Tribune de Maître Lecourt, 05/11/12
Voici que la Cour d’appel de Versailles confirme une condamnation qui date de janvier en se bornant simplement à demander à Bricorama de respecter la Loi.
Quoi de plus normal pour le Juge que de faire respecter la Loi ? Il suffit de lire la décision pour le constater.
Quels sont ceux des commentateurs qui l’ont fait et qui se permettent ainsi de critiquer sans savoir. C’est pas difficile, quelques médias seulement ont demandé la décision. Trois d’entre eux l’ont anticipée car ils ont suivi le dossier. Les autres se sont bornés à reprendre les informations publiées, multipliant les erreurs de compréhension.
Certains propagent même de fausses nouvelles en prétendant que la société Bricorama a été condamnée à verser 18 millions d’euros à Force Ouvrière. C’est faux. La liquidation d’astreinte sera plaidée le 9 novembre à Pontoise.
Certains ont été donné un chiffre au centime près. Seulement, c’était celui arrêté à la fin mai 2012 et il n’est plus d’actualité.
« Plus vite, plus fort, en criant plus haut que le voisin ». Voilà sans doute la devise de certains commentateurs, au risque de la vérité.
Cela explique que certains affirment que c’est lamentable ou que les syndicats devraient être plus souples sur la question du dimanche, les comparant même à des « ayatollahs ».
Et de plaindre les salariés « volontaires » qui ne vont plus pouvoir compter sur les majorations qui leur sont indispensables pour boucler leur fin de mois, ne s’apercevant pas même de l’antinomie entre les notions de volontariat et de dépendance économique qu’ils utilisent dans la même phrase.
Et de ne pas même remettre en perspective cette condamnation qui est pourtant l’énième prononcée depuis plusieurs années dans un grand nombre de secteurs (le jouet, la chaussure, le bricolage, l’ameublement, le sport, le bricolage,…) parce que des opérateurs économiques estiment ne pas devoir appliquer les lois qui protègent les salariés parce que la Loi ne leur convient pas.
Il est certain que les salariés de Bricorama vont s’apercevoir de la réalité de leurs salaires par rapport à leur travail. C’est déjà le cas de ceux qui sont en province qui doivent s’en accommoder…
Ils vont aussi comprendre comment leur employeur s’est arrangé pour faire en sorte que loin d’être un « plus » ajouté à un salaire décent, cette majoration du dimanche est en réalité nécessaire pour obtenir ce salaire décent. Où est le volontariat lorsque le choix n’existe pas ?
J’ai naturellement une pensée pour eux et leur rappelle qu’ils peuvent être indemnisés comme l’ont été d’autres salariés avant eux pour la violation de leurs droits et qu’il leur est possible de saisir la Justice qui montre que l’on peut compter sur elle pour faire respecter la Loi.
De même, aucun journaliste n’a vérifié la véracité des propos de Monsieur Bourrelier, qui affirme, en sortant du Tribunal que les salariés, appelés chez Bricorama des « collaborateurs » par leur patron, n’auront pas d’intéressement ou qu’une partie va être licenciée finit même par prêter à sourire.
L’argument n’est pourtant pas nouveau et « abracadabrantesque ».
Souvenez-vous de l’enseigne qui avait exposé une affiche noir et blanc avec de grands traits rouges sur des salariés lorsqu’elle avait été poursuivie et condamnée. Pourtant, la condamnation n’a pas donné lieu au moindre licenciement. Pareil dans les autres enseignes condamnées. Souvenez-vous de Castorama qui faisait le même chantage. Pas non plus le moindre licenciement. On ajoutera que celle-ci laisse à penser qu’elle va procéder à un plan social.
Il est pourtant impossible à Bricorama de licencier. Arrêtez-vous une seconde pour imaginer la tête de la lettre de licenciement et la rigolade du juge qui aurait à se prononcer sur sa validité.
Mon cher collaborateur,
Comme je me suis placé dans l’illégalité, maintenant que je dois respecter la Loi, vous êtes viré.
Votre Président actionnaire totalement désintéressé.
Signé Bourrelier
S’agissant de l’intéressement maintenant, la société Bricorama a signé un accord d’intéressement pour la période 2010 à 2012. Il est disponible et déposé auprès de la direction du travail et de l’emploi.
