Syndicats : pourquoi le travail dominical illustre leur échec

Le HuffPost  |  Par Grégory RaymondPublication: 09/01/2014 07h19

syndicats travail dominicalSOCIAL – Doublement au minimum de la rémunération, volontariat, repos compensateur, engagements en termes d’emploi et d’accès à la formation, remboursement des frais de transport… telles sont les garanties mises sur la table pour encadrer le travail du dimanche dans les enseignes de bricolage. Syndicats et enseignes du secteur vont tenter de se mettre d’accord à partir de ce jeudi 9 janvier sur ces contreparties proposées par le gouvernement. Mais attention toutefois à ne pas crier victoire trop vite: les négociations s’annoncent quasiment perdues d’avance.

Le gouvernement était parti le premier avec son décret publié le 31 décembre, suivant les recommandations de la mission menée par Jean-Paul Bailly, l’ancien patron de La Poste. Selon le texte, les magasins de bricolage sont autorisés à déroger au repos dominical, à titre provisoire, jusqu’au 1er juillet 2015. Les enseignes en ont profité dès le 5 janvier: davantage de magasins ont ouvert, selon leurs directions respectives.

Pour obtenir cette autorisation, la fédération des magasins de bricolage (FMB), qui regroupe la plupart des enseignes, s’est engagée auprès du gouvernement sur des garanties pour les salariés. Sauf que les syndicats n’ont pas été sollicités avec ce passage en décret et plusieurs d’entre eux refusent désormais de se joindre à la négociation. Une sacrée épine dans le pied des entreprises et de leurs salariés, noyés dans un flou juridique depuis plusieurs mois.

La majorité des syndicats vexée par le décret

Les syndicats CGT, CFDT et Force Ouvrière (FO) ont annoncé qu’ils ne signeraient pas cet accord. Peu importe le contenu des contreparties. Le problème? Ces syndicats sont très remontés par la publication du décret sans concertation. « Nous avions dit que nous n’accepterions pas de négocier sous la contrainte et que nous voulions que le décret soit précédé de négociations. Nous sommes mis devant le fait accompli », a regretté Patrick Ertz, président de la fédération CFTC du commerce.

Plusieurs conditions ont été avancées, a posteriori. La CFTC aurait aimé que la notion de volontariat soit inscrite dans le marbre. « Que quelqu’un volontaire un jour ne le soit pas toujours », explicite à son tour Laurent Berger (CFDT). « Mais à aucun moment Etat et entreprises n’ont laissé entendre le contraire. C’est bien le fait que les syndicats n’ont pas été consultés qui ne passe pas ». Pourtant, cette disposition fait bien partie des contreparties pour lesquelles la fédération du secteur s’est engagée.

Même son de cloche du côté de FO, pas chaud pour se mettre à table. « Nous n’allons pas signer un accord qui remet en question la convention 106 de l’OIT (Organisation internationale du travail), ratifiée par la France, sur le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux », a affirmé Christophe Le Comte, secrétaire fédéral du syndicat. Un vrai dialogue de sourds.

« Nous ne sommes pas dupes, les syndicats sont juste convoqués pour valider les contreparties », a par ailleurs souligné Dominique Holle, secrétaire fédéral CGT au commerce. Et devant tant d’adversité, il y a peu de chances que les contreparties soient finalement entérinées.

Pour valider l’accord, ce dernier doit être signé par des syndicats réalisant au moins 30% d’audience et ne pas être frappé d’opposition par des syndicats réalisant 50% des voix. En 2013, dans la branche du bricolage, la CGT a obtenu 26,94% des voix, la CFTC 24,84%, la CFDT 24,26%, FO, 19,96% et la CFE-CGC 4%. La CGT et FO, qui représentent à eux deux 46,9% de voix, ont d’ores et déjà annoncé qu’elles ne signeraient pas le texte. Cela condamne quasiment la possibilité d’une issue positive. De leur côté, la CFTC et la CFDT sont favorables à la négociation.


