S. Lauer (Le Monde), 18/12
« Vous avez le ticket de caisse? » Force ouvrière s’est retrouvée dans la situation du client imprévoyant qui veut échanger ou se faire rembourser un produit sans avoir gardé la preuve d’achat. Le syndicat réclamait 37 millions d’euros à Bricorama pour avoir ouvert ses magasins franciliens le dimanche. Pas de justificatif, pas de condamnation, a répondu le juge, lundi 17 décembre.
Où s’arrêtera l’absurdité de la réglementation du travail dominical? Condamné en janvier pour ouverture illégale, Bricorama était sous le coup d’une amende complètement disproportionnée. La quatrième enseigne française de bricolage risquait, en effet, de payer une somme supérieure à son bénéfice annuel avec les conséquences économiques et sociales qu’on imagine.
Pour sortir de cette situation inextricable, le juge a dû faire preuve d’un certain pragmatisme en faisant le coup du ticket de caisse. L’argument a de quoi laisser pantois lorsqu’on sait que Bricorama n’a jamais contesté contourner la loi. Mais voilà, face à une législation ubuesque, juges, préfets, maires et distributeurs doivent bricoler pour remettre un peu de rationalité là où il en manque singulièrement.
Pour faire court, on peut aujourd’hui acheter en toute légalité le dimanche un meuble ou de quoi fleurir son jardin, mais le magasin qui vend le tournevis pour monter le premier ou le râteau pour entretenir le second, lui, doit rester fermé. A moins d’obtenir une dérogation. Certes, la loi Maillé de 2009 en accorde, mais à force, le système est devenu encore plus illisible. Le territoire français s’est transformé en peau de léopard, juxtaposition incompréhensible où, au kilomètre près, les autorisations varient, créant ainsi des distorsions de concurrence.
Jean-Claude Bourrelier, le patron de Bricorama, avait misé de façon fort imprudente, sous la présidence Sarkozy, sur une modification de la loi, qui n’a jamais vu le jour. Même si un chef d’entreprise n’a pas à jouer au risque-tout en plaçant délibérément son entreprise hors la loi, l’affaire Bricorama a le mérite de relancer le débat sur la nécessité de redéfinir l’encadrement du travail du dimanche.
La libéralisation à tous crins n’a aucun sens. Ni sur le plan social ni sur le plan économique. Mais le régime actuel n’en a pas plus. Si une extrême vigilance sur les contreparties accordées aux salariés doit être de mise, on ne peut balayer d’un revers de la main les milliers de créations d’emploi qui sont à la clef. (NDLR : aucune étude ne démontre une quelconque création brute d’emploi. En revanche, en terme de création nette, il est plus que probable que le travail du dimanche détruise des emplois).
Alors, arrêtons de bricoler avec une législation ni faite ni à faire et remettons-la à plat une fois pour toutes.