Audition du CAD par la commission BAILLY

COMMISSION BAILLY SUR LE TRAVAIL DOMINICAL

Jean-Paul Bailly – Commissaire responsable – ancien président de « La Poste »

Leïla Derouich – Commissaire – Conseil d’État

Stéphanie Le Blanc – Commissaire – Direction du Travail

 

Audition le 13 novembre 2013 à 14 heures

69, rue de Varenne – 75007 – Paris

De Jean DIONNOT Président du CAD, d’Étienne NEUVILLE Vice-président du CAD, d’Hélène BODENEZ, Secrétaire général du CAD.

 

 

Compte-rendu

 

Comme nous nous y attendions, Monsieur Jean-Paul Bailly n’était pas présent, Madame Leïla Derouich, pas davantage.
Nous avons été reçus par Madame Stéphanie Le Blanc qui nous a accueillis en nous demandant de bien vouloir excuser Jean-Paul Bailly et Leïla Derouich qui, compte tenu des délais impartis pour la remise du rapport au premier ministre, étaient concentrés sur sa rédaction.

 

Avant de nous asseoir, nous avons exprimé notre surprise de n’avoir pas été convoqués plus tôt par la commission alors que nous sommes un collectif citoyen, aconfessionnel et apolitique qui défend le repos dominical depuis 2006, que nous avons réuni plus de 100 000 pétitions pour la défense de ce droit conquis de haute lutte en 1906, que nous ne demandons aucune subvention, aucune cotisation et que nous réunissons parmi nos soutiens, les mouvements anarchistes qui sont pour le droit à la paresse, la L.C.R., le N.P.A.,le P.C., le Front de Gauche, les Verts, les centristes, 60 députés U.M.P. au temps de la discussion de la loi Mallié et une majorité de sénateurs, l’ensemble des syndicats en tout plus de 150 000 citoyens avec lesquels nous communiquons par internet.

 

Madame Stéphanie Le Blanc nous indique que l’ensemble des intervenants auditionnés ont fait acte de candidature auprès de la commission.

 

Par parenthèse, lorsqu’une commission est mise en place pour mener une enquête destinée à informer le gouvernement, théoriquement, il lui appartient de faire la recension de toutes les parties ayant compétence sur le sujet et de les convoquer. En effet, si la commission ne s’appuie que sur les solliciteurs, elle s’expose à n’entendre que les puissants qui ont les moyens de mobiliser une task force et dont l’objectif est de faire pencher la balance de leur côté au détriment des petites organisations.Le risque de porter préjudice à l’objectivité et à l’impartialité de la commission est alors grand. Cette pratique qui a tendance à se généraliser est tout à fait anti-démocratique.

 

Nous décidons de nous asseoir autour de la table afin de témoigner et de participer au débat, de ne pas céder à notre indignation.

 

En préambule, nous déclarons que nous ne sommes pas contre le travail et en particulier contre le travail du dimanche. Nous comprenons tout à fait que, pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bon fonctionnement de la société, certains travailleurs soient obligés de travailler le dimanche.

Non, nous ne sommes pas contre le travail dominical, mais pour le repos dominical donné à tous, sauf exceptions.

 

Nous savons aussi qu’il est toujours possible de trouver des individus, voire des groupes d’individus, prêts à acheter leurs clous ou leur ballon de foot entre 4 heures et 8 heures du matin, leurs balles de tennis ou leur tournevis entre 22 heures et 1 heure du matin ou leur croissant à minuit. Le législateur n’est pas là pour permettre à tous les individus de satisfaire immédiatement leurs pulsions d’achat, mais pour faciliter un vivre-ensemble civilisé, dans l’harmonie et le bien-être du plus grand nombre. Par là le bien commun se trouve préservé.

 

Nous sommes dans une démarche positive en entendant défendre la synchronie du repos hebdomadaire donné le dimanche à tous parce que :

1/ l’homme est un animal grégaire  ; que la personne humaine n’existe souvent que par le regard des autres  ; qu’il n’est de pire détresse que la solitude ;

2/ l’échange, le partage, la vie de famille, la visite aux vieux parents, les activités associatives et bénévoles, les loisirs participent au lien social et à l’harmonie de la société ;

3/ la culture, le sport, la nature, le repos font partie de l’écologie humaine ;

4/ l’ouverture généralisée des grandes enseignes, sera à terme destructrice d’emplois, les embauches de la grande distribution ne compensant pas les pertes dans le petit commerce, l’artisanat et l’agriculture locale, et entraînera la paupérisation de leurs salariés ;

5/ en terme de Chiffre d’Affaires, pouvoir consommer un jour de plus dans la semaine n’augmente pas le pouvoir d’achat mais ne fait que déplacer la somme disponible d’un jour à un autre et éventuellement d’un secteur à un autre, mais sans aucun gain en matière économique ;

6/ en outre, à l’heure de l’E-commerce disponible 7/7 et 24/24, ce sont les emplois des grosses structures (qui d’ailleurs sont toutes présentes sur ce créneau) qui sont menacés à moyen terme et non les petits commerçants sauf si d’ici là ils ont tous disparu ;

7/ nous sommes favorables à la reconnaissance de la pénibilité du travail du dimanche, à ce que, dans tous les secteurs publics ou privés, soit instituée une compensation salariale identique.

