24h/24, 7 jours/7: Faut-il laisser la gauche avoir raison toute seule ?

Les Observateurs, 09/01/13

Principe religieux suranné dans une société laïcisée à marche forcée ou minimum syndical pour un peu d’harmonie sociale et familiale, la pression sur le repos dominical, voire le repos quotidien, se fait croissante à mesure que les conditions de travail prennent lentement, la crise aidant, le chemin de la dégradation.

L’ultra-libéralisme en réponse à la crise, le clivage se creuse entre une certaine droite, qui milite pour le droit inaliénable à l’acquisition d’une brique de lait beau milieu de la nuit, et une gauche qui croit trouver dans le soutien des Eglises l’occasion d’une victoire sans péril.

La chose est d’autant plus complexe que nous n’en sommes qu’au début d’un phénomène que le comité référendaire Alliance pour le dimanche identifie sans exagération comme susceptible de faire « tache d’huile ».

Loi sur travail

De quoi s’agit-il précisément ?

En 2009, le conseiller national radical genevois Christian Lüscher déposait une initiative parlementaire pour permettre aux « agents de police » et aux « chauffeurs de taxi » de « pouvoir faire certains achats […] en dehors des heures d’ouverture usuelles », la délicate attention… La chose devant passer par une modification de l’art. 27 al. 1 de la Loi fédérale sur le travail (LTr) – lequel article ouvre déjà le travail du dimanche dans les gares et les aéroports – en y ajoutant ceci: « Les magasins des stations-service qui sont situés sur les aires des autoroutes ou le long d’axes de circulation importants fortement fréquentés par les voyageurs et dont les marchandises et les prestations répondent principalement aux besoins des voyageurs peuvent occuper des travailleurs le dimanche et la nuit. »

L’argumentation de Christian Lüscher fait écho lors des débats parlementaires, « les mêmes collaborateurs qui vendent du carburant et du café n’ont pas le droit de vendre des articles de shop entre 01.00 et 05.00 heures », oubliant toutefois qu’en fait de collaborateurs, il s’agit presque exclusivement d’automates; peu importe, « absurd und bürokratischer Nonsens » martèle le radical uranaisGabi Huber. Les débats au Conseil national ne sont pas aisés, alors que le PDC Christoph Darbellay cherche la bonne mesure dans l’interprétation de la notion d’ « axes de circulation importants fortement fréquentés », la socialiste Ada Marra hisse haut les couleurs des damnés de la terre et dénonce un projet de loi qui « n’est qu’une des munitions lancées par des idéologues du profit à tout prix et sans respect de la vie sociale du personnel pour faire pression de manière plus générale sur les horaires traditionnels, pour prolonger les horaires d’ouverture le soir et le samedi et pour faire sauter l’interdiction de travailler la nuit et le dimanche »; et d’appeler à la tenue d’un référendum. Les inquiétudes de la socialiste ne sont pas feintes, à qui l’on doit laisser que, ces cinq dernière années « ce ne sont pas moins de dix interventions dans ce sens qui ont été présentées au niveau fédéral, sans compter les multiples tentatives cantonales ».

Le référendum est lancé, la campagne s’annonce dure, l’affiche que l’on trouve sur internet, un enfant seul devant la télévision, dit tout de la charge émotionnelle que comporte le sujet et du ton qui sera donné. La surprise, si tant est que l’on puisse parler de surprise, mais c’est ainsi que la RTSsemble vouloir présenter la chose, vient plutôt de la composition des membres du comité référendaire.

Confusion des genres

Employés de banques suisses, socialistes, chrétiens-sociaux, Verts, syndicalistes, théologiennes féministes, évangélistes de tous poils et fonctionnaires de la Confédération se donnent ici la main pour former une ronde tout autour du meilleur des mondes.

Le soutien le plus marquant, celui mis en avant dans les médias, restant celui de l’Eglise catholique par l’intermédiaire de la Commission Justice et Paix de la Conférence des évêques suisses. L’image est forte, Mgr Martin Werlen, Père-Abbé d’Einsiedeln, prenant la parole, solemnel, pour rappeler que « l’homme n’est pas soumis à l’économie mais que c’est l’économie qui est au service de l’homme ». La gauche, par la voix de la coprésidente d’UNIA, Vania Alleva, prend tout de même la peine d’excuser cette alliance fortuite et de rassurer sa base contre tout risque de retour à l’ordre moral. Le commentaire de la RTS est un brin anachronique, qui voit dans cette alliance de circonstance un rattachement de l’Eglise aux idées de la gauche. C’est oublier tout de même que c’est l’Eglise, bien avant la notion même de gauche, qui a parsemé le calendrier de près de 150 jours fériés pour permettre au travailleur de souffler tout au long de l’année.

