Charles Beigbeder est un entrepreneur dynamique, mais double cette qualité par une profondeur de réflexion qui tranche avec certains de ses homologues (en l'occurrence, les propos récents de Pierre Gattaz, pour ne pas le citer !). Comme nous, il pointe les incohérences de la loi Mallié, et les situations ubuesques qu'elle a générées : la conclusion s'impose d'elle-même : la loi Mallié doit être abrogée, et nous devons aller vers une règlementation simple et qui s'impose à tous les secteurs. |
L’ouverture dimanche dernier des quatorze magasins Castorama et Leroy Merlin d’Île-de-France en dépit de la législation sur l’interdiction du travail dominical et de la sentence arbitrale du tribunal de commerce de Bobigny, a obligé le gouvernement à se saisir de la question.
Comme toujours, lorsqu’il y a une décision à trancher, le gouvernement nomme une commission. Celle-ci, présidée par l’ex-PDG de La Poste, Jean-Paul Bailly, doit faire des propositions de réforme avant la fin du mois de novembre.
Avant toute discussion sur d’éventuels aménagements de l’actuelle législation, il convient de maintenir haut et fort le principe du repos dominical.
C’est d’abord un équilibre tiré de l’histoire, un héritage culturel qui rythme à ce point nos semaines dans le monde occidental qu’il semble aussi naturel que l’alternance des saisons.
Naturel, il l’est dans la mesure où il correspond à la nature de l’homme. Celui-ci ne se réduit pas en effet à sa dimension économique mais présente aussi une dimension affective, sociale et spirituelle. « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain » résume l’Évangile (Lc, IV, 4). Il n’est pas qu’un consommateur, ajouterions-nous aujourd’hui.
« Car l’homme n’existe pas pour travailler mais il travaille pour vivre. Le jour chômé vient nous le rappeler. »
Le repos dominical vient nous rappeler que c’est l’économie qui est au service de l’homme et non l’inverse. Le jour chômé (seul ou en famille) est à lui seul la justification du travail effectué au cours des six autres jours de la semaine. S’il venait à disparaître, ce serait la finalité même du travail qui serait en cause. Car l’homme n’existe pas pour travailler mais il travaille pour vivre. Le jour chômé vient nous le rappeler. Prétendre le contraire, cela revient à inverser les finalités de la vie humaine et à dévoyer le travail en nouvel esclavage des temps modernes. Pour noble et épanouissement qu’il soit, le travail reste un moyen ; il ne constitue jamais une fin en soi.
Y a-t-il derrière cette idolâtrie du travail une vision protestante de la société, qu’a si bien analysée Max Weber dans son ouvrage L’éthique protestante ou l’esprit du capitalisme ?
S’il est naturel à l’homme, le repos dominical est aussi un héritage culturel. Institué par l’empereur Constantin en 321, il mit du temps à pénétrer les mœurs mais sous l’impulsion de l’Église, il s’incorpora totalement à l’organisation de la société occidentale. C’est d’ailleurs le dimanche qu’était interdite la pratique du duel, grâce à l’institution géniale de la trêve de Dieu, étendue par la suite à d’autres périodes. Le repos dominical a donc contribué à civiliser les mœurs. Il fut tellement inscrit dans le rythme de la société que la Convention ne put l’abolir lorsqu’elle institua le calendrier révolutionnaire et le culte décadaire (les decadi étant censés remplacer les dimanches). C’est donc tout naturellement que le calendrier grégorien fut progressivement réintroduit sous l’Empire et que la Restauration rétablit le repos dominical (ordonnance du 7 juin 1814). Mais les idéologies sont tenaces et ont la dent longue. À la fin du XIXe siècle, le gouvernement anticlérical de la IIIe République abrogea, par sectarisme idéologique, le repos dominical, afin de laïciser la société et d’effacer toute référence chrétienne dans l’organisation de la vie quotidienne (loi du 12 juillet 1879). Ce n’est donc qu’en 1906 que le repos dominical fut réintroduit, dans le souci d’apaiser des tensions que la séparation de l’Eglise et de l’Etat avaient cristallisé l’année précédente jusqu’à leur paroxysme.
« Le repos dominical est un frein à la fragilité narcissique de ceux qui trouvent dans les activités multiples et la frénésie de loisirs un lieu de compensation illusoire à leur vide intérieur. »
Voilà donc l’équilibre trouvé au fil de l’histoire, que la loi du 10 août 2009 (dite loi « Maillé ») a tenté de préserver au prix d’incohérences qui apparaissent aujourd’hui au grand jour. Les plus criantes d’entre elles concernent les magasins d’ameublement et de jardinage qui peuvent ouvrir sans conditions, alors que les enseignes de bricolage, qui vendent en partie les mêmes produits, ne bénéficient pas de ce droit. Cette inégalité de traitement, source de distorsion de concurrence, conduit à des situations ubuesques : deux magasins situés à quelques mètres de distance, dont l’un peut ouvrir alors que l’autre n’y est pas autorisé. De même, s’agissant du périmètre de la zone touristique d’affluence exceptionnelle décidée par le préfet de police de Paris sur proposition du maire, qui ne recouvre qu’un des deux côtés des Champs-Élysées. Les nécessaires aménagements devront prendre en compte cette réalité afin de parvenir à une situation équitable pour tous, mais en tout état de cause, ils ne sauraient porter atteinte au principe sacré du repos dominical.
Dans une société traversée par l’individualisme, la consommation à outrance et la perte des repères, le repos dominical est garant de la solidarité des liens familiaux et fraternels et ouvre l’homme à sa dimension spirituelle et contemplative. Il est aussi un frein à la fragilité narcissique de ceux qui trouvent dans les activités multiples et la frénésie de loisirs un lieu de compensation illusoire à leur vide intérieur. Sans ce repère, on donnerait raison à Bernanos qui prophétisait à juste titre que « la civilisation moderne […] est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».