Nouvel obs Par Fatima-Ezzahra Benomar 27/01/15
LE PLUS. Ce lundi s’est déroulé à l’Assemblée l’examen du projet de loi Macron, visant à soutenir à la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Pour Fatima-Ezzahra Benomar, des efFronté-e-s, ce texte est l’artisan d’une régression civilisationnelle. Explications.
Notre ministre de l’Économie se prépare à agresser, il n’y a pas d’autres mots, les travailleuses avec son projet de loi "pour la croissance et l’activité", d’ores-et-déjà applaudi par le MEDEF qui souligne qu’il va véritablement dans la bonne direction, et par plusieurs député-e-s UMP. Si "le changement" était fait pour contenter toujours les mêmes, on se demande si la campagne de François Hollande avait choisi le bon slogan en 2012 ? N’est pas Tsipras qui veut.
Au contraire, les efFRONTé-e-s et beaucoup d’autres associations féministes, dénoncent fermement la future loi Macron.
Les femmes, toujours plus ciblées par la précarité
Ce projet de loi entend augmenter le nombre d’ouvertures le dimanche autorisées, des dimanche qui sont déjà largement banalisés. La très fortunée famille Mulliez, vingt fois milliardaire, contraint déjà ses salariés à travailler le dimanche à Auchan ou à Décathlon.
J’ai conjugué les salariés au masculin, puisqu’il l’emporte dans la langue française, mais j’aurais tout aussi bien pu opter pour le féminin par soucis de véracité, car près de 80% des salariés de la grande distribution et du commerce sont des femmes, des caissières, des vendeuses, parmi lesquelles des mères célibataires ayant la garde des enfants qui ne sont pas scolarisés le dimanche et auquel il faudra trouver un moyen de garde. Plus précisément, 73,5% des vendeurs sont des femmes, 78,5% des caissiers sont des femmes. Elles seront les premières victimes de la loi !
Selon notre ministre de l’Économie, seuls les volontaires seront amenés à travailler le dimanche ou jusqu’à minuit. La bonne blague ! Dans un contexte de chômage massif, les salariés acceptent tout ce qui se présente à eux : contrats précaires, travail le dimanche, de nuit, sous payé, au black, et deviennent corvéables à souhait.
Chantage au turn over dans les professions féminisées
Notons aussi que la majoration de salaires du dimanche ne sera pas imposée par la loi, mais négociée dans l’entreprise. Oui oui, cela veut dire qu’il n’y aura pas d’obligation légale de majoration salariale. Le meilleur moyen d’en avoir des indices fiables est encore d’écouter les principales concernées.
Selon elles, le rapport de force qui les oppose au système d’exploitation chez certaines enseignes dépasse l’imaginable ! Dans les métiers féminisés (caissières vendeuses, femmes de chambre, femmes de ménage, etc.) l’espoir d’une négociation victorieuse pour améliorer les conditions de travail ou la rémunération est presque nul. Ce sont le plus souvent des femmes issues des quartiers populaires, peu renseignées sur les quelques droits qu’elles ont et qu’on continue à affaiblir, isolées, avec une présence syndicale très faible sur ces lieux de travail, et un chantage au turn over, vu le nombre de précaires qui font la queue pour un CDD payé au lance pierre.
Incompréhensible de la part d’un gouvernement de gauche
En France, on est sensé être et travailler dans un État de droit. Raison pour laquelle la loi de 1906 a posé deux dispositions importantes : il est interdit d’employer un même salarié plus de 6 jours par semaine, et le jour de repos doit être le dimanche, bref un jour commun chômé permettant à toute la famille de se retrouver. Sous la droite, la dérogation est passée de 3 à 5 dimanches.
Cette fois, le gouvernement "de gauche" pousse la possibilité de monter à 12 dimanches travaillés. Soit chaque dimanche pendant trois mois ! En rentrant du travail à minuit, pour bien arrondir les fins de mois en pressant le citron jusqu’aux pépins et à l’écorce, les parents trouveront leurs enfants couchés. Est-ce cela un gouvernement qui se dit préoccupé par la famille, les loisirs, l’émancipation ?
Pour ce qui est du travail de nuit, je rappelle que c’est durant la nuit que surviennent les accidents du travail les plus graves. Le travail de nuit est reconnu comme néfaste et même classé comme cancérogène probable par l’OMS – sans oublier les troubles de sommeil, les déséquilibres nutritionnels ou l’affaiblissement des défenses immunitaires qu’il entraîne.
Un gouvernement de gauche doit, au contraire, encadrer le travail nocturne, protéger les travailleuses et les travailleurs contre l’exploitation au prix du bien-être et de la santé ! C’est bien la peine d’accumuler des décennies de luttes syndicales, de progrès dans le droit du travail, de moyens de production modernes qui devraient avoir pour conséquence de partager le temps de travail et les richesses produites, pour continuer à exploiter les plus pauvres comme aux siècles passés. Nous ne sommes pas flexibles à l’infini !
Une régression de civilisation
Avec cette loi, les travailleuses et les travailleurs perdront concrètement des droits. Elle veut abroger le passage du Code civil qui soumet les contrats de travail au Code du travail. Lors d’un plan social, l’employeur sera libre de choisir les salariés à licencier, un choix qui pourra se porter de façon discriminatoire sur cette syndicaliste trop zélée, ou sur cette secrétaire qui refuse les avances du patron !
Elle mettra fin à la sanction pénale de l’employeur qui porte atteinte à l’exercice du droit syndical, sanction supprimée car susceptible de dissuader les sociétés étrangères d’investir dans les entreprises françaises. L’annulation d’un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi), dispositif qui limite les conséquences des licenciements collectifs, ne donnera plus droit à des indemnités ou à la réintégration des salarié-e-s. À celles et ceux qui n’auront d’autres recours que d’aller aux prud’hommes, dont l’ANI (Accord national interprofessionnel) avait déjà raccourci les délais de saisine, la loi restreindra les possibilités d’agir par cette voie.
Bref, le projet de loi Macron est une véritable régression de civilisation par rapport aux progrès acquis ces derniers siècles.
Un gouvernement dit de gauche devrait plutôt lutter contre la fragmentation des horaires de travail, la précarisa
tion des contrats, les abus du temps partiel imposé, qui sont tous en premier lieu l’apanage des femmes. Une vraie relance consiste à augmenter les salaires, donc le pouvoir d’achat des consommateurs, et à réglementer le travail pour protéger les plus faibles, notamment les femmes qui subissent toujours 27% d’inégalités salariales, afin que personne ne soit obligé de travailler le dimanche ou la nuit.
Plusieurs organisations féministes se rassembleront ce mercredi pour faire signer une pétition contre la loi Macron. Les efFRONTé-e-s en seront : de 16h à 19h, devant le Centre commercial Italie 2, à Paris.