De l'auto-entreprise au travail du dimanche, la marque Attali

Libé , GRÉGOIRE BISEAU, CHRISTOPHE ALIX, FRÉDÉRIQUE ROUSSEL ET DOMINIQUE ALBERTINI 9 DÉCEMBRE 2014 À 20:26 (MIS À JOUR : 10 DÉCEMBRE 2014 À 11:01)

Jacques Attali remettant son rapport à Nicolas Sarkozy, à l’Elysée, en janvier 2008. (Photo Sébastien Calvet)
 
DÉCRYPTAGELes lois ne portent pas son nom, mais beaucoup des dernières réformes économiques françaises sont inspirées de ses rapports et de ses propositions. Revue des mesures, déjà votées ou à venir, recommandées par l’économiste à l’exécutif.
 
Attali, l’homme qui murmure à l’oreille des présidents Par Grégoire Biseau
 
CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ FAIT SOUS SARKOZY
«Vous avez fait le plus difficile, réfléchir ; vous nous laissez le plus facile, agir.» Ainsi parlait Nicolas Sarkozy, recevant le rapport sur la «libération de la croissance» en janvier 2008, et déclarant «adhérer à l’essentiel de [ses] propositions». Certes, le gouvernement d’alors n’ira pas jusqu’à appliquer intégralement le train de réformes préconisé par Attali, comme le souhaitait celui-ci. Certaines d’entre elles, et non des moindres, seront tout de même mises en œuvre entre 2008 et 2012.
 
Ce sera par exemple le cas pour la représentativité syndicale. Jusqu’alors, cinq organisations de salariés bénéficiaient d’une «présomption de représentativité», leur garantissant notamment de participer aux négociations interprofessionnelles. Mais, pour le rapport Attali, c’est désormais «l’audience électorale [qui] doit devenir le critère incontournable de la représentativité». Ce sera chose faite avec la loi du 20 août 2008, qui ouvre le jeu en mettant fin aux privilèges historiques des cinq «grands» (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC).

