Travail nocturne et dominical: «Les entreprises ne gagnent pas plus en ouvrant davantage»

2/10/2013

INTERVIEW – Philippe Askenazy, économiste chercheur au CNRS décrypte les avantages et les inconvénients de l’amplitude horaire élargie des magasins…

Avec le débat sur le travail de nuit et dominical relancé par SephoraCastoramaet Leroy Merlin, «20 Minutes» a voulu savoir qui des clients, des salariés ou des entreprises étaient les gagnants et les perdants de l’amplitude horaire élargie. Les réponses de Philippe Askenazy, économiste directeur de recherche au CNRS.

L’élargissement de l’amplitude horaire des magasins est-elle réellement bénéfique à leur chiffre d’affaires, comme ils le soutiennent ?

Il n’y a aucune corrélation entre la libéralisation des horaires des magasins et le niveau de consommation dans un pays: les clients du dimanche seraient venus à un autre moment dans la semaine, si le magasin n’avait pas été ouvert. Par ailleurs, une plus grande amplitude horaire génère des frais fixes supplémentaires (électricité, nettoyage…) pour les entreprises du commerce. Elles ne gagnent donc pas plus en ouvrant davantage, mais prennent un avantage sur leurs concurrents. Les principaux perdants du système sont les petits magasins indépendants qui restent fermés ce jour-là.

Mais est-ce bénéfique à l’emploi ?

Pas vraiment, car comme la clientèle s’étale sur davantage de jours, les magasins prévoient moins de personnel en semaine pour en ajouter le dimanche. Ce système contribue donc à la réduction du nombre d’heures travaillées et favorise le partage du temps de travail. Aux Etats-Unis par exemple, les horaires élargis ont permis d’augmenter l’emploi de 1%, mais ont parallèlement contribué à la destruction d’emplois dans les petits commerces. Autre exemple parlant: la Bavière est la zone la plus prospère d’Europe et affiche un très faible taux de chômage. Pourtant les horaires des commerces sont les plus contraints en Europe.

Le travail de nuit et le dimanche est-il favorable au pouvoir d’achat des salariés ?         

Pas toujours. Car si les salariés qui travaillent le dimanche dans les périmètres dits «d’usage de consommation exceptionnel» ont droit à des compensations (rémunération doublée, journée de récupération…), ceux qui exercent dans des zones touristiques ne bénéficient généralement d’aucun avantage. Et là où le travail du dimanche est banalisé, comme aux Etats-Unis, il ne donne plus droit à des avantages spécifiques. C’est la même logique en ce qui concerne le volontariat. Dans les pays où le travail dominical est généralisé, les employeurs ne demandent plus leur accord aux salariés pour travailler ce jour-là

Les consommateurs seraient-ils donc les seuls gagnants de l’histoire ?

Ils sont gagnants, car ils bénéficient d’un service supplémentaire. Mais c’est à double tranchant, car l’ouverture des magasins 7 jours sur 7 en Italie, a par exemple favorisé l’augmentation des prix. Pour compenser la hausse des frais fixes engendrés par les horaires élargis, les entreprises ont augmenté leurs prix. C’est d’ailleurs pour cette raison que les hard discounters évitent d’ouvrir le dimanche.

Mais la France n’aurait-elle pas intérêt à simplifier son magna réglementaire sur le sujet ?

La France n’est pas à part. Car la plupart des pays européens ont un principe général (interdiction du travail de nuit et dominical) et des systèmes de dérogation. Par ailleurs, il faut prendre en, compte l’offre commerciale qui est très différente d’une région à une autre. A Grenoble par exemple, le nombre de grandes surfaces étant très limité, la demande est forte pour leur ouverture le dimanche. Ce n’est pas le cas partout ailleurs. Mais, il est surtout urgent d’éclaircir le droit du travail sur ce point. Soit le travail du dimanche est banalisé et il n’offre pas de compensation. Soit il ne l’est pas et il donne systématiquement droit à des avantages.

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