Travail dominical: un rapport contre les idées reçues

Huffingon Post : 05/12/2014  18h36 CET Mis à jour: 05/12/2014 18h36 CET

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La Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, présidée par Bernard Gaudillère, a voté jeudi 4 décembre ses préconisations sur le travail nocturne et dominical, à l’issue de nombreuses et studieuses séances d’auditions. À cette occasion, les élus de gauche ont avancé des propositions d’évolution certes limitées mais bien réelles, sur lesquelles pourra s’appuyer Anne Hidalgo : la Maire de Paris pourrait autoriser des ouvertures dominicales supplémentaires par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui, les actuelles zones touristiques évolueraient à la marge en fonction de données objectives et pourraient aussi concerner certaines gares parisiennes, les compensations salariales seraient harmonisées pour tous alors qu’actuellement les régimes sont très injustes et disparates, l’Etat devrait se doter de moyens efficaces pour faire respecter ces règlementations.
Mais pour beaucoup de commentateurs qui s’intéressent superficiellement au sujet, ça ne serait pas assez : au nom de la sacro-sainte modernité, de l’impérieuse nécessité de lutter contre le chômage et de soutenir la croissance, il faudrait en effet supprimer toutes les barrières qui maintiennent un fragile équilibre, en particulier à Paris, entre les légitimes besoins d’offre dominicale, la protection d’une qualité de vie de salariés et le maintien nécessaire de petits commerces cohabitant avec de grandes surfaces.

Un des mérites de cette mission d’information, et non le moindre, aura été de remettre de la rationalité et de l’objectivité dans un débat déjà ancien qui se nourrit bien souvent de préjugés et de postulats totalement invérifiables.

On nous répète par exemple que l’ouverture dominicale créerait des milliers voire des dizaines de milliers d’emplois à Paris. Pourtant, mis à part les déclarations d’ailleurs très contradictoires de certains patrons de grands magasins, aucune étude sérieuse n’a pu être produite à l’appui de cette assertion. Au contraire, les économistes et sociologues auditionnés ont démontré que les emplois et les richesses créés ne le seraient très majoritairement que par transfert et entraineraient autant de destruction, le pouvoir d’achat n’étant pas extensible.

Pire, c’est tout le maillage subtil des petits commerces qui risquerait ensuite d’être détruit par « effet domino » si le travail dominical s’étendait très au-delà des 20 à 25 % de commerces déjà ouverts actuellement à Paris. Rappelons que, depuis 2004, la Mairie de Paris et sa société d’économie mixte la SEMAEST ont développé un programme unique en France de soutien au commerce de proximité pour lutter contre la monoactivité et réimplanter des commerces de proximité dans onze secteurs de Paris. Cette opération, qui connaît un grand succès, montre à la fois l’importance du volontarisme politique pour sauvegarder l’emploi et un précieux art de vivre mais aussi la fragilité de l’équilibre si l’on laisse s’installer une trop grande distorsion de moyens et de concurrence dans le secteur commercial. Combien de communes paient aujourd’hui les choix trop favorables aux grandes surfaces par une dévitalisation commerciale de leur centre-ville ? L’action de la municipalité en faveur du commerce, conduite par Anne Hidalgo et son adjointe Olivia Polski, joue ainsi un rôle très important dans l’attractivité de Paris.

Reste la question des touristes qui, nous dit-on, partiraient dépenser leurs devises ailleurs en Europe s’ils trouvaient porte close le dimanche. Cette assertion a été balayée par les chiffres indiscutables émanant de l’Office du Tourisme : Paris est déjà la première destination touristique au monde et 50 % du chiffre d’affaires des grands magasins émane déjà d’étrangers.
 
Surtout, la durée moyenne du séjour d’un touriste étranger européen est de 4 jours, et celle d’un touriste extra-européen (américain, japonais, chinois ou encore brésilien, etc.) est de 6 jours. Contrairement à une idée reçue, la fermeture dominicale de certains magasins n’empêche donc pas les touristes d’effectuer leurs achats à Paris.

Comme ultime argument, on nous oppose l’opinion publique qui serait majoritairement favorable à 62 % à l’ouverture dominicale. Pourtant, ce que dit le même sondage , c’est que 60 % des intéressés sont résolument opposés à travailler eux-mêmes le dimanche. C’est la manifestation évidente de contradictions qui nous caractérisent tous comme individus. C’est la responsabilité du politique que de faire prévaloir l’intérêt général.

Faudrait-il donc préconiser un élargissement massif du travail nocturne et dominical ? Non car cela engendrerait rapidement une généralisation et une banalisation du travail dominical, par un effet de capillarité difficilement évitable, ph&eac
ute;nomène qui ne profiterait alors qu’aux grands magasins et centres commerciaux.

Ce n’est donc pas la recommandation que la mission a faite à la Maire de Paris, Anne Hidalgo, fidèle à une conviction constante déjà rappelée par Bertrand Delanoë depuis 2001 : « les dimanches ne doivent pas devenir des jours comme les autres ». Car ce débat crucial de société ne peut se résumer à des arguments économiques, qui sont d’ailleurs loin d’être prouvés. Nous refusons en effet de réduire la société à sa dimension productiviste et consumériste, convaincus qu’elle doit favoriser aussi, au moins un jour par semaine, la possibilité de développer des activités personnelles, culturelles, sportives ou encore associatives.

De plus, les conséquences négatives d’un élargissement brutal et massif se feraient d’abord sentir sur les plus fragiles, en particulier les femmes, premières victimes de la précarité dans le travail, et bouleverseraient le paysage commercial parisien, alors qu’il constitue en lui-même une grande part de l’attractivité touristique de notre capitale. Nous refusons que Paris perde sa spécificité pour ressembler à toutes les autres grandes villes. D’autant que le nombre actuel d’ouvertures dominicales est déjà supérieur à ce qui est pratiqué dans bien d’autres métropoles comme Berlin ou Barcelone.

C’est pour cela que les évolutions proposées par la Mission des élus parisiens restent limitées à des changements utiles socialement. Elles se fondent en outre sur deux principes fondamentaux : le respect du pouvoir local de décision, seul à même de juger de situations éminemment complexes, et les compensations égales et équitables pour tous les salariés.

En ces temps de crise dramatique pour beaucoup de nos concitoyens, ne cédons pas aux prétendues sirènes de la modernité au risque de bouleverser un équilibre fragile et de provoquer à terme la disparition d’une des richesses de Paris : la densité et la diversité de son tissu commercial dans l’ensemble de ses arrondissements.

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