Autre innovation sociale : la rupture conventionnelle, une séparation à l’amiable entre un salarié et son employeur, rendue possible en juin 2008. Là encore, on en trouve l’esquisse dans le rapport Attali, qui propose de «réduire l’incertitude liée à la rupture du contrat»- c’est-à-dire le recours à la justice, potentiellement coûteux pour l’employeur. La procédure permet aussi au salarié de toucher des indemnités chômage, ce qui n’est pas le cas après une démission. Depuis 2011, le nombre de ces ruptures oscille entre 20 000 et 32 000 par mois, au prix d’un débat sur une possible perversion du dispositif de la part de certains employeurs, qui utiliseraient la rupture conventionnelle pour licencier à moindre coût. Au point que les partenaires sociaux ont récemment durci le dispositif.
Dans le cas de l’auto-entreprise, le gouvernement avait également suivi, en l’affinant, une proposition du rapport Attali. Celui-ci souhaitait voir «instituer un statut fiscal simplifié pour les entreprises qui réalisent moins de 100 000 euros de chiffre d’affaires par an».
En août 2008, la loi de modernisation de l’économie créera bien un nouveau type d’entreprise individuelle, assorti d’un régime social et fiscal allégé – sous réserve de ne pas dépasser un certain seuil de chiffre d’affaires.
Est-ce tout ? Il faudrait encore citer les pôles d’excellence universitaires prônés par le rapport : «La France a besoin d’environ 10 universités de taille mondiale», pouvait-on lire, les autres établissements étant appelés à conserver «leur vocation régionale ou nationale». L’idée sera retenue, même si seulement huit projets seront développés dans un premier temps et bénéficieront de 6,3 milliards d’euros issus du «grand emprunt» de 2010.
Sur le travail du dimanche, Jacques Attali aura également été entendu : une loi de 2009 a créé de nouveaux types de zones dérogatoires aux règles existantes en la matière.
Sur d’autres sujets mentionnés par le rapport, Nicolas Sarkozy s’est montré plus timide. Comme pour les professions réglementées, qu’Attali proposait d’«ouvrir très largement à la concurrence». Le gouvernement s’en était toutefois tenu à une fusion des avoués et des avocats à la cour. La suppression des départements et celle du principe de précaution mentionné dans la Constitution sont également passées à l’as.
CE QUI A ÉTÉ FAIT PAR HOLLANDE
«François Hollande est le meilleur président depuis François Mitterrand», disait Jacques Attali en octobre. Certaines des «décisions fondamentales» recensées dans son rapport ont été de fait reprises par le chef de l’Etat. Pas forcément à la lettre. Ainsi préconisait-il de renforcer les régions et les intercommunalités en faisant disparaître en dix ans l’échelon départemental : «L’objectif est de constater à dix ans l’inutilité du département, afin de clarifier les compétences et réduire les coûts de l’administration territoriale.» Dans sa réforme territoriale, le gouvernement a bien décidé d’opérer une simplification d’échelle, mais en réduisant le nombre de régions de 22 à 13 et en ne touchant que partiellement aux départements.
Autre préconisation retricotée par l’Elysée : la réduction du coût du travail «pour toutes les entreprises en transférant une partie des cotisations sociales vers la CSG et la TVA». Une première
étape pour alléger les charges des entreprises a été actée en 2013 avec la mise en place du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) qui leur permet de bénéficier d’un crédit d’impôt équivalent à 6% de la masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le Smic. Le Pacte de responsabilité intègre en plus 4,5 milliards de baisses sur les cotisations patronales, dès 2015 pour des salaires inférieurs à 1,6 Smic, puis jusqu’à 3,5 Smic à partir de 2016.
En 2008, dans sa proposition 268, le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française suggérait de conditionner les prestations familiales aux revenus des ménages pour rendre la politique familiale plus redistributive. Bingo. Décembre 2014, le Parlement a adopté la modulation selon les revenus des allocations familiales, que les familles touchent à partir du deuxième enfant. La mesure sera applicable en 2015.
Le sujet des class actions a lui été réglé dans la loi sur la consommation de février. Ce type de recours permet à des groupements de consommateurs d’intenter une action en justice collective. Au sens du rapport Attali, ces actions visaient à «accroître la confiance des consommateurs dans l’économie de marché». Et dans la loi, elles sont bien réservées à des associations de consommateurs agréées.
Autre sujet cher à Jacques Attali, la formation professionnelle. La décision 139 prévoyait notamment «qu’un salarié qui quitte une entreprise puisse utiliser les droits à la formation accumulés lors de sa période d’activité pour accompagner son reclassement». La loi sur la formation du 5 mars 2014 a créé le Compte personnel de formation, attaché à la personne tout au long de la vie active. Mais Jacques Attali a jugé globalement la loi «catastrophique».
Concernant les seuils sociaux, certaines idées sont actuellement sur l’établi. Il faut «assouplir les seuils sociaux qui constituent aujourd’hui un frein à la croissance et à la création d’emploi», constatait le rapport, suggérant une représentation unique dans toutes les PME de moins de 250 salariés. Une des propositions phares du Medef – dans la négociation sur la modernisation du dialogue social très crispée qui réunit les partenaires sociaux ce mercredi – vise à créer une instance unique de représentation du personnel, le «conseil d’entreprise»… Attali aura bien inspiré aussi le patronat.
CE QUE VEUT FAIRE LA LOI MACRON
Texte fourre-tout destiné à doper l’économie en libéralisant certains secteurs autant qu’en simplifiant des réglementations jugées désuètes et génératrices de rentes, le projet de loi Macron reprend nombre de propositions du rapport Attali sur la «libération de la croissance». Et pour cause : son rapporteur n’était autre que l’actuel ministre de l’Economie.
Premier gros paquet de la loi, la réforme des professions réglementées que le rapport Attali abordait de front sans prendre de pincettes. Il suggérait notamment de supprimer le numerus clausus de diverses professions (notaires, avocats à la Cour de cassation, etc.) en autorisant la libre installation, et de favoriser la concurrence en améliorant la transparence des tarifs. Une logique au cœur du projet de loi qui les plafonne et a donné lieu à une large concertation avec les professions concernées. Le projet final n’aborde plus la réglementation des professionnels de santé comme les pharmaciens également visés par le rapport Attali. Leur délicate réforme a été renvoyée à plus tard et confiée à la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Autre morceau de choix, la libéralisation du travail du dimanche figurait déjà, quoique succinctement, au menu du rapport Attali. Ce dernier suggérait qu’il soit étendu sur la base du volontariat «en priorité aux petits commerces de centre-ville avant de l’être aux grandes surfaces». En donnant le pouvoir aux maires d’autoriser jusqu’à douze ouvertures par an le dimanche (dont cinq seront automatiquement accordées sur simple demande), le texte traduit en actes le rapport Attali. Mais il va plus loin avec la création de «zones touristiques internationales» (les Champs-Elysées ou le boulevard Haussmann à Paris, par exemple) qui seraient ouvertes 365 jours par an et «en soirée». Une disposition destinée à renforcer l’attractivité de la capitale pour les touristes – notamment les visiteurs chinois – mais qui inquiète au plus haut point les commerces de proximité.
Parmi les nombreuses entrées du texte, on retrouve également nombre de sujets déjà abordés en 2008. Comme la modernisation des règles de l’urbanisme commercial que recommandait déjà Jacques Attali à travers toute une série de mesures censées faciliter l’activité des commerces de proximité. Last but not least, il se penchait sur la question de l’épargne salariale en proposant de la rendre obligatoire dans les PME à partir de 20 salariés. Une thématique reprise par Bercy qui s’attaque à cette question afin, par exemple, de permettre aux  start-up d’attirer des talents qu’elles n’ont pas les moyens de rémunérer immédiatement.
Dans son inventaire à la Attali, l’ex-rapporteur ajoute enfin des mesures nouvelles 100% Macron comme la «régulation» des sociétés d’autoroute, la libéralisation du transport par autocar ou la réforme de la justice prud’homale.
CE QU’IL RESTE À FAIRE SELON ATTALI
A écouter Jacques Attali, il manquerait à la politique du gouvernement au moins deux mesures, essentielles à ses yeux : la suppression du principe de précaution et une réforme d’ampleur de la formation professionnelle. Créé par Jacques Chirac, le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, divise beaucoup plus la droite que la gauche, qui y reste attachée. Au nom du progrès et accessoirement pour permettre l’exploitation des gaz de schiste, Nicolas Sarkozy est pour le supprimer. Mais NKM, sa vice-présidente à l’UMP, est contre.
Hollande a toujours considéré que la réforme de la formation professionnelle était sa priorité. Mais Attali estime que la loi Sapin, née de la négociation entre partenaires sociaux, n’est pas à la hauteur des enjeux. Pour être une arme efficace contre le chômage, Attali estime qu’il faudrait que 30% des fonds aillent directement aux chômeurs. Ce qui n’est pas le cas au
jourd’hui.
Grégoire BISEAU, Christophe ALIX, Frédérique ROUSSEL et Dominique ALBERTINI

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