Pourquoi la droite chrétienne, si prompte à s’enflammer sur d’autres sujets comme le mariage pour tous ou l’avortement, est-elle si peu mobilisée pour défendre le repos dominical ? L’écrivain Sébastien Lapaque s’interroge.
Commentant les attaques dont est victime la loi Lerolle du 13 juillet 1906 sur le repos dominical, Jean-Philippe Mallé, député PS des Yvelines, nous confiait les difficultés qu’il avait à mobiliser les députés UMP qui se sont publiquement affirmés catholiques à l’occasion des débats sur le mariage pour tous. Peu d’entre eux semblent par ailleurs juger chrétien le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, en particulier le texte de loi visant à punir d’une amende les clients, voté à l’Assemblée nationale en décembre avant d’être examinée au Sénat.
Voilà qui est éclairant. Au début de l’année 2013, lors de la discussion du projet de loi Taubira ouvrant le mariage et l’adoption aux couples du même sexe, il nous avait en effet semblé voir certains députés UMP se muer en nouveaux chevaliers du Temple. À écouter leurs prônes enflammés, nous avons cru entendre des chrétiens du XIIIe siècle priant les homosexuels de vivre chastement et sobrement afin que la volonté de Dieu soit faite sicut in cælo et in terra, « sur la terre comme au ciel ».
Nous étions bien abusés. Découvrant, quelques mois plus tard, le peu de cas que ces défenseurs de la famille et de la morale traditionnelles font de ce que l’anarchiste Proudhon nomme joliment la « fériation dominicale » dans la Célébration du dimanche, (1839) et des infortunées Marie-Madeleine roumaines, albanaises et chinoises qui tapinent sur les boulevards des Maréchaux à Paris, il nous est apparu que leurs appels à la résistance cachaient au mieux de la mauvaise foi mêlée de pudibonderie, au pire de l’homophobie.
Si c’est la famille millénariste que voulaient protéger ceux qui sont bruyamment descendus dans la rue pour dire qu’ils ne lâcheraient rien, ils déploieraient autant d’énergie à défendre le repos du septième jour prescrit par le Seigneur dans le livre de l’Exode. En quête de valeurs susceptibles de les distinguer de la gauche sociale-libérale au pouvoir, la droite révolutionnaire a exagéré la réalité de ses convictions morales. Depuis le temps, on commence à bien connaître ces gens. Ils aiment trop l’argent. « Et ils ont violé le sabbat (…) car leur cœur courait après les idoles », fulmine le prophète Ézéchiel (20, 13-16) cité par l’apologiste chrétien Ernest Hello dans un vigoureux pamphlet, récemment réédité, intitulé le Jour du Seigneur (1871). Partant, les prédicateurs libéraux n’ont guère de difficulté à les persuader que le dimanche est un manque à gagner – c’était déjà l’argument contre le repos dominical de l’auteur de l’article Dimanche paru dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Mais l’Encyclopédie, c’est l’annonce de la Révolution française et de ce qui allait suivre dans le domaine de l’organisation du travail : la loi Le Chapelier interdisant les corporations de métiers en 1791, l’abolition du repos dominical après la suppression du calendrier grégorien en 1793, l’avènement de la cupidité bourgeoise et l’extension d’une misère ouvrière qu’Émile Zola n’a pas peinte avec exagération. Au XIXe siècle, il n’a pas semblé extravagant aux socialistes et aux chrétiens de lutter ensemble, chacun de son point de vue, contre la férocité de l’organisation sociale libérale et bourgeoise. « Conservons, restaurons la solennité si éminemment sociale et populaire du dimanche, non comme objet de discipline ecclésiastique, mais comme institution conservatrice des mœurs, source d’esprit public, lieu de réunion inaccessible aux gendarmes, et garantie d’ordre et de liberté », écrivait l’incomparable Proudhon sous une monarchie de Juillet dont Balzac décrivait alors la brutalité et la bêtise. En oiseau des tempêtes à l’imagination toute remplie d’enchantements fulgurants et de fureurs mystiques, le Breton Hello lui fit écho trente ans plus tard avec des images bibliques : « La profanation du dimanche est un attentat contre l’Alliance. Elle efface le signe que Dieu fait. Elle est le crime contre l’arc-en-ciel. Le repos et l’Arche sont sans cesse rapprochés dans l’Écriture. »
Il fallut cependant attendre encore plus de trois décennies pour qu’une loi accorde aux salariés de l’industrie et du commerce une relâche hebdomadaire de 24 heures fixée le dimanche – à la fois au nom de la religion, pour la santé des travailleurs et dans l’intérêt des familles. C’est qu’alors la morale catholique et la dignité ouvrière ne paraissaient pas incompatibles aux hommes de bonne volonté. Il y avait des gens de droite qui souhaitaient pour les travailleurs une législation protectrice de leurs droits et de leurs intérêts.
On songe à Albert de Mun, député monarchiste du Morbihan et grande figure du christianisme social, qui fit interdire le travail de nuit des femmes et des enfants en juillet 1891. Et à Paul Lerolle, député de Paris, membre de l’Action libérale populaire, proche du Sillon de Marc Sangnier, à qui l’on doit la loi de 1906 sur le repos dominical. Une loi qui fut obtenue de haute lutte. Au cours des années 1904-1906, les querelles à la Chambre sur cette question furent en effet vives. « Pourquoi empêcher de travailler celui qui le veut quand il le peut ? », demandaient déjà les libéraux. L’argument n’était pas nouveau, il était celui de l’abbé de Saint-Pierre au XVIIIe siècle. Répondons-lui à la fois avec Ernest Hello – « Pour l’arc-en-ciel » – et avec Pierre Joseph Proudhon – « Pour la poésie, pour la joie du dimanche ».
À lire
La Célébration du dimanche, de Pierre Joseph Proudhon. L’Herne, 152 pages, 9,50 €. Le Jour du Seigneur, d’Ernest Hello. Éditions du Sandre, 94 pages, 12 €.