Les média ont très insuffisamment relevé, selon nous, le caractère incroyablement hypocrite de la publicité que s’est payée Séphora (qui appartient au groupe LVMH). Mise en cause pour non respect de la loi, Sephora essaye de se faire passer pour une entreprise vertueuse en soulignant qu’elle crée de l’emploi, et utilise la même arme du chantage à l’emploi, la même qu’utilisait Bricorama, si quiconque voulait la contraindre à respecter la loi, qui est la règle du jeu commune de tous les acteurs économiques. Quoi qu’en déclare Sephora, le but premier d’une entreprise n’est pas de créer de l’emploi, mais d’assurer une cohérence économique à son activité, qui en assure profitabilité et pérennité, y compris, éventuellement, au prix d’une pression sur les coûts salariaux. Ce n’est pas pour créer de l’emploi, que le Sephora des Champs est ouvert de nuit, mais pour capter les client du Marionnaud de l’Avenue des Ternes, qui lui est fermé le dimanche, sans qu’aucune taxe pour distrorsion de concurrence (et pourtant, Dieu sait si notre pays est le champion des taxes !) ne vienne corriger cette distorsion. Lorsque LVMH délocalise certaines de ses activités, pour des effectifs incomparablement supérieurs aux 45 emplois des Champs, aucune page de publicité ne vient souligner ce comportement peu exemplaire. Utilisant sa puissance financière, LVMH achète aux media de l’intoxication d’opinon publique. Si le procédé n’est pas nouveau, il y a des indignations qui se perdent. |
A Sephora Champs-Elysées, on travaille le soir et le dimanche. Pour l’instant. Le tribunal de grande instance de Paris doit décider ce jeudi, à la suite d’une plainte de l’intersyndicale du commerce de la capitale, Clic-P, si ces horaires sont contraires à la loi.
Publicité de Sephora sur l’emploi, début décembre 2012
Mais l’enseigne n’a pas attendu le jugement pour répliquer : « L’emploi menacé aux Champs-Elysées… », peut-on lire dans les pages publicité du Figaro, du JDD et du Parisien depuis samedi dernier.
Acheter de l’espace pub pour prendre le lecteur à parti, ce n’est pas une première. Il y a deux semaines, Nutella prenait déjà d’assaut les quotidiens dans une double page pour dire que non, l’huile de palme, ce n’est pas si mauvais que l’on croit.
McDonald’s avait ouvert la tendance deux semaines plus tôt en expliquant au député PS Thomas Thévenoud que la baisse de la TVA ne lui avait pas permis d’engranger 19 millions d’euros comme il l’avait affirmé, mais avait au contraire grevé son budget de 33 millions d’euros.
Les bons élèves de la citoyenneté
Pour Caroline de Montety, enseignante et chercheuse au Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées (CELSA), spécialisée dans la publicité et le marketing, la méthode n’est pas nouvelle. Elle fait appel à la notion de « responsabilité sociale de l’entreprise ».
Ainsi, lorsque Sephora explique par voie de publicité-communiqué que « l’obligation de fermer à 21 heures […] menacerait plus de 45 emplois », l’entreprise joue sur la fibre citoyenne des lecteurs-consommateurs. Pour Caroline de Montety :
« Sephora cherche à allumer un contre-feu sur le fait que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est une bonne citoyenne, puisqu’elle agit pour préserver des emplois. »
Pour McDonalds et Nutella, c’est le même principe. L’un utilise les abaissements de TVA pour embaucher et investir (et baisser le prix du Big Mac de 5%), l’autre utilise de l’huile de palme qui ne participe pas à la déforestation en Indonésie et dont le profil nutritionnel est proche de celui du beurre (et donc, n’est pas dangereux pour la santé).
« On est sur un terrain extrêmement prisé en ce moment : le bien-fondé de la marque sur de grands sujets. L’écologie notamment, la non discrimination, l’emploi, la bonne conduite. »
Publicité de Nutella sur l’huile de palme, en novembre 2012
Pression sur les pouvoirs publics
Mais si nos entreprises sont citoyennes, elles n’en restent pas moins intéressées. Et comme le rappelle la spécialiste en publicité et en marketing, « la parole d’une marque n’a jamais vocation à la neutralité ».
Sephora a la conjoncture économique de son côté, et elle le sait. On peut lire à la fin du texte, en blanc sur fond noir :
« A un moment où notre pays est violemment frappé par la crise et le chômage qui en résulte, la liberté du travail ne saurait être mise en cause pour des raisons idéologiques ou administratives. »
Caroline de Montety explique :
« Sephora cherche à toucher un public consommateurs d’informations, des leaders d’opinion, des leaders économiques, sensibles à cette argumentation. […] On est sur une cible périphérique : des fournisseurs, des banquiers, d’autres chefs d’entreprises ou d’autres dirigeants qui peuvent se retrouver dans ces questions-là et faire du lobbying pour l’ouverture des magasins le dimanche ou le soir. »