Dimanche à Paris

Bertrand Delanoë, 13/10/13

Les dimanches ne doivent pas devenir des jours comme les autres. Ils doivent rester ces sanctuaires du repos, de la gratuité et du partage qui jalonnent des semaines de plus en plus réduites au travail et à la consommation. Ils doivent garantir à l’homme cette part qualitative de liberté qui échappe au règne de la quantité : liberté d’être seul ou en famille, de sortir ou de rester chez soi, d’agir ou de rêver, de réfléchir ou de prier. La convivialité, le sport, la culture, l’engagement caritatif, et même la paresse doivent continuer à réunir dans une forme de repos la plus grande partie de nos concitoyens.

Dans une ville comme Paris, ce principe simple fait face aujourd’hui à une réalité complexe. D’abord parce que le repos et les loisirs du plus grand nombre y nécessitent la continuité de nombreux services publics, notamment dans les transports et les équipements sportifs et culturels. Ensuite parce que la convivialité ne peut y donner sa pleine mesure sans que les cafés, les restaurants, et tous les lieux de rencontre et de discussion ne soient ouverts. Enfin parce que les touristes, qui représentent 10 % de l’activité économique de Paris, n’ont pas nécessairement le loisir d’acheter un autre jour les produits qu’ils souhaitent rapporter de leur séjour. Pour toutes ces raisons l’atmosphère des dimanches parisiens repose à la fois sur le calme et la sérénité que procure la fermeture de 80% des commerces, sur la convivialité que permet l’ouverture des commerces de bouche, et sur la vitalité ciblée des grandes artères touristiques.

Cette déclinaison pragmatique et éclairée du principe du repos dominical fait de Paris une ville qui prend le temps de respirer le dimanche, mais sans pour autant se replier sur elle-même. C’est cette alchimie qu’il est nécessaire de faire vivre dans un monde en profonde mutation. La loi « réaffirmant le principe du repos dominical » adoptée sous le gouvernement de François Fillon ne nous y a guère aidés, tant elle a introduit d’inégalités arbitraires entre les enseignes, les quartiers, et les salariés. D’une rue à l’autre, certains d’entre eux se voyaient offrir ou non la juste compensation que leur valait leur travail le jour où le reste de la société française se reposait.

Ce dispositif est aujourd’hui obsolète, sans avoir un seul instant été en phase avec les idéaux et les réalités de la société française. Les responsables de droite, Nathalie Kosciusko-Morizet en tête, trouvent trop conservatrice la législation dont hier ils vantaient la modernité. Les responsables de gauche réitèrent leur opposition à une évolution qui faisait fi à la fois du dialogue social et de l’égalité entre salariés. Quant aux Français, quel que soit leur point de vue sur la question, ils ne comprennent plus que d’un commerce à l’autre et d’un dimanche à l’autre les grands magasins soient ouverts ou fermés au gré de règlements ou de compromis qui leur échappent. C’est dans ce contexte de désordre et de discorde que le Premier Ministre a demandé à Jean-Paul Bailly de faire émerger d’une vaste concertation un cadre consensuel pour régir durablement le travail et le repos dominical.

Sans ignorer ni la complexité de notre société, ni la légitimité des aspirations qui la traversent, ni les difficultés économiques posées par la crise à tant de travailleurs et de petits entrepreneurs, je reste plus que jamais favorable au maintien d’une exception dominicale éclairée et consensuelle. Les immenses progrès de l’attractivité de Paris depuis 2001 démontrent en effet que le principe du repos le dimanche ne nuit pas au développement économique d’une grande capitale. Le taux de 20% d’ouvertures déjà autorisées rend par ailleurs ridicule l’inquiétude de Madame Kosciusko-Morizet quand elle craint l’exode des riches touristes dans d’autres capitales européennes. Les boutiques étant davantage fermées à Londres qu’à Paris ce jour-là, on se demande en particulier quelle folie pourrait pousser les rares consommateurs qui en ont les moyens à se payer l’aller-retour dans la journée. Quant aux 10.000 créations d’emplois précaires évoquées par les lobbyistes en cas de libéralisation totale du travail, elles ne peuvent être appréhendées sans parler de la destruction symétrique d’autant d’emplois pérennes dans les commerces de proximité et les petites entreprises qui participent de l’art de vivre parisien.

Pour que la pratique parisienne du dimanche perdure, je suggère que nous ne refusions pas de faire évoluer notre dispositif, mais en posant en amont de toute nouvelle dérogation trois conditions sine qua non. Une étude d’opportunité devra démontrer que l’ouverture dominicale demandée sert l’intérêt général – ce pourra être le cas par exemple des commerces culturels. Une étude d’impact local devra démontrer qu’elle ne menace ni l’économie ni l’ambiance du quartier dans lequel elle est sollicitée – pour préserver la viabilité des petits commerces alentour. Un accord clair avec l’ensemble des partenaires sociaux devra enfin offrir aux salariés toutes les garanties auxquels ils ont droit. Le respect de ces trois conditions doit nous permettre d’intégrer les changements du tissu économique parisien sans déroger ni au droit social ni aux valeurs de Paris. C’est dans cet esprit, et en nous appliquant ces règles, que nous pourrons également faire évoluer les périmètres touristiques en fonction de l’évolution des usages et jouer sur le nombre de dimanche « ouverts » autorisés par la loi. De cette manière je suis persuadé que nous continuerons, contre les tentations de dérégulation sociale et d’uniformisation urbaine dont la droite est porteuse, à défendre et faire vivre en harmonie dans notre ville  la justice sociale et le dynamisme économique.

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