Ça turbine déjà à plein régime…
Depuis plusieurs jours, alors même que le rapport de M. le Commissaire Bailly n’était pas déposé, on peut entendre les médias le commenter et nous habituer aux premiers « éléments de langage » qui nous seront soigneusement distillés au cours des prochains jours.
Finis les mille-feuilles législatifs, la complexité d’un système, l’imbroglio juridique, autant de critiques portées au régime en vigueur issu de la Loi Mallié et de la Loi Chatel.
Voici la réaffirmation du principe du repos dominical pourtant décrié quelques jours auparavant, la remise à plat, vantée comme plus lisible et plus juste.
Après le désordre absolu, voici soudainement la « souplesse ordonnée » de Monsieur Sapin.
Bonjour le dialogue territorial…
Oubliées les plus de 180 dérogations. Voici désormais la fusion de deux dérogations pour améliorer la situation des salariés et simplifier le système.
Devant le peu d’esprit critique et en l’absence d’analyse profonde sur ces sujets, il vaut mieux y regarder à deux fois pourtant avant de s’enthousiasmer sur ce qui paraît avoir été avant tout un exercice de communication politique.
Du consensuel d’abord : le système actuel tant décrié par tous pour des motifs différents fait l’objet de critiques que nous avions pourtant formulées quant à nous depuis longtemps. De quoi taper sur la majorité précédente. Tout le monde est d’accord et on pourrait s’en féliciter si derrière, à la faveur de la remise à plat proposée, il ne s’agissait pas de remettre en place quelque chose d’encore pire.
Toujours du consensuel : le principe est réaffirmé. Mais, est-ce pour autant réellement le retour aux exceptions de bon sens en supprimant de la liste toutes les dérogations datées ou injustifiées ?
Le titre est beau : une société qui s’adapte en gardant ses valeurs.
En réalité, le résultat du scénario proposé, c’est tout l’inverse.
Comment oser encore prétendre à la réaffirmation du principe quand ce dernier, loin d’être renforcé se vide plus encore de sa substance qu’il ne l’était dans le cadre de la Loi Mallié ?
Est-ce là chercher avant tout à imiter l’hypocrisie de la précédente modernisation législative ou de donner un os à ronger à la gauche qui gronde.
La Loi de 1906 votée à l’unanimité a constitué le modèle de la construction internationale du repos hebdomadaire.
Elle a été torpillée principalement en deux lois :
– La première, dite Loi Chatel, de janvier 2008, qui crée une dérogation sectorielle profitant à l’ameublement, instituée à la faveur de pressions de lobbies condamnés par les tribunaux pour ne pas avoir respecté la Loi et des salariés qui peuvent désormais travailler le dimanche sans la moindre contrepartie dans toute la France, générant la jalousie des autres secteurs prompts à revendiquer l’égalité.
– La seconde, dite Loi Mallié, d’août 2010, qui réaffirme le principe du repos dominical – car tel est son faux nez et déjà son titre qui :
· crée sur un même territoire des zones où les gros opérateurs économiques, parce qu’ils ont violé la Loi, se voient reconnaître le droit de le faire, au détriment de ceux qui sont de l’autre côté du trottoir qui eux se voient privés du même droit, celui admirable de faire travailler les salariés le dimanche, parce qu’ils ont respecté la Loi. Il fallait déjà l’inventer…
· permet à tous les commerces des zones touristiques ou d’affluence exceptionnelle, de travailler le dimanche, y compris hors saison touristique, sans contrepartie pour les salariés avec une définition de la zone touristique permettant aux préfets de s’en donner à cœur joie
Ces lois de « modernisation », si vous relisez les arguments du promoteur de la dernière et notamment le préambule de ses différentes propositions de loi sur le sujet, devaient pourtant être les lois ultimes.
En réalité, elles sont tellement obsolètes et mal ficelées qu’il faut déjà les remoderniser trois ans après et que l’OIT a déjà indiqué qu’elles ne respectaient pas les principes dégagés par la Convention de l’OIT ratifiée par la France.
Mais le passé n’est pas l’avenir qui nous attend, à suivre le scénario préconisé par Monsieur Bailly.
Et il est fin diplomate, puisque, après avoir indiqué un scénario du pire qu’il entend éviter, il nous propose ensuite un véritable marché de dupes et un solide tour de passe-passe digne d’un prestidigitateur de catégorie internationale.
Un seul article a jamais suffi à affirmer le principe et il est déjà dans le Code du Travail ; il s’agit de l’article L.3132-3 : « Dans l’intérêt des salariés le repos hebdomadaire est donné le dimanche. »
D’ailleurs le rapport ne propose pas de toucher à cet article. Il est hypocrite donc de prétendre que le principe serait en quelque sorte réaffirmé.