 

Nous avons ensuite défendu point par point nos points de vue, nos demandes et nos propositions en suivant la note de synthèse ci-après, note que nous avons remise à Madame Stéphanie Le Blanc à l’issue de l’audition qui aura duré une heure et quart.

 

Nous y avons ajouté les précisions suivantes:

1 – PROBLÉMATIQUE:

1-1 En terme d’emploi

– Nous avons cité l’exemple d’un message reçu le 12 novembre:

 

« Mon épouse et moi avons repris ce magasin le 1er décembre 2010, en location gérance enseigne 8à8 du groupe Carrefour.
Après deux ans de contrat, le groupe Carrefour a souhaité nous vendre le magasin et, au vu des progressions réalisées, de nous faire dans la foulée un changement d’enseigne sous Carrefour Express en mai 2013.Nous avons décidé d’acheter le fonds de commerce et de financer les travaux soit pour un crédit de 220000€.
Aujourd’ hui, nous enregistrons une perte de CA et de clientèle de plus de 50% le dimanche,sans compter l’impact du samedi et du lundi.
Du 1er février au 1er octobre, notre perte nette sur les dimanches s’élève à 60000€, la situation s’était améliorée depuis le 1er octobre à la suite de l’arrêté préfectoral du 23 juillet obligeant les supermarchés de plus de 400M2 à fermer le dimanche en Haute-Garonne, au nom du repos dominical et de la préservation des commerces et marchés de plein vent.
Aujourd’ hui, nous ne pourrons pas supporter une nouvelle fois une perte de CA, et serons obligés de passer par des licenciements.
Je précise qu’aujourd hui, nos salariés sont des pères et mères de familles et nous avons créé deux emplois étudiants afin de permettre à nos salariés d’avoir leur dimanche en famille.

En vous remerciant de votre soutien, Cordialement,M. Potier.

Par ce message, je tenais à vous informer de mon inquiétude, vis à vis des commerces et de la survie des centres de villages.
Si demain nous devions fermer notre commerce, ça serait tous les commercants qui seraient en danger. »

 

 

1-2 En terme social

Les grandes enseignes instrumentalisent leurs salariés contre ceux qui les défendent, c’est-à-dire les syndicats et les mouvements citoyens, sans se rendre compte qu’à terme la généralisation des ouvertures des commerces le dimanche conduit à la banalisation de ce jour à part et donc de tous les avantages qui y sont liés.

Exemple: la filière de l’ameublement, l’Irlande où tous les avantages liés à ouverture dominicale ont été supprimés car jugés non rentables.

Ces puissances financières déboursent des sommes considérables, sommes en dehors de notre portée bien sûr pour acheter des pages de journaux ou pour nous offrir les services d’agences de communication orchestrant l’information aux journalistes, la mise en œuvre d’un plan de communication et le financement de tee-shirts, casquettes et autres gadgets !

1-3 En terme de compensation salariale

En économie libérale chaque composante de l’activité d’une entreprise doit trouver sa juste rentabilité. Considérons ce que toutes les études démontrent – à savoir que l’ouverture un septième jour n’apporte aucun supplément de Chiffre d’Affaires mais opère un simple déplacement. Non seulement il n’y a pas création d’emploi autre que momentanée, mais plus encore, il n’y a aucune justification de compensation financière, de prime de salaire notamment en période de crise.

Exemple : à nouveau la filière de l’ameublement ou l’Irlande.Tous les avantages liés à l’ouverture dominicale ont été supprimés car jugés non rentables.

 

Il ne s’agit pas d’un débat économique, mais d’un débat sociétal et concurrentiel.

 

Débat concurrentiel: les grandes surfaces contre le commerce de proximité afin de s’emparer de cette part de marché.

 

2 – LES DEMANDES du C.A.D.