Selon l’article 4 de l’accord du 11 juin 2010, la prime d’intéressement des salariés est calculée sur la différence entre le total des produits d’exploitation et le total des charges d’exploitation.
Est retenu pour le calcul de l’intéressement, le résultat d’exploitation avant amortissements provisions et reprises à caractère d’exploitation et avant prise en compte de l’intéressement. Le résultat pourra être corrigé éventuellement des charges ou produits d’exploitation comptabilisés en exceptionnel. Lorsque le résultat est positif il est distribué un intéressement.
Or, les condamnations prononcées n’affecteront en rien ce résultat d’exploitation de l’entreprise, puisque les indicateurs utilisés sont destinés à apprécier la performance économique intrinsèque de l’entreprise et n’est pas influencé par cette condamnation qui ne correspond en rien à une charge liée à l’exploitation.
Les deux arguments sont donc aussi erronés l’un que l’autre.
En réalité, seuls les actionnaires viennent de voir leur président prendre le risque de voir s’envoler un à deux ans de bénéfices, par son acharnement à ne pas respecter la Loi. Rappelons qu’il aurait suffi à Bricorama de respecter la Loi pour ne pas devoir risquer aujourd’hui de payer 40.000.000 €.
J’ajoute que ce n’est pas le seul risque puisque l’État dont le rôle est de faire respecter la Loi pourrait condamner Bricorama à une amende de 7.500 € par salarié et par dimanche dans la limite d’un an, s’agissant de contraventions. Nul doute pourtant que l’État ne bougera pas le petit doigt, confronté à son tour à cette sorte de délinquance considérée comme socialement acceptable par les pouvoirs publics…
En tout cas, chaque salarié pourra demander individuellement la réparation du préjudice que lui a causé l’atteinte à son repos dominical. La Cour d’appel de Versailles a accordé 15.000 € à un salarié Autobacs et 25.000 € à un salarié Darty. D’autres litiges sont en cours d’examen par les autorités judiciaires.
Faites le calcul du risque pris par Bricorama et son Président et demandez-vous ce qui peut bien le valoir.
Bricorama est une société cotée en bourse. Alors qu’elle se prétend surprise par la décision de la Cour, elle a pourtant régulièrement informé ses investisseurs sur l’action menée par les syndicats à son encontre depuis l’assignation qui lui a été adressée il y a plus d’un an.
Vous noterez au passage que si chez Bricorama, on
ne respecte pas la Loi sociale, on respecte par contre la Loi boursière. L’AMF a sanctionné d’ailleurs la présentation par Bricorama de ses comptes au regard de l’opacité de certaines conventions.
C’est donc bien l’actionnaire qui va y perdre parce que le président de la société a pris un risque insensé, partir du principe qu’il était au-dessus de la Loi et que les juges lui accorderaient un permis de polluer.
Bref, Bricorama espérait une république bananière et vient d’avoir le plus cinglant des démentis.
Maintenant, revenons au sujet du repos dominical. Est-ce moderne ? Est-ce nécessaire dans une économie en crise ?
Dans une enseigne où a été réalisé un véritable travail pour comprendre les motivations des salariés à travailler le dimanche, deux tiers d’entre eux ont déclaré travailler ce jour-là en expliquant que sans la majoration pour le travail du dimanche, ils ne parviendraient pas à faire face à leurs charges. Le dernier tiers indiquait qu’il n’avait pas d’autre choix que de travailler le dimanche. Il s’agissait des étudiants week-endistes, cette chair à canon sur-diplômée qui vient concurrencer les salariés en acceptant de travailler au SMIC à bac+12.
Pas de volontariat réel donc. Juste un besoin de s’en sortir, savamment exploité par les enseignes commerciales qui veulent faire davantage de chiffres d’affaires que leurs concurrents en tentant d’aspirer leur clientèle lorsqu’ils ne sont pas ouverts.