L’Édito éco de Nicolas Doze: Travail dominical… par BFMTV

Les ouvertures le dimanche ne seront pas menacées, mais…

Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi de prendre de vitesse les syndicats et légiférer par décret? « Cette dérogation vise à apporter, à titre transitoire, un cadre juridique stable pour les ouvertures dominicales constatées dans ce secteur », s’est contenté d’expliquer le ministère du Travail au HuffPost. Derrière cette décision, il y a surtout la volonté de ne pas traîner.

Le décret vise à combler le vide dans lequel les différentes enseignes s’opposent depuis quelques mois (Bricorama contre Leroy Merlin et Castorama). Selon la suite logique, le texte gouvernemental doit maintenant être complété par un accord avec les partenaires sociaux fixant les contreparties pour les employés. Toutefois, en cas d’échec sur le consensus, les magasins pourront quand même ouvrir. Ils s’exposeront toutefois à des mouvements syndicaux devant leurs portes.

Cette négociation arrive en pleine séquence sociale très forte sur le travail de nuit (ou plutôt du début de soirée). L’intersyndicale du commerce parisien Clic-P est parvenue à fermer à 21h les portes d’Uniqlo, Apple, BHV, Galeries Lafayette et récemment Sephora. Ces enseignes pourraient prochainement être rejoints par le Printemps Haussman et la parfumerie Marionnaud, installée sur les Champs-Elysées. Des audiences sont prévues d’ici la fin du mois de janvier.

L’intersyndicale a l’intention de frapper fort encore cette année. Et d’assigner systématiquement toutes les enseignes qui cherchent à contourner la loi sur le travail de nuit. Carrefour est également sur le banc des accusés.

Le radicalisme des syndicats court-circuite le dialogue social

Et Clic-P ne compte pas en rester au travail de nuit. « L’année 2014 va être très compliquée pour les entreprises. Toutes celles qui ne respectent pas la loi en la matière seront poursuivies », a déclaré Alexandre Torgomian (CFDT), membre de l’intersyndicale. Sur le travail du dimanche, l’intéressé se veut déjà menaçant: « Si un accord vient à être signé (ndlr: avec les enseignes de bricolages), il faudra qu’il soit dénoncé ».

Clic-P a été vivement critiquée par les salariés de ces entreprises, qui l’accuse « d’une perte de salaire nette ». « On ne comprend pas la décision de la cour d’appel, nous demandons juste de pouvoir continuer à travailler », avait affirmé lors de l’audience la CFTC, premier syndicat chez Sephora. Lors de notre reportage sur la dernière fermeture à minuit, une écrasante majorité d’employés nous avaient confié leur incompréhension face aux agissements de l’intersyndicale. Tous nous ont assuré que les représentants de Clic-P n’avaient jamais consult
é les salariés de Sephora avant de saisir la justice.

Pourquoi des mouvements comme Clic-P pensent être mieux placés pour décider à la place des salariés? « Les syndicats français sont une minorité qui profite de privilèges d’audience qui ne sont absolument pas justifiés », explique au HuffPost René Lasserre, directeur de recherche sur l’Allemagne contemporaine et spécialiste des syndicats. « En France, le taux de syndicalisation dans le privé plafonne à 5%, quand l’Allemagne tourne autour de 25% ». Avec ce faible niveau, les syndicats français sont plus « des petits partis politiques sociaux », estime cet expert. Impossible donc de représenter le plus grand nombre…

En France, les différentes factions syndicales sont « très idéologiques », rajoute René Lasserre, qui dénonce leur posture « tribunitienne ». Ces derniers seraient donc incapables « d’afficher un sens des responsabilités économiques », préférant se consacrer à « une surenchère doctrino-politique contentant une minorité ». « Nos syndicats ont adopté une logique de contestation du système plus que de réforme et d’amélioration des dispositifs existants », déplore René Lasserre. La séquestration sans résultat durant 30 heures des deux cadres de Goodyear par la CGT dans l’usine d’Amiens-Nord cette semaine illustre bien un climat de tension peu favorable à la négociation.

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