 

2 – 1 Nous demandons avec insistance que soit à nouveau affirmé le DROIT au repos dominical, pas une réaffirmation cosmétique.
Pour cela, nous demandons que la modification du 1er mai 2008 opérée par ordonnance soit abrogée, qu’on en revienne à une expression efficace et plus sobre du principe avec introduction du verbe devoir :  « Le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche ». La formule « Le repos hebdomadaire est donné le dimanche dans l’intérêt des salariés » a introduit un flou autorisant des interprétations contradictoires. Le travail du dimanche pouvant, selon l’interlocuteur, être considéré dans  « l’intérêt des salariés »

 

2 – 2 Abrogation des amendements « ConfoKéa » et jardineries

 

2 -3 Exceptions oui, dérogations généralisées non

Nous en venons donc au sens des mots. Bien souvent, le mot exception n’est pas bien compris, est pris comme synonyme de dérogation. Nous le redisons avec force :

 

Oui aux exceptions de bon sens, soit à tout ce qui concerne la continuité sociale, la santé, la sécurité, la subsistance. L’objet de l’exception est pris en considération : le travail doit alors être de la même hauteur que l’objet du repos : biens essentiels à la sécurité, à la vie.

 

Non aux dérogations généralisées, à l’élargissement des possibilités de travail le dimanche exacerbant l’individualisme postmoderne, forme en somme de religion consumériste mortifère. Dans la notion de dérogation, il y a la notion d’abaissement, d’écart.

Les infirmiers, les forces de l’ordre travaillant le dimanche, exception de bon sens. Acheter un meuble le dimanche, dérogation très contestable.

 

3 – LES PROPOSITIONS du C.A.D.

Le contexte social actuel est explosif. La question du travail dominical est une opportunité de contribuer à restaurer du lien social, à trois conditions : équité, clarté, consensus.

 

– annoncer une refonte du dispositif, qui comprendrait :

– la restauration de situation de concurrence loyale, par la suppression du concept de PUCE

– une compensation salariale identique pour tous et garantie par la loi

– la modernisation et la simplification du texte (suppression de la dérogation sur les moulins à vent…).

– le maintien, sous l’autorité préfectorale uniquement, de cinq dimanches dérogatoires pour l’ensemble des commerces

 

– mettre en avant :

– rendre hommage à l’utilité sociale des services ouverts le dimanche (transports, services publics, etc)

– valoriser l’égalité de traitement entre salariés : à pénibilité égale, salaire égal

– valoriser l’égalité de traitement entre les enseignes, et restaurer les conditions d’une concurrence équitable

– valoriser la liberté individuelle de travailler le dimanche (l’interdiction ne s’appliquant qu’aux employeurs).

– valoriser l’équilibre entre la distribution de proximité et les grandes enseignes.

– valoriser la clarté des exceptions possibles, et leurs limites

– la duplicité des enseignes qui financent des manifestations de salariés avec le concours de sociétés de communication

 

Madame Stéphanie Le Blanc a ainsi noirci six pages de notes. Nous espérons que la Commission en tiendra compte malgré l’avancement de la rédaction du rapport.

 

En conclusion : nous avons bien compris que la mission de la Commission était limitée et qu’il n’y avait en aucun cas la volonté de revoir le dispositif en place mais de trouver des solutions d’apaisement.

 

Nous avons dit à Madame Stéphanie Le Blanc, qu’ayant bien lu le rapport qu’avait réalisé  en son temps Monsieur Jean-Paul Bailly au C.E.S.E
et surtout sa conclusion, que nous étions méfiants de l’aspect « politique » des pistes qui pouvaient être préconisées et que cela ne nous satisferait sûrement pas si la prochaine conclusion devait être de la même eau.

 

À chacun nous disons qu’il nous faut rester mobilisés que l’aspect contentieux de cette problématique risque de perdurer tant qu’il n’y aura pas un cadre législatif clair, équitable et consensuel légitimant le repos dominical.

 

 

 

 

 



 
 
—— Message d’origine ——
De: « Jean » <jean.dionnot@orange.fr>
À: « LAUGEL Nadine » <nadine.laugel@pm.gouv.fr>
Envoyé 15/11/2013 10:07:27
Objet: Rendez-vous du 12 novembre
A l’attention de Madame Stéphanie Le Blanc.
 
Madame,
 
Hélène Bodenez, secrétaire générale du C.A.D., Etienne Neuville,
Vice-Président du C.A.D. et moi même, vous remercions de votre
dévouement et de votre patience mis à l’écoute de nos arguments,
demandes et propositions concernant le repos dominical et son
corollaire, l’ouverture des grandes enseignes de la distribution le
dimanche.
Nous considérons que la libéralisation du travail dominical conduit à la
destruction du lien social, met en péril le commerce de proximité et de
ce fait l’emploi et conduira inexorablement à la paupérisation des
emplois dans le commerce à succursales multiples.
Tout cela en contradiction avec ce que les lobbies puissants du commerce
nous serinent à grands renforts d’investissements dispendieux.
 
Nous vous prions, Madame, d’accepter nos salutations distinguées.
 
Jean Dionnot-Enkiri
Président du C.A.D.

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