Est-ce que le consommateur a un réel besoin d’une consommation du dimanche ou est-ce une envie ? On notera immédiatement que ces pratiques illicites n’existent principalement qu’en région parisienne alors que les besoins des français et leur niveau d’équipement sont les mêmes sur tout le territoire. Est-ce à dire que les habitants des provinces ne bricolent pas ou qu’ils vont rouler plusieurs centaines de kilomètres pour aller acheter un clou ? Certainement pas. Simplement, ils s’organisent, prévoient et achètent. Les salariés de province gagnent ce temps de repos commun, cette respiration sociale qui met du lien.
Il faut aussi avoir de la mémoire, et se souvenir des avertissements de Cassandre sur l’effet domino de la Loi Chatel et de la Loi Mallié, du mauvais exemple donné par la légalisation de pratiques illicites dans l’ameublement par un législateur peu enclin à faire valoir les droits des salariés, préférant privilégier un pan de l’économie au détriment de tout le reste.
Là où s’était déjà manifesté la carence de l’autorité administrative qui a laissé s’installer des pratiques illicites inventées par les enseignes pour modifier des comportements, est venu s’ajouter l’onction du Législateur qui a donné à cet usage une valeur supérieure à la Loi et à ses engagements internationaux.
On rappellera que le Conseil Constitutionnel à la faveur de la Loi Mallié (décision du 6 août 2009) a rappelé la valeur du principe du repos dominical. La Cour de cassation a également réaffirmé que le repos dominical était appuyé par le principe constitutionnel de la santé des salariés et de leurs droits à une vie familiale normale.
On rappellera encore qu’en 2009, le Législateur, sous couvert de la réaffirmation prétendue du repos dominical, a en réalité enfoncé un nouveau coin dans le principe ainsi réaffirmé en faisant plaisir aux plus gros opérateurs économiques basés dans les centres commerciaux péri-urbains.
Ce faisant, il a laissé passer un message dépourvu d’ambiguïté aux sociétés commerciales : violez la Loi, foulez la aux pieds, faites-vous condamner, le Législateur saura vous récompenser. Il l’a fait en 2008 avec l’ameublement sous couvert de volontariat ou de paiement double qui n’existaient pas. Si l’auteur de l’amendement a reconnu son erreur, elle ne l’a jamais réparée.
Le Législateur a au contraire répété en 2009 le processus avec les PUCE, ouvrant la voie à la régularisation des zones au sein desquelles un usage illicite s’était mis en place. C’est une prime à l’illégalité qui a été accordée, au détriment des zones qui elles, respectaient la Loi qui ne puvent prétendre justifier d’un usage dominical illicite !
Au passage, et par deux fois, on a inversé la hiérarchie des normes. L’usage est supérieur à la Loi, laquelle est devenue supérieure à la Constitution et aux traités internationaux.
Pour ne pas dire qu’il régularisait, le gouvernement a inventé un autre mot : il « sécurise ». Il ne sécurise pas les enseignes, non. Il sécurise les salariés. Une trouvaille d’une agence de communication pour faire passer la pilule.
Désormais, il faudrait « assouplir ». C’est toujours de la com’, relayée et amplifiée en faisant au passage abstraction de la richesse d’un débat qui pose la question de l’un des fondements de la société. En réalité, on supprime le jour de repos hebdomadaire.
Est-ce créateur d’emploi ? Non ! L’expérience le prouve. Il n’y a pas eu de création d’emploi à la suite de la Loi Mallié. Est-ce créateur de richesses ou d’une croissance qui fait défaut ? Pas davantage, l’ouverture dominicale ne fait pas vendre plus. Si vous avez besoin d’un clou, vous n’en achèterez pas deux. Votre budget consacré au bricolage n’augmentera pas parce que votre magasin est ouvert davantage. En réalité, vous allez simplement entraîner un effet d’aspiration de la clientèle vers les magasins ouverts le dimanche. C’est ce que Bricorama dénonce aujourd’hui. Selon elle ses concurrents vont profiter de la fermeture de ses magasins pour accroître leurs parts de marché…
Jocrisse hypocrite, Richard Mallié affirme aujourd’hui sur RTL que ce n’est pas à cause de sa Loi que Bricorama se trouve aujourd’hui exclue du bénéfice des exceptions qu’il a créées.
