Le Blog de Seb Musset on samedi 10 novembre 2012
Les patrons ont compris. Ça paye plutôt bien de chialer à longueur de journée. Après un cadeau fiscal de 20 milliards, la réédition sans condition du gouvernement aux fariboles du « manque de compétitivité« ou l’à-plat-ventrisme express de Bercy face à trois pigeons en ligne, pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ? Dans un climat aussi porteur, la bataille idéologique pour le dynamitage du droit du travail se doit de continuer ! Next stop, le travail le dimanche.
A ce titre, la real-tragédie se jouant à guichet ouvert sur nos écrans autour de l’enseigne Bricorama est un petit bijou de ‘com. Mêlant patron en pleurs, une poignée de salariés manipulés ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez et des journalistes chausse-pied trop contents d’en faire les martyrs de l’oppression syndicale, les péripéties salario-lacrymales du groupe à 25 millions d’euros de bénéfices l’an passé n’ont rien à envier aux épisodes les plus racoleurs du Jour où tout a basculé.
Résumons les faits.
Jean-Claude Bourrelier, boss de Bricorama, a sciemment violé durant des mois une décision de justice en ouvrant ses magasins le dimanche. Suite à la plainte du syndicat FO, l’enseigne risque désormais de régler une ardoise de 37 millions (30.000 euros par dimanche et magasin ouvert) comme par hasard non provisionnés par l’enseigne. Alors que les grosses boites sont promptes à licencier un employé pour un détournement de 3 euros de matériel, une telle erreur de gestion, en sus de l’infraction répétée et préméditée, aurait dû coûter illico son poste à Bourrelier. Et bien non! Quand le patronat veut, il ne compte pas. Pas satisfait de les avoir instrumentalisé une première fois, le patron de Bricorama menace maintenant de licencier une partie des salariés si la justice ne se montre pas plus clémente. Et voilà notre délinquant récidiviste entamant une croisade médiatique où il endosse, avec l’aide de quelques fayots et le soutien appuyé de notre éditocratie, le costume du samaritain victime de la cabale syndicale.
Car, au-delà du trou de compta de l’enseigne, nous sommes ici dans le symbolique à forte valeur libérale ajoutée. La bataille médiatique fait rage, unilatérale. Là dans un reportage du JT de France 2 auquel il ne manque que la musique de La liste de Schindler pour me tirer une larme, on suit le Bourrelier, victime, du tribunal aux rayons de son magasin où il supplie les managers de soutenir les « collaborateurs volontaires » (aka les mecs mal payés comme des merdes le reste de la semaine) dans cette douloureuse peine de repos qui les attend dimanche prochain. Etnos plus grandes plumes d’exprimer une soudaine solidarité avec les salariés à 3 chiffres:
Sur BFM, Olivier Mazerolle et Ruth Elkrief, indignés, se livrent en roue libre à une condamnation de cette condamnation de justice empêchant les pauvres gens de travailler plus pour gagner plus. Au téléthon des patrons, la jeune garde de l’éditocratie n’est pas en reste. Sur Europe 1, David Abiker, apologiste à la cool et multisupports de la soumission salariale la plus hardcore, s’aligne sur l’argumentaire victimaire de Jean-Claude Bourrelier dans une chronique pastiche à peine plus caricaturale que l’original (faut écouter, c’est beau comme du Carreyrou sous LSD). Nos procureurs médiatiques n’ont à la bouche que le mot « la liberté« , nous refaisant le verdict avec un satanique FO au banc des accusés et des salariés dans une galère dont l’état « ubuesque » serait l’unique cause. Et ma brave dame, avec tout ce chômage empêcher ceux qui veulent travailler de travailler: c’est criminel!
Tant de lyrisme de la part de nos Zola du Medef ferait presque oublier que l’immense majorité des salariés ne travaillent pas le dimanche etsouhaitent qu’il en reste ainsi.
Alors rappelons au minimonde des marquises en lévitation:
1/ La « période de chômage » a bon dos. Depuis bientôt 40 ans elle sert à tout justifier, des stages non payés aux coupes de salaires, de la flexibilité au cumul des postes. L’urgence n’est pas de travailler plus, mais d’embaucher plus.
2/ La justice a tranché. Bricorama et son patron sont coupables. Je n’ai pas le souvenir, parmi les verdicts judiciaires relatifs aux moult faits-divers dont les médias nous abreuvent, d’un tel soutien journalistique envers les condamnés.
3/ La liberté à la carte du « salarié qui veut« ne doit pas dégrader les droits fondamentaux de tous ceux qui ne veulent pas.
4/ Si les salariés ont un combat vers lequel ils doivent prioritairement « se porter volontaire » (mais auquel les médias n’apportent bizarrement jamais leur soutien), c’est celui pour être augmenté le reste de la semaine afind’éviter d’avoir à travailler le dimanche !
5/ Je sais c’est injuste, mais que les Abiker, Mazerolle ou Aphatie(payés en une chronique les pieds sous la table le triple de ce que gagne une caissière en suant toute une journée) puissent enfin jouir de la liberté de s’acheter des tasseaux de 12 le dimanche (trop occupés qu’i
ls sont le reste de la semaine à cachetonner d’un plateau à l’autre pour sommer les smicards d’être plus compétitifs) n’est pas une priorité nationale.
La bataille d’influence menée par notre Abbé Pierre des temps modernes et ses disciples d’antenne pour renverser le verdict est un nouveau cheval de Troie vers une dérégulation supplémentaire du code du travail. La suite on la connait déjà. Une fois l’exceptionnel banalisé, le travail dominical généralisé, Bourrelier et consorts pleurnicheront encore. Ils nous rejoueront à grands coups de pathos et de chantage au licenciement, la tragédie du patron victime d’un code du travail bridant toujours plus la croissance entrepreneuriale, et crieront au drame, cette fois, d’avoir à payer double le dimanche pour une journée de boulot désormais comme les autres.