C’est aux exceptions permises qu’on apprécie la réalité d’un principe et sa substance. La norme par rapport à l’exception.
Quelles vont être les dérogations supprimées ? Quelles sont les feuilles du millefeuille qui disparaissent.
Finis les PUCE et les zones touristiques, nous dit-on. Finies les dérogations de l’article L.3132-20 du Code du Travail qui permettaient aux préfets toutes les complaisances. Supprimée aussi la dérogation de l’ameublement. Ça, c’est ce qui est écrit sur le papier.
Voici pourtant leurs remplaçants, les PACT et les PACC. Voilà aussi comment les magasins d’ameublement qui se voient sortir par la fenêtre vont revenir par la porte accompagnés de tous leurs amis bricoleurs.
Les PACT ont vocation à s’appliquer partout en France sous couvert de conditions réunies chaque fois qu’il y a une zone touristique. Qu’est-ce qu’une zone touristique pour Monsieur Bailly. Pour faire simple, c’est un secteur où il y a des touristes (page 72 de son rapport).
Le Maire n’a plus la main pour le définir, c’est le Préfet qui in fine décide et qui peut gommer les effets de bord, précédemment appelés « effets de frontière » pour désigner les commerces qui sont de l’autre côté de la rue ou de la frontière définie de sorte que le même Préfet qui a classé la Défense en zone touristique pourra ici créer un PACT.
De même, les PACC ont désormais vocation à exister partout en Ile de France, en appliquant les principes dégagés par le rapport. Toutes les zones commerciales pourront y prétendre et même les commerces isolés par le biais du « lissage des effets de bord ».
Ainsi, là où un PUCE délimitait une zone continue, le Préfet pourra créer un PACC qui désignera les commerces et secteurs où il est possible de déroger au repos dominical sans cohérence pourvu que dans le secteur, il justifie de 20.000m2 de surface commerciale (en réalité, il suffit d’un Ikea par exemple pour atteindre ce quota. Pour exemple, celui qui s’ouvrira à Nice en 2016 fera 40.000 m2 – il suffit encore de deux grandes surfaces de bricolage pour que chacun puisse se rendre compte).
Ensuite il suffit de justifier d’une zone de chalandise de 3.000.000 de visiteurs, de l’adhésion des commerçants et, à titre consultatif, de l’adhésion des salariés.
On nous indique que la dérogation concernant l’ameublement est supprimée, mais rassurez-vous, le commissaire Bailly
précise que les magasins qui sont ouverts, du moins ceux des principales enseignes qu’il a entendues, pourront le rester, étant tous couverts par les futurs PACC.
Un beau tour de passe-passe.
Il écrit que, fondées sur un usage illégal, les dérogations accordées par le passé ne pourront plus l’être pour ce motif car on ne peut se prévaloir de sa turpitude. Rassurant ! Bel exemple d’autorité républicaine !
En fait, là encore, c’est un tour de passe-passe, puisque les dérogations ainsi retirées seront aussitôt remises en œuvre dès lors qu’elles répondront aux critères objectifs qui s’appliquent à tous.
On nous parle d’une dérogation temporaire profitant au bricolage pour mettre fin à un imbroglio le temps que soit supprimé l’amendement qui profite à l’ameublement. Pourtant, il suffit pour cela de retirer l’ameublement de cette liste pour y mettre un terme.
Une autre trouvaille pressentie : pour permettre la transition, on empêche le contentieux d’être efficace.
Fini le recours suspensif contre les décisions préfectorales. En attendant leur suppression, le Préfet pourra accorder des dérogations de complaisance et il faudra attendre trois ans pour faire annuler sa décision.
Pour supprimer le contentieux, rendons le inutile.
Museler les organisations syndicales qui font respecter la Loi républicaine est donc en réalité l’objectif. Les statistiques parlent. Le Commissaire Bailly le sait puisque lui-même reconnaît les dévoiements du système par l’autorité préfectorale, à qui il n’hésite pas cependant à demander qu’on remette les clés du système. Il renvoie au droit commun. Pour mémoire, le juge administratif a refusé de considérer l’urgence pour suspendre un classement en puce de la commune de Montsoult. Trois ans après, il l’a pourtant annulé. Comment on fait, Monsieur Bailly, pour redonner aux salariés leurs dimanches ? Et à leurs familles ?
Mais il y a plus ! et encore mieux ! Même Monsieur Mallié n’avait pas osé, même s’il l’a sans doute rêvé.
Pas de contreparties au repos dominical dans les commerces de moins de onze salariés.