On rappelle que Plan de Campagne est une de ces zones « sécurisées » alors que le juge avait déclaré la pratique illicite. Le fait qu’elle ait été implantée au beau milieu de la circonscription dudit parlementaire n’est pas pour rien dans son acharnement à faire passer un texte qui ne le concerne plus ajourd’hui, électoralement parlant.
Sur RTL, Mallié ne se souvient même pas du contenu de son projet, tant il a connu de modifications et d’avatars pour aboutir en août 2009 à cette Loi qui montre ses effets pervers.
Il a pourtant réussi le tour de force de créer des zones dans lesquelles il serait permis de polluer l’ordre public social et de s’affranchir du repos dominical des salariés alors que ceux qui resteraient de l’autre côté de la frontière n’en auraient pas le droit.
Rappelez-vous du Président Sarkozy affirmant qu’un trottoir des Champs Élysées à Paris était autorisé à faire travailler ses salariés le dimanche et pas l’autre : un vrai sketch dénoncé comme tel et basé en outre sur des faits erronés.
Qu’a fait Richard Mallié et avec lui les parlementaires de la droite et du centre qui ont voté son texte ? Il a précisément créé de gigantesques aspirateurs de la consommation qui déséquilibrent toutes les zones alentour en attirant la chalandise au détriment de ceux qui la respectent.
Car le consommateur est aveugle et s’en moque, tant qu’il est du bon côté de la caisse. Il va où c’
est ouvert… A part de rares exceptions, il regarde le prix bien davantage que le respect de la norme sociale.
C’est donc Bricorama qui risque de se retrouver en position de dindon de la farce, non pas qu’elle n’ait pas ouvert le dimanche, mais parce qu’elle n’a pas la puissance des Leroy Merlin, Castorama, Conforama ou Ikea et qu’elle ne peut aujourd’hui espérer obtenir de dérogation alors que ses concurrentes se sont déjà goinfrées et ont été sécurisées.
A l’époque de la discussion parlementaire qui a duré plusieurs semaines et qui a été abondamment commentée par les mêmes médias qui aujourd’hui commentent, il me semble que personne n’a pourtant entendu Bricorama hurler alors que se mettait en place le dispositif qu’elle vient aujourd’hui contester parce qu’elle est désormais poursuivie et risque d’être condamnée.
Pendant ce temps pourtant, ses deux principaux concurrents, Leroy Merlin et Castorama, à coups de lobbying auprès des parlementaires et du gouvernement Sarkozy obtenaient les exceptions propres à leur permettre d’avoir une Loi au service de leurs seuls intérêts économiques.
Leroy Merlin et Castorama appartiennent pourtant à la même fédération professionnelle que Bricorama, la Fédération des Magasins de Bricolage. Il revient à cette fédération professionnelle de faire en sorte que les règles soient les mêmes pour toutes. Il suffirait que la Fédération signe un avenant à la convention collective pour faire respecter le repos dominical et pour que du jour au lendemain, il n’y ait plus la moindre difficulté. Les syndicats signeront des deux mains, car aucun d’entre eux n’est favorable au travail dominical.
Les consommateurs qui ne pourront pas acheter le dimanche devront s’en accommoder et s’en accommoderont comme c’est le cas en province. Ils modifieront leurs comportements comme ils l’ont fait dans l’autre sens, tandis que les ouvertures illicites se répandaient.
Y aura-t-il pour autant moins de bricolage ? Certainement pas. Le consommateur qui doit refaire la chambre ou changer sa douche devra s’organiser. Plus, pour faire face, il devra prévoir, disposer de joints pour remplacer celui de son robinet qui risque de flancher, acheter dix clous « au cas où » là où il peut aujourd’hui prendre sa voiture, faire 5 kilomètres pour en acheter un sans un regard pour l’environnement.
En réalité, la société Bricorama a laissé faire ses concurrents en parfaite connaissance de cause. Elle a pensé sans doute qu’en imitant le même modèle, la violation réitérée et constante de la Loi, elle serait récompensé de la même manière.
Bricorama a d’ailleurs tenté le coup puisqu’avant le changement de gouvernement, elle a obtenu de Xavier Bertrand, Ministre du Travail prompt à venir soutenir les enseignes qui violaient la Loi, que soit mise à l’étude une dérogation pour le secteur du bricolage.
