.
On s’attendait à des débats houleux. La majorité devait y jouer sa survie. A cause des attentats, rien ne s’est passé comme prévu. Au bout de deux semaines d’examen de la loi Macron, les premières centaines d’amendements ont été adoptés sans heurts, à l’exception du volet sur les notaires sur lequel Emmanuel Macron a reculé. Aux yeux de tous, détracteurs y compris, le ministre de l’Économie a passé avec brio son baptême du feu. Reste la question épineuse du travail du dimanche qui sera soumis au vote en fin de semaine. Les députés PS frondeurs ont accepté jusqu’ici de baisser d’un ton. Ils risquent de faire entendre leurs différences.
D’autant que, côté syndical, l’heure est à la contestation. Pour Joseph Thouvenel, grand spécialiste de la question, qui suit le dossier depuis des années pour la CFTC, « ce projet de loi représente une véritable régression sociale ». Dans une lettre adressée aux députés, le vice-président du syndicat chrétien dénonce le manque de sérieux de l’étude d’impact qui a servi de base de travail du législateur. Selon lui, ce rapport qu’il juge « bâclé et orienté » fait l’impasse sur de nombreuses questions : les conséquences sur l’emploi, la vie familiale, le lien social, la disparition des petits commerces, les coûts pour le salarié…
« Réalisée à la va-vite, cette étude s’appuie sur des enquêtes effectuées il y a dix ans au Canada et aux Pays-Bas, dans un tout autre contexte », accuse Joseph Thouvenel. « Elle ne fait aucune mention du rapport du Credoc, de 2008, et de celui de Confesercenti en Italie (2013) qui chiffrent les destructions d’emplois qu’entraînerait l’ouverture dominicale des grandes surfaces. Selon la fédération patronale italienne, la libéralisation du dimanche en Italie aurait conduit, depuis janvier 2012, à la fermeture de 32 000 entreprises et à la perte de 90 000 postes de travail. »
Rapporteur sur le sujet pour la loi Macron, le député PS Stéphane Travert défend, quant à lui, ce projet. Considéré comme « frondeur » – il n’a ni voté l’accord national interprofessionnel (ANI) ni le budget de la sécurité sociale –, ce député n’a pas été mis là par hasard : en 2013, il avait soutenu les salariés d’un supermarché dans sa circonscription de la Manche qui protestaient contre leurs conditions de travail le dimanche matin. Et il estime avoir fait évoluer le texte présenté par le gouvernement en commission pour protéger davantage les salariés, tout en s’adaptant à l’évolution des modes de vie.
Voici, point par point quelques-uns des termes du litige et les rares accords entre Joseph Thouvenel et Stéphane Travert.
S’adapter aux modes de vie ?
Stéphane Travert : « Ce nouveau texte n’a pas vocation à tout libéraliser. Il s’agit d’abord de s’adapter à une évolution des modes de vie. Difficile pour un jeune couple francilien, après deux heure trente de transports en commun en semaine de faire leurs courses dans la foulée. Ils ne vont pas non plus revenir en RER avec leurs paquets de couche ou leur lait. »
Joseph Thouvenel : « Les foyers français disposent de deux jours consécutifs de repos. S’ils ne peuvent faire leurs courses en semaine, il leur reste encore le samedi. Certains peuvent même utiliser leur RTT. Ouvrir le dimanche, c’est entériner le matérialisme marchand et accepter qu’il prenne le pas sur tout le reste. »
Mieux protéger les salariés ?
S.T. : « On a posé le mot "volontaire" dans la loi et le principe de réversibilité. Un salarié peut être volontaire pour travailler le dimanche. Mais parce que sa vie change, il peut ne plus vouloir l’être. Sa vie professionnelle ne doit pas s’en trouver pénalisée. »
J.T. : « Il faut vraiment être naïf pour penser que les salariés ont le choix. Comme le déclarait le PS en 2008, la liberté dans ce domaine est un leurre. Un contrat de travail est toujours un contrat de subordination. Et la loi n’y changera rien. »
Limiter le nombre de dimanches ouverts ?
S.T. : « Le texte original prévoyait de porter le nombre d’ouvertures dominicales à douze par an contre cinq aujourd’hui. Après l’examen du texte en commission spéciale, le taquet de cinq dimanches minimums pour l’ouverture des magasins a sauté. Le maire pourra décider qu’entre zéro et douze dimanches pourront être travaillés. »
J.T. : « Cette disposition existe déjà dans la loi actuelle. Il ne s’agit donc pas d’un progrès mais d’un quasi statu quo, sachant que le nombre de dimanches où il sera possible d’ouvrir va encore augmenter. On est donc bien dans un mouvement de libéralisation. Dans tous les cas, l’effet sur la croissance sera nul, car l’argent dépensé ce jour-là ne le sera pas le reste de la semaine. »
Donner plus de pouvoir aux maires ?
S.T. : « Le nombre de jours travaillés sera discuté en conseil municipal. Au-delà du seuil de cinq jours, un avis de la communauté de commune doit même être rendu. Cela permet de garder une cohérence au sein des territoires et d’éviter des problèmes de concurrence. »
J.T. : « La pression commerciale risque d’être bien plus forte que la volonté des élus. Ces derniers ont souvent tendance à adopter une attitude libérale pour ne pas déplaire à leurs électeurs. Et la plupart des petits commerces n’ont pas les moyens d’ouvrir le dimanche. »
Augmenter la compensation salariale ?
S.T. : « Je vais proposer un amendement en séance publique, qui a de grandes chances d’être voté : pour les magasins alimentaires qui ouvrent le dimanche matin, les salariés bénéficieront d’une compensation de leur salaire fixé à un plancher minimum de 30 %. Les surfaces supérieures ou égales à 400 m2 seront concernées. 4000 magasins seront touchés par cette disposition. »
J.T. : « En 2009, lors du vote de la précédente loi Mallié sur le travail dominical, les politiques ont menti comme des arracheurs de dents. Ils ont tous promis pendant les débats que les salariés du dimanche seraient payés double. Or, à l’époque, la loi n’a garanti ces dispositions que sur quelques zones. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? Et puis, ces 30 % représentent une bien maigre compensation. »
Que pensez-vous des propos de Manuel Valls ? Lors de son voyage en Chine, il a indiqué aux Chinois qu’ils ne seraient plus obligés de faire leurs courses à Londres.
S.T. : « Cela ne tient pas. Les touristes chinois prévoient leur voyage à l’avance. Leur parcours n’est pas déterminé par l’ouverture ou non des magasins, surtout quand il s’agit d’espaces de bricolage ! Pour des raisons de visas, difficile aussi de prendre l’Eurostar juste pour du shopping. »
J.T. : « Depuis quand les touristes chinois vont-ils faire leurs courses chez Bricorama ? Et depuis quand les tour-opérateurs établissent-ils leur programme en fonction des jours d’ouverture des magasins ? C’est ridicule ! Des touristes, il y en a tous les jours en France. De toute façon, ce qu’ils ne dépensent pas dans les grandes surfaces, ils le dépensent ailleurs : dans les musées, chez les bouquinistes, dans les transports ou les parcs de loisirs. »