Travail du dimanche : Bricorama dégoûté de la vis

Libération, FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

Alors que le magasin est contraint à la fermeture dominicale, ses concurrents Castorama et Leroy Merlin ont été autorisés, hier, à ouvrir leurs portes.

Le travail du dimanche est l’un des feuilletons les plus animés de l’automne. Il passionne les foules, enflamme les repas de famille, génère des luttes entre salariés et syndicats, et même des manifs poussées par les patrons. Hier, le dernier épisode en date a encore rajouté à la complexité du sujet. En un mois d’intervalle, deux décisions de justice contradictoires ont été rendues, dont celle d’hier, qui autorise Leroy Merlin et Castorama à ouvrir le dimanche. Petit rappel du précédent épisode : le 26 septembre, ces deux enseignes sont condamnées par le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis) à fermer le dimanche quinze de leurs magasins en Ile-de-France, sous peine de 120 000 euros d’astreinte par dimanche ouvert. Rappelons aussi que c’était un troisième larron du bricolage, Bricorama, qui avait assigné ses deux concurrents en référé, lui-même ayant été obligé à fermer après des procédures engagées par FO. Les deux premiers, 70% du marché, ont fait illico appel. D’où l’arrêt rendu, hier, par la cour d’appel de Paris.

Que dit la cour d’appel ?

Elle autorise Leroy Merlin et Castorama à rouvrir leurs magasins franciliens le dimanche (qui n’avaient d’ailleurs pas fermé du tout, sauf un, à Villetaneuse), infirmant ainsi la décision de première instance du 26 septembre. Dans ses attendus, la cour a estimé «irrecevables» les demandes de Bricorama de faire fermer ses concurrents, car elles «se heurtent à l’autorité de la chose jugée». En effet, deux jugements, l’un en référé en décembre et l’autre sur le fond en avril, résultant d’une précédente plainte de Bricorama, avaient déjà débouté l’enseigne. Hier, Castorama et Leroy Merlin se sont dits «soulagés», tout en soulignant que ce«n’est qu’une première étape». Quant au PDG de Bricorama, Jean-Claude Bourrelier, déjà révulsé par cette iniquité, il n’avait plus de mot, hier sur RTL, pour qualifier la décision : «C’est incroyable, insupportable, inadmissible, incompréhensible…» D’autant qu’en plus d’avoir été débouté, il doit verser à chaque concurrent 12 000 euros.

Quelle est la prochaine échéance ?

On est loin du dénouement. C’est effectivement une première manche remportée par Castorama et Leroy Merlin, mais sans surprise, selon Me Christophe Launay, avocat du syndicat de salariés FSIA, demandeur hier aux côtés de Bricorama. «L’audience la plus importante se tiendra le 22 novembre, le juge se prononcera alors sur le fond.» Car une autre procédure lancée en juillet par Bricorama, impatient d’en découdre avec ce qu’il juge comme une distorsion de concurrence, est en cours. Si l’audience du 22 novembre est déterminante, la décision ne devrait être rendue qu’en tout début d’année prochaine.

Qu’avaient fait les enseignes condamnées à fermer ?

Leroy Merlin et Castorama avaient décidé de braver l’interdiction d’ouvrir le dimanche, malgré l’astreinte de 120 000 euros. En réalité, 11 des 15 magasins ont obtenu une autorisation communale. Le maire peut en effet accorder cinq dimanches de suite sur un an. Les trois magasins du Val-de-Marne (Ivry, Vitry et Fresnes) ont bénéficié, eux, d’une autorisation préfectorale, valable un an, mais que Me Launay a immédiatement assigné devant le tribunal administratif…

«Au final, la décision d’aujourd’hui n’apporte donc qu’un répit de quelques semaines pour les salariés», estime l’avocat de Castorama, Me Richard Renaudier. Le collectif les Bricoleurs du dimanche va d’ailleurs manifester aujourd’hui devant le ministère du Travail pour réclamer une modification de la loi.

Que fait le gouvernement ?

Vu le ramdam provoqué par la décision de justice du 26 septembre, le gouvernement a chargé l’ex-patron de la Poste, Jean-Paul Bailly, de remettre un rapport pour fin novembre. Côté enseignes de bricolage, toutes d’accord à ce niveau, on aimerait avoir les mêmes droits que l’ameublement et la jardinerie. Ou que soient évitées les distorsions créées par les Puce (périmètres d’usage de consommation exceptionnelle). Le PDG de Bricorama réclamait ainsi hier de «revoir la législation», afin que les commerces soient «tous ouverts ou tous fermés».

«C’est un mois-clé : Bailly va rendre son rapport, et il y aura une décision consécutive à la nouvelle procédure de Bricorama», souligne Stéphane Travert, député (PS) de la Manche, qui anime depuis avril un groupe d’étude sur l’aspect social du dossier après des grèves de salariés contre le travail dominical dans la Manche, la Corrèze et l’Aquitaine. «Nous avons auditionné la semaine dernière des femmes isolées, à temps partiel non choisi, non couvertes par des accords de groupe. Nous voulons voir dans quel sens nous pouvons faire évoluer la législation sociale et répondre aux préoccupations des commerces de centre-ville.» Et faire la part des choses entre territoire national et Ile-de-France. Le prochain épisode du travail dominical n’est pas encore écrit.

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