Seule la soudaine trouille du gouvernement et la résistance des syndicats de salariés et des syndicats professionnels lui auront fait manquer son coup.
Mettant par exemple en avant les plus petites enseignes, l’intérêt des salariés, celui des consommateurs, là où il ne s’agissait que de gros sous, Xavier Bertrand a fait modifier les textes en faveur des plus gros opérateurs qui seuls peuvent se payer une ouverture 7 jours sur 7.
Je me souviens également du député du Val d’Oise, Axel Poniatowski, soutien affirmé aux contrevenants, dont le journal cantonal s’est vu soudainement sponsorisé par ceux-là mêmes qu’il défendait, venir vanter les mérites de la proposition de Loi Mallié…
Quelle surprise de voir qu’il est aujourd’hui signataire avec dix de ses collègues d’un communiqué rédigé par l’agence de communication de Bricorama qui se retrouve le grand perdant de la Loi qu’il a soutenue.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu que la Loi Mallié aurait des effets pervers et viendrait banaliser la violation du repos dominical des salariés.
La CFTC a critiqué la Loi Mallié en attaquant sa circulaire d’application en affirmant notamment que la circulaire contrevient à la convention 106 de l’OIT, à laquelle la France est partie.
Le Conseil d’État a rejeté le moyen malgré la connaissance pourtant parfaite du rapport de la Commission des Experts comme le soulignent les conclusions du rapporteur Public, Mme Landais.
« Précisément, quel est cet encadrement et la loi litigieuse le respecte-t-il ? Comme le relève la commission des experts de l’OIT dans ses rapports de 2010 (p. 690 et s.) comme de 2011 (p. 728 et s.) sur l’application des conventions et recommandations de l’OIT, la loi de 2009 a incontestablement pour effet de poursuivre une tendance à l’élargissement des possibilités de dérogation au repos dominical. Mais est-elle la loi de trop par rapport à ce que prévoit la convention ? La commission des experts ne le prétend pas et cela nous paraît effectivement difficile à dire compte tenu de la rédaction de l’article 7§1 finalement relativement ouverte aux possibilités de dérogation. »
La Commission des Experts de l’OIT a pourtant exprimé le contraire tant à propos de la Loi Chatel et le fameux amendement Debré (dérogation pour le secteur de l’ameublement) qu’à propos de la Loi Mallié :
« Les considérations sociales, quant à elles, à savoir l’impact de cette dérogation sur les travailleurs concernés et leurs familles, ne paraissent pas avoir été prises en compte ou en tout cas pas au même titre que les considérations économiques. Par ailleurs, si l’ouverture des magasins d’ameublement peut correspondre à un souhait des consommateurs, elle ne paraît pas répondre à une nécessité telle que l’application du régime normal de repos hebdomadaire se révèle impossible. »
Les mesures légales aménagées en faveur des zones touristiques et des PUCE appellent des observations analogues de la part de la commission. Antérieurement à l’amendement introduit par la loi du 10 août 2009, la dérogation en faveur des zones touristiques était limitée dans le temps à la période d’activité touristique et dans son objet aux établissements de vente au détail mettant à la disposition du public des biens et des services pour faciliter son accueil ainsi que le déroulement des activités de détente et de loisirs. Ces conditions qui semblaient de nature à confiner la dérogation dans les limites de l’objectif qui lui est assigné ont été écartées par l’amendement du 10 août 2009 précité. De son côté, l’institution de PUCE répond ouvertement à des préoccupations d’ordre économique qui correspondent néanmoins aux préférences de nombreux consommateurs. Elle a cependant pour effet d’englober dans la dérogation tous les établissements installés dans l’enceinte des grands centres commerciaux sans tenir compte de leur taille ni de l’activité qu’ils exercent, dépassant de ce fait le champ des régimes spéciaux que la convention définit à partir de critères afférents à l’impossibilité de s’en tenir au régime normal qu’elle instaure, en raison de la nature du travail, de la nature des services fournis par l’établissement, de l’importance de la population à desservir ou du nombre de personnes employées (article 7, paragraphe 1). »
Que le rapporteur Public, puis le Conseil d’État puissent faire fi de cet avis interroge. Que le rapporteur public puisse autant se méprendre sur le contenu du texte démontre la méconnaissan
ce totale du fonctionnement de l’OIT et ses mécanismes.
