Jean Viard : "Travailler un week-end par mois rend plus heureux"

Nous laissons à Jean Viard, publié par le JDD (journal qui avait publié un sondage bidonné devenu célèbre sur le travail du dimanche) l’entière responsabilité de ses propos, pour le moins discutables ! 

Le JDD, 20/12/2014

INTERVIEW – Le sociologue Jean Viard, proche du Parti socialiste marseillais, est spécialiste des temps sociaux. S’il défend le dimanche comme "repère" de notre société, il est favorable à la réforme voulue par le gouvernement mais porte un regard sévère sur le débat politique.



Jean Viard "plaide pour qu’on regarde la réalité de la société et ses évolutions". (Maxppp)

Comment évaluez-vous la portée de la réforme étendant l’ouverture des commerces de 5 à 12 dimanches par an?
Elle n’est pas considérable. Le dimanche est un enjeu symbolique depuis extrêmement longtemps. Les responsables politiques eux-mêmes se situent sur ce terrain. Anne Hidalgo, par exemple, twitte que le dimanche "on peut se promener entre amis au canal Saint-Martin". Mais elle oublie qu’à Paris, 50% des habitants vivent seuls. Que font-ils, eux, de leur dimanche? Que monsieur et madame "deux enfants" roulant en Scénic aient un projet structuré pour leur dimanche en famille, cela s’entend. Mais les autres? Il faut penser en termes d’arythmie, c’est-à-dire en prenant en compte les irrégularités qui existent déjà dans le salariat et les emplois du temps.

Mais on touche à notre représentation collective du dimanche. Pourquoi devrait-elle évoluer?
Il ne faut jamais oublier qu’il y a eu 120 ans de lutte sociale, de 1789 à 1906, pour que le dimanche soit férié. Dans la mémoire ouvrière, populaire, cela a été une immense bataille. Y toucher aujourd’hui donnerait donc une impression de reculer. Mais il faut mieux expliquer le sens de cette réforme. Je suis d’accord avec la ligne du gouvernement mais il n’est pas assez dit que le repère du dimanche n’est pas remis en cause. Il n’y a pas de débat sur la généralisation du travail le dimanche, il y a une demande d’ouverture des commerces, en particulier en Ile-de-France. Cette région a une particularité : la jeunesse des banlieues utilise les grands magasins comme espace de divertissement le dimanche. Le grand magasin est un lieu de sortie et pas forcément un lieu de shopping. L’enjeu est de savoir comment on enrichit les pratiques de la jeunesse dans ces lieux de consommation.

«Moins d’un salarié sur deux travaille encore de 8h à 18h. Le modèle qu’on a en tête n’existe plus!»

Vous défendez une vision progressiste du travail dominical…
Incontestablement. Je pense qu’il faut augmenter la liberté des acteurs, qui ne sont pas tous en couple et en Scénic. Le progrès social avant, c’était d’augmenter la liberté des classes sociales, ce qui passait par le repos. Aujourd’hui, c’est d’augmenter la liberté des individus. Je suis tout à fait pour le dimanche férié. Cette journée doit rester différente des autres. Mais je plaide pour qu’on regarde la réalité de la société et ses évolutions : moins d’un salarié sur deux travaille encore de 8h à 18h. Le modèle qu’on a en tête n’existe plus! Doivent travailler le dimanche des gens dans cette position d’arythmie. Aux étudiants, leur permettre de travailler en dehors de leurs études. Aux salariés, les laisser travailler un week-end par mois. On peut aussi penser à l’inverse : pourquoi un retraité ne garderait pas un week-end de travail par mois? Des travaux, notamment ceux réalisés par le sociologue Francis Godard, montrent que les gens travaillant un week-end sur quatre ont un taux de satisfaction supérieur aux autres! De même, travailler un peu améliore les résultats des études, en France comme ailleurs dans le monde. Si un étudiant travaille un jour ou deux par semaine, il a de meilleurs résultats à l’université que celui qui ne travaille jamais. Tout comme il a de meilleurs résultats que celui qui travaille trop. L’évolution du modèle familial permet ces changements, de même que le rallongement de la vie. Nous signons notre premier CDI à 27 ans, nous avons notre premier enfant à 28 ans. Nous sommes aujourd’hui adultes à cet âge. Ce qui se passe entre 16 ans et 27 ans, c’est dix ans d’instabilité : on a des conquêtes, on galère, on est au chômage… Il y a une longue période d’apprentissage. Là encore, enrichissons cette période!

Cette réforme est-elle conduite par la logique du consumérisme, comme le disent ses détracteurs?
L’argument est débile. Nous sommes dans une société marchande. Ce qui est justement nouveau ces dernières années, c’est le développement de la société collaborative à l’intérieur de cette société marchande. L’économie partagée est en train de bouleverser le tissu
économique. Mais prenons la question du tourisme : en France, il y a 200 millions de voyageurs français et 85 millions de visiteurs étrangers. Les questions à se poser doivent être : pourquoi un touriste consomme moins en France qu’en Espagne ou aux États-Unis? Comment mieux profiter de la manne touristique? C’est de l’argent non consommé, de la ressource disponible. Si l’on tente de résoudre cela, on créé des milliers d’emplois. Le travail le dimanche est l’un des instruments pour y arriver, même s’il n’est sans doute pas le seul. Pourquoi Eurodisney est ouvert tous les jours et pas le Louvre? Parce qu’il y a l’idée dans nos esprits que le rythme continu correspond à certains services. Cela fait 20 ans que je me bats pour l’ouverture du Louvre tous les jours. Un jour supplémentaire, c’est un million d’entrées de plus.

«Que savent les politiques de la façon dont doivent fonctionner les entreprises?»

Et ceux qui craignent une étape avant une libéralisation totale du travail dominical?
Il ne faut pas toucher aux totems sociaux. Notre société a besoin de repères, un peu comme elle a toujours besoin de poste-frontières entre la France et la Belgique alors même qu’il n’y a plus de douaniers. Gardons le totem social mais comprenons la demande de liberté des individus. Je suis convaincu que la société est prête à accepter ce changement plus facilement que la classe politique. Le problème est que les Français sont aujourd’hui plutôt favorables au travail le dimanche tant que ça ne les concerne pas! Pour l’instant, ils ont plutôt le sentiment qu’on augmente leur liberté de consommateur mais qu’on réduit leur liberté de salarié.

Ce débat politique est-il trop passionné? 
Les politiques n’ont pas de représentation du changement de la société. Ils sont dans un désarroi total et c’est en bonne partie la faute aux intellectuels qui ne leur a pas donné la matière, la réflexion, le texte. Qui est l’intellectuel autour de François Hollande? Et celui autour de Nicolas Sarkozy? Le pouvoir, sans le savoir, est vide. Nous avons une grande crise de la représentation du monde parce que celui-ci change extrêmement vite. La plupart de nos parlementaires connaissent très peu le monde de l’entreprise. Nous avons à droite des avocats et des médecins, à gauche essentiellement des fonctionnaires qui n’ont jamais créé un emploi. Que savent-ils de la façon dont doivent fonctionner les entreprises? Il est par ailleurs frappant de voir que les élus en pointe contre le travail le dimanche viennent des régions ou des grandes familles catholiques, comme Martine Aubry. Mais le dimanche n’est pas la journée des catholiques. C’est le jour des conquêtes sociales, du repos hebdomadaire, c’est la loi de 1906 faite par les francs-maçons. Décatholicisons notre société. Le dimanche est un jour laïc.

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