Le travail du dimanche : hérésie ou stupidité ?

Agoravox, 20/10 – SALTZ 

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Et revoilà sur tous les tons l’homélie au travail du dimanche, panacée pour retrouver la santé de la sainte croissance.

Le grand-prêtre l’a dit et tous les officiants du petit écran s’en viennent prêcher la bonne parole, en répétant qu’il serait hérétique de les contredire et en présentant des interviews au ras des caniveaux, appelés pour cela « radio-trottoir ».

Surprise devant une caméra, une pauvre Madame Michu déclare sans conviction, comme si on lui avait soufflé le texte, être contente de pouvoir faire ses courses le dimanche parce que son travail et ses déplacements lui prennent trop de temps en semaine.

Et pour faire objectif, une autre dame lui succède en s’y opposant au nom de la vie de famille.

Voilà qui est bien pesé. Autant de secondes pour chacun des deux avis. Une voix pour, une voix contre.

Que les valeurs qui soutiennent chacune de ces positions ne soient pas de même nature, peu importe. La société de consommation est mise à égalité avec la vie privée. L’important est le demi-point espéré de PIB, pas les millions de vie désunies.

La question est basique : Que préfères-tu ? Faire du lèche-vitrine et la queue dans un magasin ? Ou te retrouver avec ceux que tu aimes ? Pour ces gens-là, la réponse va de soi : Aller dépenser mon argent, évidemment.

Pour faire faire passer la pilule, le commentateur – je n’ose pas dire le journaliste – ajoute que les travailleurs dominicaux seront des volontaires et qu’ils seront payés double.

Quand on a été salarié dans l’industrie et dans la grande distribution, on sait que le mot volontariat a la même acception que dans l’armée. Pour ceux qui n’ont pas fait leur service militaire, un volontaire est en réalité un désigné d’office. Quand le chômage te menace, ta liberté de répondre par un oui ou par un non est franchement limitée.

Quant au doublement des salaires, n’est-ce pas ce même commentateur qui évoquait la suppression du Smic ?

Alors à terme, deux fois plus que quoi ?

Il faut que les princes qui nous gouvernent aient un certain aplomb pour oser affirmer qu’un surcroît de travail allaient relancer le PIB et redresser le pays.

Aucune théorie économique ne l’a prouvé, et de toutes façons l’économie n’est une science que dans la bouche de ceux qui le revendique, pas dans celle des spécialistes des « sciences dures », c’est à dire des sciences authentiques.

D’abord rien n’est moins sûr, économiquement.

Ensuite, supprimer des libertés, la liberté d’avoir un jour de repos et la liberté de se réunir en famille ou entre amis, pose le problème de l’organisation sociale, de ses fondements purement financiers et du sens de la vie.

S’attaquer à la famille, c’est atomiser l’individu pour qu’il soit plus malléable. L’évolution des allocations familiales va dans le même sens. Le discours officiel est net : pour que le pays soit fort, faisons comme l’Allemagne, et arrêtons de faire des bébés, sans appréhension du déclin démographique. 

Le travail était une valeur, pas seulement dans la France de Pétain. C’est par lui que la société pouvait survivre. Il était indispensable et c’était normal que chacun participe.

En moins d’un siècle, les temps ont changé.

Le travail de l’homme est mis en concurrence avec le travail des robots et autres automates.

Une armée de comptables a été remplacée par un simple tableur.

Les véhicules sont de plus en plus autonomes, et pas seulement les lignes de métro.

Les magasins sont accessibles sans personne via internet. On peut faire son shopping jour et nuit, voir la marchandise et payer, et les entrepôts se vident de magasiniers et les drones de livreurs sont expérimentés.

Mais le gouvernement est en retard. Profondément conservateur, il n’a pas prévu de loi pour les véhicules sans conducteur qui sont
actuellement expérimentés, et, de peur du futur, il bloque les VTC au bénéfice des taxis dont les chauffeurs espèrent un gain non de leur labeur mais de la spéculation sur leur licence.

Le travail n’est plus accessible, et par conséquent ce n’est plus une valeur. Combien de millions de personnes aimeraient en avoir ? Et travailler est loin d’être la meilleure façon de s’enrichir, voire de survivre. Il suffit de demander aux salariés SDF.

Cette évolution a changé l’image du travail. Un artisan me disait que les jeunes ne pensaient plus à s’enrichir en travaillant mais en achetant un bien immobilier et en le revendant. A défaut d’être une valeur, la spéculation était la nouvelle règle. Avec l’inversion de la courbe de la pierre, est-ce toujours vrai ?

Mais revenons aux princes qui nous gouvernent et à leur état d’esprit qui s’est révélé quand ils ont changé le nom de « gestion du personnel » en « ressources humaines ».

Il est devenu flagrant que le personnel devenait une ressource au même titre que le matériel ou la matière première.

Ce n’est plus qu’une variable qu’on ajuste au gré de la conjoncture, sans affect.

Ce manque d’humanité débouche sur des principes de gestion clairs :

pour faire baisser le coûts des salaires, il faut un certain niveau de chômage et maintenir la crainte d’un licenciement dans le contexte difficile de recherche d’emploi

il faut supprimer toutes les contraintes des entreprises vis à vis du travail : temps, horaires, salaires, durée hebdomadaire, durée dans la vie humaine, …

La fin d’une vie de travail arrive avec la retraite, mais là aussi l’ajout des conditions pour l’obtenir répond à la même logique. Le nombre de trimestres validés augmentent, et comme les études se prolongent et que le calcul de la pension est calculé sur un nombre d’années toujours plus grand, la retraite arrive de plus en plus tard avec une pension de plus en plus faible.

La précarité est un bon moyen de contenir le peuple, y compris les cadres et la classe moyenne qui sont rétrogradés dans la plèbe.

C’est un retour à marche forcée vers le passé, vers l’Ancien Régime, et bientôt vers l’Antiquité.

L’Ancien Régime, c’était le temps des taillables et corvéables à merci. (NDLR : pas exactement : les taux de prélèvements actuels sont beaucoup plus élevés que sous l’Ancien Régime)

La corvée était un travail obligatoire non payé : la suppression du lundi de Pentecôte a été le premier pas symbolique, avec l’acquiescement des partis et des syndicats dits de gauches (NDLR : la corvée était un impôt perçu de manière non pécuniaire, à cause de la rareté de la monnaie à cette époque. Elle est tombée en désuétude au XI° siècle)

L’épisode affligeant de l’écotaxe, votée à l’unanimité, qui se termine par un dédit de plus d’un milliard d’euros à une entreprise privée, révèle un autre retour à l’époque pré-révolutionnaire :

c’est le retour des fermiers généraux chargés de la collecte des impôts indirects

Encore un grand pas en arrière, dans le silence général.

Le travail du dimanche, hérésie ou stupidité ?

Non.

C’est l’application du slogan « Le changement, c’est maintenant ».

Oui, mais vers quoi ?

Vers l’époque du servage, avec en ligne de mire l’esclavage.

 

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