La commission de l’OIT n’est pas un juge, c’est avant tout une instance diplomatique.
L’ONU ne condamne pas l’Iran, mais lui demande d’abord poliment de renoncer avant de prendre des sanctions.
Ici, c’est pareil, La commission des experts ne condamne pas la France, elle « demande au gouvernement de poursuivre l’examen, avec les partenaires sociaux, de l’impact des mesures introduites par la loi n°2008-3 du 3 janvier 2008 et la loi n°2009-974 du 10 août 2009 sur le plan pratique en tenant compte des considérations tant sociales qu’économiques. La commission prie le gouvernement de tenir le Bureau informé des résultats de cette évaluation, ainsi que de toute initiative qu’il pourrait prendre à cet égard. »
On rappellera que le gouvernement est resté taisant, reléguant ce bébé à celui qui lui succèderait. On notera simplement que la commission Mehaignerie chargée d’évaluer la Loi Mallié se réjouissait de ne pas avoir vu d’explosion du recours au travail du dimanche.
En réalité, la commission s’est en effet bornée à prendre en compte les seules dérogations accordées et les seuls arrêtés pris, sans aller voir sur le terrain la réalité des contraventions.
Car Bricorama n’est pas la seule enseigne à avoir été condamnée depuis la Loi Mallié et la banalisation ne concerne pas que le bricolage.
Un inventaire à la Prévert concernant de grandes enseignes permettra de vous faire une idée : Natures et découvertes, Autobacs, Chaussland, La Halle aux Chaussures, Sephora… Tous les secteurs sont en réalité concernés.
Et ce qui est valable aujourd’hui pour le bricolage est valable dans chacun d’entre eux.
Que dire encore du Préfet de la Région Ile de France qui a trouvé le moyen un mois après la Loi Mallié de placer la commune de Montsoult, située en pleine campagne, dans l’unité urbaine de Paris pour « sécuriser » son établissement Leroy Merlin
Que dire du Maire de ladite ville qui a demandé la création d’un PUCE limité à la superficie du terrain où est implanté ladite enseigne après avoir d’abord pris un arrêté pour permettre à l’enseigne implantée sur sa commune de déroger au repos dominical, en usurpant des droits qu’il ne détient pas.
Que dire du Préfet de Seine Saint Denis accordant plusieurs dizaines de dérogations aux enseignes du Centre Commercial le Millénaire sans même que soient respectées les contreparties prévues par la Loi Mallié ? Elles ont toutes été annulées par le Tribunal administratif de Montreuil ? Si elles ne l’avaient pas été, un nouvel usage permettant à terme de justifier la création d’u PUCE aurait vu le jour.
Qui pour dénoncer ces détournements de pouvoir qui atteignent les commerces ?
Qui pour constater que les juridictions administratives et le Conseil d’Etat se sont endormis sur le recours engagé par les organisations syndicales contre l’arrêté du Préfet de Région qui a classé de manière artificielle des communes qui ne peuvent y figurer ?
Quelles excuses cette fois pour enfoncer le coin dans le principe pourtant réaffirmé : Les mêmes que celles usées jusqu’à la corde.
Le bricolage est une activité familiale et de loisirs. Oui, pas le commerce de bricolage. Peut-on au nom d’un loisir empêcher les salariés d’avoir une vie de famille.
Les syndicats ne sont pas hostiles par principe à tout travail du dimanche là où il est nécessaire et où il est impossible de faire autrement. C’est précisément le sens de la convention de l’OIT.
Reprenons le cas de l’ameublement en 2007. Madame Debré a trompé les parlementaires à coup d’arguments erronés pour permettre de régulariser de gros opérateurs, Conforama et Ikea. Résultat : ni volontariat, ni obligation de payer double les salariés et c’est applicable sur l’ensemble du territoire…
On pourrait se dire que cela ne concerne que ces magasins mais ce n’est pas la réalité. Cela concerne tous leurs concurrents et notamment tous les vendeurs de cuisines qui peuvent employer leurs salariés le dimanche et les y contraindre, sans payer un centime de plus.
Était-ce indispensable au fonctionnement de la société que de pouvoir acheter un canapé le dimanche ?
