Travail du dimanche: les voies du Seigneur sont impénétrables

Médiapart, 25/10/13 Philippe Ries

Dans l’affaire du travail du dimanche chez certaines grandes surfaces de bricolage en Ile de France, il est un conflit d’intérêt évident qui n’a pas reçu l’attention qu’il mérite.

Même si l’on accepte que le conflit d’intérêt ne soit pas une«notion française» mais une invention de puritains anglo-saxons, comme l’affirme l’orfèvre en la matière qu’est l’ineffable entremetteur parisien Alain Minc, le débat public en la matière a tout même progressé sur ce sujet depuis quelques années, aidés par des scandales notoires, de l’affaire Tapie au cas Cahuzac, en passant par les pérégrinations d’un François Pérol et d’autres éminences moins visibles.

Comme l’actualité récente nous le rappelle, là où l’Eglise catholique a depuis longtemps rendu les armes, ce sont les Francs-Maçons libres penseurs qui ont repris le flambeau dans la défense du jour du Seigneur et sacro-saint repos dominical. C’est en effet un syndicat Force Ouvrière qui, contre au demeurant la volonté des travailleurs concernés, conduit devant les tribunaux un combat qu’il serait bien incapable de gagner sur le terrain. Or, nul n’ignore que Marc Blondel, le volontiers tonitruant ancien secrétaire général de FO, préside aujourd’hui la Libre Pensée, où l’on bouffe du calotin à tous les repas.

Mais si ce syndicat déploie un tel zèle procédurier, c’est qu’il trouve un intérêt sonnant et trébuchant. Quand une plainte débouche sur une condamnation des magasins assortie d’astreintes financières souvent très lourdes (100.000 euros par magasin et jour d’ouverture dans le jugement le plus récent), c’est le plaignant qui touche le jackpot.

Les cyniques diront que ce mode de financement syndical est préférable aux enveloppes d’argent liquide que l’UIMM distribuait aux «acteurs de la vie sociale de notre pays» et qui valent à l’ancien patron de cette puissance fédération du Medef d’être actuellement devant les juges. A ce jour, Denis Gautier-Sauvagnac a du reconnaître que «la chose» était bien destinée à des organisations syndicales qui désignaient des «personnes physiques» pour venir la recevoir dans son bureau, les autres subsides maquillés en transactions commerciales bidon ne suffisant pas à satisfaire les besoins du «dialogue social». Aux sièges confédéraux ou dans certaines fédérations syndicales, même les chez les plus «laïcards» et «révolutionnaires», ont doit maintenant prier et allumer des cierges pour que M. Gautier-Sauvagnac tienne bon sur les «valeurs» qui, dit-il, lui interdisent de donner des noms. Au risque d’aller passer quelques mois ou même années dans un cul de basse-fosse. Et curieusement, aucun des récipiendaires de ces fonds secrets ne s’est manifesté volontairement jusqu’ici pour venir en aide à la justice de son pays. Chez ces gens-là, on ne cause pas, aurait chanté Jacques Brel.

Evidemment, ajouteront les cyniques, les quelque 16 millions d’euros officiellement identifiés dans «la chose» (toute la comptabilité a été détruite) sont de la petite bière au côté des dizaines de milliards que brasse chaque année la «formation professionnelle», en ignorant d’ailleurs ceux qui en auraient le plus pressant besoin c’est à dire les personnes privées d’emploi, dont la tuyauterie tortueuse connaitrait de nombreuses pertes en ligne…pas perdues pour tout le monde.  

Il y aurait beaucoup à écrire sur la place de la grande distribution en France, du massacre architectural qu’elle impose à la périphérie des villes aux contrats léonins qu’elle impose à ses fournisseurs, agricoles ou industriels, du modèle de consommation de masse qu’elle incarne, sans compter l’édification de fortunes familiales considérables, parties ensuite se mettre à l’abri sous des cieux fiscaux plus cléments. Mais c’est un «modèle» dont nos sociétés sont devenues à ce point dépendantes que le changement n’est certainement pas pour demain.

En attendant, force est de constater, une fois encore, que l’intervention brouillonne du législateur aboutit en France à un véritable capharnaüm législatif et réglementaire. Le jardinier du dimanche a le droit de quitter les carrés de son potager pour aller faire ses courses, mais pas le bricoleur. La loi autorise de nombreuses exceptions, au bon vouloir de l’arbitraire préfectoral, l’ouverture le dimanche étant possible ou interdite selon la région, la ville, le quartier, voire même le trottoir. Une usine à gaz ubuesque dont le pays de Descartes a le secret. Et qui comme toutes les machineries équivalentes dans d’autres domaines, favorise la rente. Rente syndicale en l’occurrence.

La solution la plus simple serait évidemment de laisser le pouvoir de décision à la négociation collective entre parties concernées. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

Publié initialement sur Orange.fr, le 17 octobre 2013

PS: depuis l’écriture de ce texte, la procureure a requis deux ans de prison avec sursis (et 250.000 euros d’amende) contre M.Gautier-Sauvagnac, qui n’a pas parlé. Verdict le 14 février 2014.

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