Un conseil aux employeurs : devenez franchisé. Organisez-vous autour de ce concept. Moins de onze salariés. Pas de délégué du personnel, pas de contrepartie au travail du dimanche, moins de pénalités si vous licenciez. Les franchises vont avoir de beaux jours devant elle. Vive le petit commerce dont on mesure toute la liberté par rapport aux franchises qui n’imposent pas d’horaires mais des résultats.
Pour les salariés, leurs droits ne sont pas les mêmes. Le dimanche n’a pas la même valeur selon que vous travaillez pour un petit employeur ou pour un moyen.
Je prends un exemple. Pour les salariés des cuisinistes, pas de contreparties, pas de volontariat. Pour les salariés vendeurs de cuisine d’Ikea, il y aura des contreparties et du volontariat. Cherchez l’erreur pourtant dénoncée par Monsieur le Commissaire Bailly.
On le voit, le point d’équilibre n’est pas le salarié, mais bien le commerçant.
Autre belle trouvaille !
De cinq dimanches du maire on passe à douze dimanches dont cinq à la discrétion des enseignes. On rappellera ici qu’il n’y a pas le choix pour les salariés ces jours-là.
Il n’y a pas de volontariat, juste une contrepartie financière.
D’un dimanche sur dix actuellement, les salariés devront désormais travailler un dimanche par mois… sans pouvoir dire non, et ce, sur la France entière. Les patrons doivent être ravis de voir cette vieille revendication prospérer. En plus, venant d’un gouvernement socialiste, le cadeau n’en est que plus sucré.
Et l’argument de cette augmentation est amusant puisque, c’est parce que les maires ne donnent pas tous les 5 dimanches que les enseignes pourront les prendre de sorte qu’elles en auront toutes au moins cinq. En réalité, perdurera l’atteinte au principe d’égalité dénoncé puisque les maires pourront en donner entre 0 et 7 selon leurs envies.
Selon le commissaire Bailly, le Maire ne pourrait pas adapter les cinq dimanches à tous les évènements. En réalité, c’est faux, le maire dispose de cinq dimanches par secteur d’activité, de sorte qu’il peut les adapter en fonction des besoins propres à chaque secteur.
Il lui suffit de voir comment ça se passe à Paris où ce système est un de ceux qui posent le moins de difficulté.
N’aurait-il pas été suffisant de dire que, lorsque les maires n’accorderont pas, au mois de décembre de chaque année pour l’année suivante, leurs 5 autorisations d’ouverture, s’appliquera alors un régime de principe permettant par exemple d’ouvrir les trois derniers dimanches de décembre et les premiers dimanches des soldes d’hiver et d’été. C’eût été simple, efficace, égal pour tous respectueux des droits de chacun.
Ainsi, chaque maire pourrait alors disposer d’un outil qui lui permet de choisir, en concertation avec ses commerçants et les syndicats locaux, les dimanches d’animation qu’il souhaite instaurer, et ce, pour favoriser plutôt des évènements locaux tels que la Foire de la Saint Martin à Pontoise, les dimanches des fêtes coutumières à Bayonne…
On ne touchait pas aux textes et on donnait satisfaction à chacun en conservant au repos dominical son caractère de principe.
Tous les salariés du commerce se réveillent ce matin avec la possibilité de devoir travailler exceptionnellement le dimanche deux fois plus qu’avant à la discrétion de leur employeur, sans possibilité de le refuser.
Je parle là des salariés du commerce mais rien n’est moins assuré puisqu’il faudra bien une solution pour que les services (transports, sécurité, ménage) accompagnent aussi cette évolution contraire au principe pourtant réaffirmé.
En réalité, la somme des égoïsmes aura eu raison de l’intérêt collectif. C’est comme pour le réchauffement climatique.
En relisant « les jours heureux », ce programme vertueux du CNR et en réécoutant le discours du Général de Gaulle sur l’intérêt général à l’occasion de sa défense de ce programme, on voit bien aujourd’hui qu’une société n’est en crise que par ses valeurs et non du fait de sa richesse toujours plus importante, même si elle n’est plus partagée et même si le poids n’est supporté que par les uns au profit de quelques autres.
Je souffle au Législateur une suggestion quant à un scénario possible.
À compter du 1er juin 2014, finies les autorisations sectorielles, pas juste celles accordées au bricolage, toutes celles qui ont été accordées par l’autorité administrative qui s’est montrée particulièrement encline à satisfaire les demandes, sans vergogne et sans un regard pour la légalité de leurs décisions.
Finies donc aussi les dérogations temporaires au titre des PUCE, des zones touristiques ou les dérogations commerciales de complaisance.
Par la Loi, on met ainsi fin à cette date au plus tard, à toutes les dérogations préfectorales en vigueur et on replace tout le monde à égalité.
