Assouplir l’ouverture des commerces le dimanche, comme le prévoit le projet de loi Macron présenté mercredi en conseil des ministres, n’a pas comme seul but d’aider les Français à se fournir en marteaux, vis et pots de peinture dans les magasins de bricolage. L’objectif, notamment à Paris, est d’attirer une clientèle internationale avide de shopping dominical.
Comme l’expliquait le premier ministre Manuel Valls sur France 2 dimanche soir, l’enjeu de la loi Macron est de maintenir l’« attractivité » de la France : « Est-ce que nous souhaitons que les millions et les millions de touristes, notamment chinois, qui viennent sur la capitale partent le dimanche à Londres pour faire leurs courses ? Pour des raisons évidentes, économiques – notamment d’attractivité, de création d’emplois –, ouvrir un certain nombre de magasins dans un certain nombre de zones touristiques bien ciblées me paraît être le bon sens. »
La concurrence des commerces de Londres, est même le premier exemple de « perte d’activité dommageable pour l’économie » cité dans le projet de loi au chapitre « faciliter le travail du dimanche et en soirée ». Un argument également développé par la droite parisienne et par l’ancienne patronne du Medef Laurence Parisot, mercredi sur France Inter :
« Avec la mobilité d’aujourd’hui, avec la facilité de transport que nous connaissons, il y a des possibilités à l’intérieur de l’Union européenne de voyages, y compris de voyages-shopping. Vous allez voir les tour-opérateurs, les agences [de voyage], elles seront les premières à vous dire qu’ils vendent beaucoup de billets aller-retour avec départ le dimanche matin, retour le dimanche soir, pour Londres, juste pour aller faire des courses. »
Des allers-retours dominicaux à Londres ? « Impossible de confirmer», indique-t-on chez Eurostar où l’on se déclare cependant un peu circonspect, jugeant qu’« il faut tout de même avoir les moyens » pour s’offrir une telle escapade dans la journée. « Les gens viennent plutôt à Londres pour le week-end entier, explique-t-on au sein du groupe ferroviaire, et c’est sûr qu’ils y font du shopping. »
Beaucoup de touristes, peu de recettes
L’avis est partagé du côté des voyagistes. Jean-Marc Rozé, le secrétaire général du Syndicat national des agents de voyages (Snav), souligne que ses adhérents, qui sont des agences réceptives (prenant en charge les touristes sur place) « font part d’une désaffection de Paris». « Sur des courts séjours comme des week-ends, les gens viennent pour l’attrait de la ville mais aussi pour les possibilités de shopping. Ils sont surpris de voir que tout n’est pas ouvert », précise-t-il, estimant que « des capitales européennes comme Londres, Berlin ou Prague » pouvaient avoir davantage la faveur des vacanciers.
84, 7 MILLIONS
Le tourisme représente une manne énorme en France : le secteur pèse 7,4 % du PIB et offre une marge de progression considérable. En effet, si la France est la première destination touristique au monde avec 84,7 millions de visiteurs, elle ne se classe qu’en troisième position en termes de recettes, derrière les Etats-Unis et l’Espagne, selon les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT).
Le ministre des affaires étrangères et du développement international Laurent Fabius, qui s’est fixé l’objectif d’accueillir 100 millions de touristes en 2030, a établi un diagnostic : les séjours en France sont trop courts et les vacanciers qui y posent bagage n’ont donc pas l’opportunité de consommer autant que chez le voisin espagnol.
Les touristes chinois, les plus dépensiers au monde
Les « touristes chinois » comme les a désignés Manuel Valls, sont à ce titre une cible de choix pour les pays européens : selon l’OMT, les Chinois ont effectué plus de 100 millions de voyages à l’étranger sur les onze premiers mois de 2014. Ce chiffre ne s’élevait qu’à 10 millions en 2000, et à 83 millions en 2012.
Ces visiteurs sont d’autant plus prisés qu’ils sont les plus dépensiers au monde. En 2012, ils ont déboursé 102 milliards de dollars (environ 75,5 milliards d’euros) à l’étranger. La tendance se confirme dans la capitale française où, selon une étude menée par l’Office du tourisme et des congrès de Paris, un touriste chinois dépensait, en 2012, en moyenne 59 euros par jour en shopping, tandis que la somme pour un Français se limitait à 10 euros.
Les touristes chinois représentent même à eux seuls 73 % des dépenses de produits détaxés en France. L’étude montre enfin que le shopping représente 60 % des activités pratiquées à Paris par les voyageurs arrivant de Chine.
Autant dire que les Chinois, qui représentent pour l’instant moins de 2 % des touristes étrangers visitant la France, représentent une opportunité de développement économique que les autorités françaises ne veulent pas laisser passer. Londres a pris des mesures pour simplifier et accélérer les demandes de visas et pour permettre aux Chinois qui ont obtenu un visa dans un pays de l’espace Schenghen (dont le Royaume-Uni ne fait pas partie) de ne pas avoir à refaire une demande au Royaume-Uni.
La France multiplie aussi les efforts en direction de ces hôtes asiatiques : assouplissement de la délivrance de visas (un Chinois peut désormais l’obtenir en 48 heures), amélioration de l’accueil à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle… Et, bientôt, davantage de magasins ouverts le dimanche ?
Enora Ollivier
Journaliste au Monde