Alors que le décret du gouvernement prévoit une dérogation pour le bricolage jusqu’en juillet 2015, les syndicats redoutent une banalisation du travail le dimanche.
Dans la bataille du travail dominical, les Bricoleurs du dimanche – et les enseignes – ont remporté la première manche : le décret du 31 décembre autorise les magasins de bricolage à déroger au repos dominical, « à titre provisoire », jusqu’au 1er juillet 2015.Des négociations se sont ouvertes jeudi 9 janvier entre la Fédération des magasins de bricolage et les syndicats sur les contreparties pour ceux qui choisissent de travailler le dimanche. « Nous sommes opposés au travail du dimanche mais, pour le moment, le décret est là, nous voulons donc obtenir le maximum pour les salariés », explique Joseph Thouvenel de la CFTC. Mais, si un accord est trouvé, sera-t-il vraiment possible de revenir en arrière ?
Premiers signes d’une généralisation
Secrétaire de la CGT-Commerce de Paris, Karl Ghazi n’a jamais caché son inquiétude : « Ce choix ‘provisoire’ va instituer de nouvelles habitudes de consommation. Dire qu’ils fermeront après, c’est très peu probable. » Un point de vue partagé par Alexandre Torgomian de la CFDT-Commerce d’Ile-de-France : « Je ne vois pas comment, en juillet 2015, il serait possible de fermer Ikea alors que ça fait 30 ans qu’ils ouvrent le dimanche. » Des premiers signes de généralisation ont d’ailleurs vu le jour avec le décret : l’autorisation pour les enseignes de bricolage ne se limite pas à l’Ile-de-France mais couvre l’ensemble de l’Hexagone.
Assez confiante début décembre, lors de la remise du rapport Bailly dans lequel elle voyait la fin programmée de la dérogation permanente du secteur de l’ameublement, la CFTC se montre désormais plus prudente même si, officiellement, le syndicat reste sur la même ligne : « Le texte annonce la fin programmée de la dérogation pour juillet 2015. Nous voulons croire à la bonne foi des politiques », lance Joseph Thouvenel. Pourquoi alors vouloir peser sur une situation provisoire ? La réponse de Joseph Thouvenel tombe : « Le texte va s’appliquer. Alors, plus nous parviendrons à obtenir d’avantages pour les salariés, moins cela deviendra intéressant pour un employeur de les faire travailler le dimanche. »
Une mutation de société
La négociation s’annonce tendue, d’autant que le décret ne couvre pas tous les champs concernés par cette dérogation. Les sociétés sous-traitantes dans les transports, la livraison ou la sécurité seront inévitablement concernées par ces nouvelles ouvertures dominicales et ne sont pas prises en comptes dans le décret. « C’est une véritable mutation de société qui se met en mouvement. Il faut que nous puissions avoir un débat sur le sujet », souhaite Joseph Thouvenel.
Les syndicats ont déjà exprimé leurs regrets sur la publication de ce décret avant toute négociation, contrairement à ce qui avait été annoncé par le gouvernement. Certains représentants des salariés avances le terme de « trahison ». Dans un communiqué, Force ouvrière dénonce « le contexte de la négociation qui n’est pas loyal étant donné que la contrepartie voulue par la partie patronale est déjà offerte par le gouvernement, par un décret partial. »
Un jour comme les autres
La banalisation progressive du travail le dimanche s’accompagnera logiquement d’un assouplissement de la loi : « Pour le moment, quelques majorations vont pouvoir se négocier ici où là. Mais, quand tout le monde sera concerné, le dimanche deviendra un jour comme les autres et les majorations disparaîtront. Cela se verra dans dix ans », redoute Alexandre Torgomian. Aussi, la CFTC souhaite-t-elle s’en tenir à l’objectif « provisoire » : « Autant profiter de cette période pour préparer la reconversion de ceux qui bossent le dimanche ! »
Le plus redouté par les représentants des salariés est sans doute l’appel d’air que le décret promet de provoquer : si le bricolage est autorisé, pourquoi un magasin Carrefour qui dispose d’un rayon bricolage dans la même zone commerciale ne pourrait-il pas ouvrir le dimanche. Même chose pour une enseigne de matériaux comme Point P, qui vend aussi du bricolage, ou un Darty qui vend de l’ameublement avec ses cuisines équipées.
Une négociation serrée
A ceux qui plaident pour un développement économique et des créations d’emplois, la CFTC répond par l’exemple allemand si souvent évoqué pour son succès au cœur de la crise comme le souligne Joseph Thouvenel : « L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse sont les trois pays européens où il y a le moins de chômage. Ce sont aussi ceux qui ont la réglementation la plus stricte sur le dimanche ! »
La question de la légalité du décret va se poser dans les semaines à venir. Alexandre Torgomian prévient : « Il y aura une opposition de la part des syndicats au niveau de l’OIT [Organisation internationale du travail, NDLR] avec un objectif simple : faire annuler le décret au niveau de l’Ile-de-France. » Quoiqu’il advienne, trouver un accord ne sera pas aisé alors que FO et la CGT ont déjà annoncé qu’elles ne signeraient pas. Et si les 30% nécessaires étaient atteints au niveau national en imaginant une alliance CFDT et CFTC, les autres pourront faire jouer leur droit d’opposition. Alexandre Torgomian explique que « s’il n’y a pas d’accord. C’est le décret qui s’applique. C’est alors à chaque entreprise de mettre en place un dispositif interne pour des salariés. »