Travail dominical, c'est reparti

JDD, 4/11/12

L’affaire Bricorama confirme les failles de la loi et relance la polémique. Le gouvernement va devoir trancher sur ce dossier épineux.

Le gouvernement reste de marbre. Pas question de céder aux pressions de l’enseigne de bricolage Bricorama, qui fustige les incohérences de la loi Mallié de 2009 sur le repos dominical. Cette réglementation complexe instaure des zones où l’ouverture des magasins le dimanche est autorisée. Une trentaine de magasins Bricorama d’Île-de-France sont exclus de ces territoires, alors que certains de ses concurrents se retrouvent à l’intérieur. En guise de protestation, Jean-Claude Bourrelier, le PDG du groupe, a ouvert en toute illégalité le 7e jour. Attaqué en justice par le syndicat FO, le frondeur risque, vendredi, de régler la somme astronomique de 18 millions d’euros d’astreinte. Au JDD, maître Vincent Lecourt, avocat de FO, parle même d’une pénalité record de 40 millions d’euros.

« Bricorama s’est mis dans une terrible situation en violant la loi en toute connaissance de cause. Il est impensable de créer une exception pour cette enseigne », avertit le ministère du Travail. L’entourage de Sylvia Pinel, ministre en charge du Commerce, est sur la même longueur d’onde : « La loi est la même pour tous. » La promesse électorale de François Hollande de revenir sur une législation qui « crée de l’instabilité » n’est même pas évoquée.

La menace du recours au chômage partiel

Pourtant, le débat s’envenime. Jeudi, Jean-Claude Bourrelier a officiellement demandé aux préfets de lui accorder des dérogations exceptionnelles pour ouvrir . Il faudra bien lui répondre. Enfin, le frondeur, agite comme un chiffon rouge la convocation, mercredi, d’un comité d’entreprise exceptionnel, avec comme ordre du jour le recours éventuel au chômage partiel. Chantage ou réalité? Aujourd’hui, les 32 magasins d’Île-de-France seront fermés pour la première fois. Et Jean-Claude Bourrelier a déjà signalé que 500 emplois sur 2.500 étaient menacés par la procédure en cours. Un argument choc quand la lutte contre le chômage est une priorité.

« Un décret qui accorde une dérogation pour les magasins de bricolage suffirait pour mettre un terme à la polémique, mais je ne le recommande pas », assure le député PS Christian Eckert, coauteur d’un rapport sur la loi de 2009. Et pour cause, le gouvernement Fillon avait envisagé au printemps dernier de prendre une telle mesure. Mais le texte n’a jamais été publié au Journal officiel…

Autre option : réviser la loi. Mais aucun parlementaire ne se bouscule. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des Finances, botte en touche : « Je connais bien les lacunes du système. Il faudrait par exemple imposer un doublement des salaires pour ceux qui travaillent le dimanche, quelle que soit la zone. Mais je n’ai pas de temps à consacrer à cette réforme. » Ou, plus exactement, à ce traquenard. Le débat sur le travail du dimanche a empoisonné une partie du précédent quinquennat. En 2007, Nicolas Sarkozy avait défendu le shopping de fin de semaine pour dynamiser la consommation, et par ricochet l’emploi. Deux ans de polémiques ont suivi. Trois ministres du Travail, Xavier Bertrand, Brice ­Hortefeux et Xavier Darcos, se sont succédé sur ce sujet épineux. Avec à l’arrivée une loi bancale. Et aucune étude capable de prouver l’impact sur les ventes et la création de postes. Bis repetita?

UN CASSE-TÊTE QUI COÛTE CHER

Des textes complexes et mal ficelés : la loi Mallié instaure une règle générale et deux dérogations. La règle générale concerne les commerces alimentaires, qui peuvent ouvrir le dimanche jusqu’à 13 heures. La première dérogation est liée au tourisme. À la demande du maire, le préfet peut créer une zone touristique où le shopping du dimanche est autorisé. L’autre dérogation est plus controversée. Les préfets délimitent pour cinq ans des zones urbaines où l’activité commerciale est intense. Las, les frontières sont parfois arbitraires et ont créé des inégalités entre commerçants. Autre motif de confusion, en 2008, la loi Chatel a autorisé les magasins d’ameublement à ouvrir le dimanche. Paradoxe : un magasin de bricolage doit, lui, décrocher une dérogation pour ouvrir le septième jour.

Plus de 6 millions de salariés :les statistiques sur l’activité dominicale sont rares. La source la plus fiable reste le rapport parlementaire de 2011 cosigné par les députés Pierre Méhaignerie, Richard Mallié (UMP) et Christian Eckert (PS). Il révèle que 9,7% des salariés du commerce sont « habituellement » à leur poste le dimanche, et 26% collaborent « occasionnellement ». Cela concerne 6,2 millions de personnes.

Des centaines de magasins en infraction : difficile de cerner le nombre de « tricheurs ». De grandes enseignes ont tenté de passer entre les mailles du filet : Decathlon, Carrefour City… À Paris, l’intersyndicale Clic-P (CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO et SUD) estime qu’une centaine de supérettes ouv
rent après 13 heures. Elles emploieraient environ 400 personnes. Les procédures en cours sont révélatrices. Selon nos informations, Autobacs, enseigne spécialisée dans les accessoires automobiles, est sous le coup de deux procédures menées par FO. Le 14 novembre, le juge des référés de Pontoise devra se prononcer sur l’ouverture de deux magasins Autobacs d’Île-de-France (Rosny-sous-Bois et Bonneuil-sur-Marne). Le jour suivant, la cour d’appel de Versailles risque de condamner Autobacs à verser 2 millions d’euros d’amende pour avoir ouvert le 7 e jour à Pierrelaye (95). FO aurait aussi assigné le magasin Sephora de Paris Bercy pour le même motif. L’audience serait prévue le 22 novembre.

Le coût exorbitant de l’illégalité : l’inspection du travail contrôle l’application de la réglementation. En cas d’infraction, le magasin paie une amende de 1.500 euros par salarié concerné. Les syndicats ont vite compris la faille : ce montant n’est pas dissuasif. FO en tête, ils ont donc multiplié les procédures pour ouverture illégale en fixant un niveau d’astreinte basé sur le chiffre d’affaires du magasin et les préjudices estimés des employés (même s’ils se sont portés volontaires pour travailler!). Les syndicats arrivent généralement à convaincre les juges et encaissent le règlement des astreintes. Même s’ils promettent de redistribuer ce gain aux salariés…

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