Pour les dérogations, voilà le texte que je propose de mettre dans le Code du Travail, celui de l’article 7 de la Convention 106 de l’OIT, à peine amendé, en remplacement de tous ceux existants :
1. Lorsque la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l’application des dispositions de l’article 6, des mesures pourront être prises, par l’autorité compétente, pour soumettre, le cas échéant, des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées d’établissements comprises dans le champ d’application de la présente convention à de
s régimes spéciaux de repos hebdomadaire, compte tenu de toute considération sociale et économique pertinente.
2. Les personnes auxquelles s’appliquent ces régimes spéciaux auront droit, pour chaque période de sept jours, à un repos d’une durée totale au moins équivalente à la période prévue à l’article 6.
3. Les dispositions de l’article 6 s’appliqueront toutefois au personnel employé dans celles des branches d’un établissement soumis à des régimes spéciaux qui, si elles étaient autonomes, seraient soumises auxdites dispositions.
4. Toute mesure portant sur l’application des dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 du présent article devra être prise en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs intéressées, s’il en existe.
D’ici le 1er juin 2014, on se pose et on regarde quelles sont les raisons qui peuvent justifier le recours au travail du dimanche.
Quelles sont les travaux qui ne peuvent permettre que le repos soit dominical : tout ce qui risque de périr ou de ne pouvoir être produit si on arrête l’activité le dimanche : la récolte à rentrer, les vendanges à terminer, les productions industrielles qui ne peuvent être arrêtées, le vivant dont il faut s’occuper, qu’il soit animal ou végétal.
Quels sont les services (on ne parle pas de commerces) fournis qui ne permettent pas le principe du repos dominical ? Il s’agit de ceux qui permettent la cohésion sociale et la continuité de services impératifs pour le fonctionnement de la société : la santé, la sécurité, les services de secours, l’aide à domicile, les maisons de retraite mais on peut aussi faire le choix d’y inclure les services propres à la création du lien social comme ceux de la culture.
Quand l’importance de la population à desservir rend impératif de sacrifier le dimanche ? Il suffit de répondre en terme de « besoins essentiels » de la population s’exprimant plus particulièrement le dimanche, et ce, par opposition à envies du consommateur. Par exemple, j’ai besoin tous les jours de manger et de dormir où que je sois. Voilà aussitôt les commerces alimentaires, les restaurants, les hôtels qui trouvent une exception justifiée, les premiers au moins une partie de la journée. Voilà aussi de quoi assurer aux voyageurs coincés à l’aéroport la certitude de pouvoir s’alimenter entre deux avions ou les touristes des plages bretonnes de quoi être assurés qu’ils pourront se procurer de la crème solaire pendant la saison touristique.
Mais on peut aussi y trouver la justification des fameux cinq dimanches des maires. Ils permettent au Maire d’animer la politique commerciale de sa commune et de faire en sorte qu’elle accompagne des évènements sociaux culturels qui vont attirer une population importante sur sa commune : Un festival de rock, une brocante, une foire, une fête, les soldes.
Cela suffirait à équilibrer les droits de chacun et de faire en sorte que ce qui plait à certains ne soit pas imposé aux autres. Car derrière la caisse, lorsque vous avez souhaité satisfaire une envie de consommateur, il y a un salarié présent.
Il vous restera toujours l’e-commerce bien que la livraison ne puisse être immédiate ; cette attente donnera du goût aux choses que vous attendrez et vous poussera aussi à réfléchir à vos achats…
Reste à voir quelle pourrait être l’autorité compétente : certainement pas les Préfets. Ils ont montré être capables de s’asseoir sur les principes qu’ils doivent appliquer et ne pas être imperméables aux pressions. Bricorama en sait quelque chose. Et le changement de gouvernement en mai 2012 n’a ici rien changé à la complaisance préfectorale.
Pareil pour les maires car les faits ont démontré que lorsque dans la commune d’à côté, un maire accepte une ouverture, le chantage à la délocalisation fonctionne à plein régime pour que l’élu, même le plus indocile, plie à son tour. Car chacun veut assurer la prospérité sur son territoire, percevoir les taxes. Les positions adoptées par certains parlementaires – dans la majorité comme dans l’opposition – qui ont sur leur territoire une des enseignes poursuivies ont également démontré que l’intérêt général est souvent l’intérêt pour son canton, plus que pour celui d’à côté.
Il y aurait ici place à la négociation collective entre les syndicats patronaux et les syndicats de salariés, à deux niveaux au moins : régional et fédéral. Sur deux points, les exceptions et le régime des contreparties prévues pour les salariés qui doivent sacrifier leur dimanche au profit de la communauté.
À défaut d’accord, un décret en Conseil d’Etat pris pourrait être la solution, propice à éviter les blocages et obliger chacun à avancer.