Plus, le secteur de l’électroménager a obtenu des dérogations préfectorales pour ne pas créer de distorsion de concurrence puisque les magasins de meuble vendent aussi de l’électroménager. Ces dérogations par nature temporaires sont devenues en réalité permanentes…
Maintenant, ce serait au tour du bricolage.
Mais je pose la question. Après ! A qui le tour ?
Car si vous admettez le bricolage, qu’est-ce qui justifie l’interdiction d’employer des salariés le dimanche pour d’autres activités aussi banales.
Si la condamnation de Bricorama est la seule à avoir faire du bruit, le travail dominical expose actuellement d’autres enseignes à la justice.
La compagnie européenne de la chaussure, plus connue sous le nom commercial des magasins qu’elle exploite CHAUSSLAND et LA HALLE AUX CHAUSSURES a été condamnée à cesser d’employer des salariés le dimanche sous astreinte. Avec elle, c’est tout un secteur qui pourrait vouloir être régularisé.
Autobacs comparaît le 14 novembre devant le juge des référés de Pontoise pour ses établissements de Rosny sous Bois et Bonneuil sur Marne et le 15 pour répondre de sa violation de la condamnation prononcée par le juge. Avec cette enseigne, c’est tous les magasins et les garages et tout le secteur de l’automobile.
Sephora comparait aussi le 15 novembre devant le juge des référés de Paris. C’est une enseigne appartenant au groupe LVMH qui vend des parfums et des produits cosmétiques. Il faut noter que cette dernière a obtenu à la faveur de la Loi Mallié le droit d’ouvrir 7 jours sur 7 sur les champs Elysées. On pourrait penser qu’elle aurait été satisfaite. Pourtant, désormais, elle s’attaque également au travail de nuit revendiquant la possibilité de laisser l’établissement ouvert jusque 3 heures du matin.
Combien d’autres encore ? Le jouets. La librairie.
A l’heure où le commerce en ligne permet au consommateur urbain de faire ses courses virtuellement, le jour et la nuit, est-il envisageable de permettre que les salariés travaillent le dimanche alors que c’est évitable ?
Chacune des enseignes condamnée dispose pourtant d’un service de vente en ligne.
Faut-il laisser faire et abandonner le repos dominical et plus généralement la régulation du temps de travail des salariés ?
L’OIT considère le repos hebdomadaire comme une des normes essentielles en droit du travail.
Oublions cependant ces principes au nom de la liberté d’entreprendre et même en nous parant du manteau de la liberté du plus faible, le salarié qui doit avoir sa majoration pour vivre dignement.
Alors après ?
Il restera à autoriser les enseignes à embaucher sous le SMIC ? Après tout, c’est aussi une atteinte à la liberté d’entreprendre et une manière de réduire le prix du travail et les prix à la con
sommation puisque les salaires sont répercutés sur les consommateurs.
Il y aura des volontaires, je vous l’assure tant la misère est grande et la concurrence entre les salariés importante. Et toujours une personne interviewé qui dira qu’elle est contente de pouvoir acheter dans cette enseigne un sac moins cher qu’ailleurs.
Je vais donc pouvoir embaucher en payant un salaire sous le SMIC et m’étonner ensuite de la sévérité des juges et même demander une Loi spéciale juste pour me permettre de ne pas devoir licencier mon salarié ou ne pas lui faire perdre son salaire à la fin du mois ?
Quels sont les commentateurs qui ont rappelé que les organisations syndicales ont proposé à Bricorama de renoncer aux astreintes courues à la condition du respect de la Loi et de l’indemnisation des salariés ?
Pour quelles raisons Bricorama s’y est-elle refusée ?
Je vous donne mon explication. Si elle l’avait fait, Bricorama aurait validé le combat du syndicat aux yeux de ses salariés et à l’extérieur et démontré que l’organisation syndicale se fout pas mal du pognon mais cherche à atteindre un résultat, le respect du Code du Travail.
Est-ce trop demander qu’une organisation syndicale demande le respect de la Loi et des droits des salariés ?
Informer est exigeant et résumer en deux phrases un débat complexe impossible. Cette exigence est pourtant un impératif démocratique.