Côté catholique, d’ailleurs, l’on comprend mal que l’Eglise admette si facilement la tutelle de la gauche sur l’un de ses thèmes traditionnellement propres. Quand il parle de manipulation, Christian Lüscher n’est pas loin du compte, à force d’accointances idéologiques et d’entrisme généralisé, les autorités de l’Eglise catholique paraissent comme maraboutées, qui semblent prêtes, sous le prétexte de la défense de l’être humain, à offrir une victoire politique clef en main à ceux qui, dans les cas de l’avortement, du mariage, de l’adoption, de la manipulation du vivant se veulent des adversaires directs de la défense de l’être humain et des positions de cette même Eglise.

L’on ne peut s’empêcher de sourire en voyant Mgr Martin Werlen assis à la même table que le Mouvement pour la Solidarité et la théologie de la libération&n
bsp;ou le Mouvement des travailleuses et travailleurs catholiques, lesquels militent activement contre le célibat des prêtres et pour l’ordination sacerdotale des femmes, prétention que la Conférence des évêques suisses a écarté poliment, dépêchant ce même Mgr Werlen pour rappeler, en termes choisis, que « hommes et femmes ne sont pas les mêmes, mais de même valeur ! ».

Une alliance contre-nature qui considère la fin sans discerner le moyen, un défaut de discernement qui tranche fondamentalement avec le besoin de positions et de « déclaration claire » manifesté sur ce même site par l’évêque de Coire, Mgr Vitus Huonder, un autre membre de la Conférence des évêques suisses.

Les vraies conséquences

Pour en revenir aux arguments, le comité référendaire a certainement raison de craindre une contamination des autorisations accordées aux “shops” des axes routiers à ceux des aéroports et gares et inversement, un nouvel initiant ayant toujours beau jeu de signaler la nouvelle inégalité de fait, le nouveau non-sens bureaucratique. La seule géographie des textes, dans l’art. 27 al. 1 LTr, semble appeler, à terme, une fusion des chiffres ter et quater dans une disposition unique ouvrant toutes les possibilités sans la moindre restriction par la magie de la tactique des petits pas.

L’Alliance du dimanche ne se trompe pas non plus sur la pression croissante qui pèsera sur ces petits salariés, étudiants, mères célibataires, candidats peu formés, peu instruits, peut-être un jour, comme chez nos voisins, des retraités en mal de liquidités, populations réputées peu capables de se défendre et n’ayant guère le choix sur un marché du travail qui marque le pas de la dureté avant de sauter celui d’une très possible inhumanité.

Là où Christian Lüscher n’apparaît pas d’une franchise totale, c’est lorsqu’il tente de nous convaincre que le fait qu’il n’y aura pas « une minute » d’augmentation du temps de travail ne signifie pas un déplacement d’horaire aux heures les plus avancées de la nuit. Il omet toutefois de préciser que l’ouverture de la vente de denrées alimentaires demandera une présence humaine là où des automates faisaient alors parfaitement l’affaire. Ainsi, pour trois sous, les moins ‘favorisés’ des travailleurs se retrouveront avec des cadences d’internes en médecine de garde et subiront de plein fouet les conséquences que l’on peut imaginer sur la vie sociale et familiale.

Presser le citron de la nature humaine, qui plus est pour élargir une offre commerciale qui n’a rien d’indispensable, a certainement un coût sur la santé physique et psychologique. Que l’on ne vienne plus s’étonner que les plus faibles soient toujours plus nombreux à perdre pied, si leur ultime perspective de développement personnel se résume à se repasser la dernière émission d’Alain Morisod à quatre heures du matin au retour du boulot.

L’on comprend mal, enfin, que la droite gouvernementale se soit séparée à ce point de sa base populaire quelle en soit résignée à tendre de telles perches à une gauche fortement embourgeoisée, mais prête à tout pour reprendre son ascendant sur la défense des travailleurs. Que penser, par exemple, de la réaction d’un président d’un parti démocrate et, surtout, chrétien, qui s’étonne « des menaces de référendum pour quelques dizaines de shops répartis sur 42 000 kilomètres carrés », et semble se moquer comme d’une guigne du sort de quelques uns pour la seule raison qu’ils se trouvent peu nombreux. On est assez loin du sens du préambule de la dernière Constitution, imposé par la majorité d’une commission présidé par un autre PDC, Joseph Deiss, et qui disait ceci, mais c’est déjà si loin: « La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ».

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