Ouverture des magasins le dimanche : inépuisable feuilleton !

Michel Edouard Leclerc, 23/2/12

Coucou, le serpent de mer est de retour. C’est Frédéric Lefebvre qui s’est fait le porte-parole du Président-candidat. Nicolas Sarkozy veut aller plus loin dans la libéralisation.

Il a des arguments juridiques et économiques. Je ne suis pas contre un remodelage des textes pour plus de liberté. Il n’empêche, je n’engagerai pas les adhérents E. Leclerc plus loin dans cette initiative.

Juridiquement, il faut bien constater que la loi est encore mal foutue. Les commerçants ont le droit à cinq ouvertures dominicales par an. Il y a beaucoup de zones d’exception, essentiellement touristiques. Les textes sont écrits de bric et de broc, avec  des situations évidemment discriminatoires (ne serait-ce qu’à la lisière de deux départements). Et puis, la frontière est ténue entre les magasins alimentaires qui ont le droit d’ouvrir le dimanche matin et les commerces mixtes (type hypermarchés).

D’autre part, de jeunes entreprises peuvent vouloir « travailler plus » sur de plus grandes plages horaires. Interdire de travailler le dimanche, c’est une atteinte à la liberté du travail.

Economiquement aussi, il y a des inepties flagrantes dans les pratiques actuelles. On est en crise. C’est quand même un comble de ne pas pouvoir ouvrir les magasins aux milliers de touristes étrangers quand les cars des tour-operators se contentent, le dimanche, de longer les Galeries Lafayette ou le Bon Marché.

Donc, soyons cohérents, même si nous ne sommes pas demandeurs, on ne saurait revendiquer la liberté d’entreprendre et, en même temps, la limiter dans des plages horaires.

Le candidat socialiste dit-il autre chose ? Non, je ne crois pas. A la liberté proposée par Nicolas Sarkozy, il oppose essentiellement la nécessité de négocier les contours sociaux des nouvelles pratiques. Les salariés ne peuvent qu’être d’accord sur la prise en compte de leurs préoccupations.  Que ce soit par un accord négocié ou par la loi, ça reste un choix politique. Pourquoi ne pas procéder par la loi, comme le souhaite le Président.

S’ils respectent la liberté des autres, les adhérents E. Leclerc ne font toujours pas de l’ouverture dominicale un cheval de bataille. La très grande majorité pense qu’un jour de repos en famille, pour les patrons comme pour les salariés, c’est une bonne respiration.

Ceci dit, si tout le monde a le droit d’ouvrir, on ne sera pas maso, il faudra bien suivre le mouvement.

Et alors là, j’attire l’attention de nos amis politiques : l’accroissement de chiffre d’affaires et d’activité généré par cette liberté systématiquement appliquée ne couvrira pas les coûts sociaux inhérents à ce surcroît de travail ou d’embauches. C’est une des raisons d’ailleurs pour lesquelles la distribution américaine pratique des marges brutes très élevées.

Débattons-en donc, s’il y a vraiment une demande.

Michel-Edouard Leclerc

 

LETTRE OUVERTE DU CAD, EN REPONSE A MICHEL EDOUARD LECLERC

Vos propos ont ceci d’agréable qu’ils sont clairs, voire tranchés. Au moins, il y a de la substance, et de la sincérité !

Ils sont aussi pragmatiques, mais en même temps leur cohérence n’est pas évidente.

En effet, vous dites tout d’abord que « interdire de travailler le dimanche, c’est une atteinte à la liberté du travail. » Puis vous dites ne pas être contre « plus de libéralisation », mais « ne pas vouloir engager les adhérents dans cette voie », car « la très grande majorité pense qu’un jour de repos en famille, pour les patrons comme pour les salariés, c’est une bonne respiration ». C’est contradictoire, tout ça !

Sur la question de la liberté du travail, votre conception de la liberté mériterait d’être approfondie. Qu’est ce qu’une liberté des uns qui aliène celle des autres ?

Il s’agit bien de cela, puisque les impératifs de concurrence sont là : « si tout le monde a le droit d’ouvrir, on ne sera pas maso, il faudra bien suivre le mouvement. » La « liberté » qui est donné à Auchan d’ouvrir contraint tout simplement Leclerc à ouvrir aussi, malgré l’opposition des adhérents. Est-ce une liberté ? L’envie des uns d’acheter un canapé le dimanche oblige tout simplement les caissières d’Ikea à être derrière leur caisse le dimanche, est-ce cela, leur liberté ?

Au contraire de vous, je pense que la loi qui interdit le travail dominical des salariés (rappelons que tout libéral qui veut ouvrir le dimanche peut le faire : seul le travail des salariés est interdit), est une véritable protection des libertés collectives, en édictant une règle qui s’impose à tous (hors cas d’utilité sociale, évidemment). Un peu comme l’interdiction de vendre à perte est une autre mesure qui protège les libertés.

Votre propos est également contradictoire, quand vous regrettez d’un côté que les textes soient écrits « de bric et de broc, avec  des situations évidemment discriminatoires », mais de l’autre quand vous souhaitez des mesures spécifiques pour soient ouverts les Galeries Lafayette ou le Bon Marché, ce qui constituerait une mesure aussi évidemment discriminatoire de plus : pourquoi le petit magasin d’à côté n’aurait-il pas droit d’ouvrir aussi ? Ou celui de la rue adjacente ? Et celui de la rue de derrière, puis ceux de toute la ville ? (Il faut également observer que le « non-chiffre d’affaire » de ces deux magasins, qui ne concerne que peu de personnes, est anecdotique par rapport à la question du travail dominical, qui concerne des millions de personnes en France).

Le travail du dimanche demeure non pas un choix économique, mais  un choix de société : soit le choix d’une société où les droits du commerce sont prégnants 7/7-24/24, avec toutes les bonnes excuses que l’on veut, la crise, les touristes, les caprices de Madame Obama, la concurrence des enseignes, les zones commerciales illégales, les « besoins » d’une population de consommateurs que les méthodes de marketing permettent de modeler – avec quelle puissance – , ou le choix d’une société où ces appétits commerciaux sont régulés par l’autorité politique.

Si je relis vos propos, ils peuvent se résumer ainsi : « je ne suis pas contre », ‘les adhérents n’en veulent pas donc je ne vais pas aller dans cette voie », mais vous terminez par « si les autres le font, nous le feront aussi », tout en remarquant que le travail du dimanche se payerait par une augmentation des coûts, donc des prix finaux.

Cette position n’est-elle pas une position subie, une sorte de démission auquel le dynamisme habituel de la famille Leclerc ne nous avait pas habitué ? Une statégie, bénéficiant de l’image davantage sociale de votre enseigne, qui consisterait à dire « Chez Leclerc, nous n’obligeons personne à travailler le dimanche. Si vous voulez obliger les caissières, les magasiniers, les chauffeurs, qui vous servent à travailler aussi pour vous le dimanche, allez chez la concurrence » ne serait-elle pas de nature à inverser le sens de la pression qui veut toujours plus de dérogations, pour aboutir à une dérégulation totale ?

Etienne Neuville
Secrétaire Général

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