Liberté Politique, 15 Novembre 2011 | Hélène Bodenez
N’est pas Robin des Bois n’importe quel hors-la-loi. Le Télégramme de Brest du 12 novembre (p.7) rend compte de la « discorde » qui saisit à nouveau le « bassin rennais » à propos du travail dominical. Raison invoquée des dirigeants des supermarchés incriminés ? « S’en sortir » !
Depuis 1906, la loi encadrait le « repos dominical ». C’est en ces termes qu’est nommé de manière juridique le repos hebdomadaire obligatoire : un même jour pour tous, le dimanche. Des exceptions existaient bien sûr, encadrées. Pas suffisamment en ont donc décidé certains. Depuis l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy, le passage en force commencé sous son mandat augmente semaine après semaine malgré des vétos d’importance comme ceux du Conseil Constitutionnel. Pour défaire une loi séculaire, à l’importance sociale démontrée, il y a désormais la loi Mallié d’août 2010 qui continue de mettre le feu aux poudres, loi qui a judiciarisé jusqu’à l’absurde une situation qu’on prétendait simplifier. Les jours chômés subissent les mêmes avanies. À Nantes par exemple, les douze supermarchés étaient ouverts ce 11 novembre 2011.
Régulièrement, une poussée de fièvre monte, suivie d’une rémission qui ne dure jamais bien longtemps. Les défenseurs du repos dominical le savent et ne dorment que d’un œil. Singulier depuis le début de la bataille, le mépris de la loi, le mépris de la grande majorité des salariés ne voulant pas travailler le dimanche, en France comme plus largement en Europe, ne voulant pas davantage travailler de nuit.
Un petit nombre veut faire sa loi sans se soucier de l’indignation populaire qui monte.Comme dans l’hypercentre de Marseille.
Dernière étape en date : la zone de Rennes (La Mézière), très significative de l’ensemble de la bataille du dimanche, cheval de Troie pour Paris. Alors qu’un accord avait été trouvé pour que les magasins supérieurs à 700 m2 restent fermés le dimanche, Intermarché (Jean-Pierre Meunier) et Casino (Jean-Charles Naouri) franchissent le Rubicon et se dédouanent de l’accord, prenant le risque de la concurrence déloyale et du coup de canif traître dans les mailles du consensus. Le plus fort de l’affaire évidemment, c’est le téléguidage du Préfet Michel Cadot par le secrétaire d’État à la consommation, Frédéric Lefebvre (Le Mieux est l’ami du bien, Éd. du Cherche-midi), celui qui, sans cesse, parti par une porte revient par la fenêtre ! Et, qui mieux placé qu’un Préfet pour ouvrir la fenêtre ?
Généraliser les dérogations avant 2012, avant que la gauche ne passe ?
Comment interpréter ce nouvel épisode d’un feuilleton irrationnel et brutal ? Croire à une sortie de crise par le travail du dimanche ne laisse toujours pas d’étonner comme si cette recette simpliste allait apporter sa pierre à une croissance plus qu’en berne ! Toutes les analyses sérieuses contredisent ce point.
Frédéric Lefebvre réactive le sujet en pré-campagne présidentielle alors que la majorité des Français, au-delà des partis politiques, ne veut pas de la dérégulation de ce jour « spécial », de ce jour « qui fait société »[1]. Étrange moment politique en vérité. Est-ce un ballon d’essai pour évaluer s’il faut remettre le sujet qui fâche dans le programme ou pas? Ou, à l’inverse, les sondages donnant François Hollande gagnant pousseraient-ils Frédéric Lefebvre à vouloir plus que la loi Mallié, d’urgence, avant que la gauche ne passe, une gauche qui pourrait encadrer plus fermement encore le repos dominical, notamment grâce à un nouveau Sénat à son image ?
La majorité de la Chambre haute du Parlement français a basculé, et l’on sait que le texte déposé encadrant le repos dominical entre en discussion ce 16 novembre et qu’il pourrait être adopté dans les semaines à venir. Bien entendu, les chances d’aboutir concernant une hypothétique lecture à l’Assemblée nationale sont nulles, la majorité ne pensant pas revenir sur son œuvre et la session parlementaire se terminant fin février, mais cela signifie que le dossier du repos dominical n’est pas éteint du point de vue législatif et qu’il pourrait à terme trouver écho en cas de majorité modifiée aussi à l’Assemblée nationale.
Dans ce cas de figure, il faudrait sans doute revoir l’article de principe, comme nous le disions déjà le 22 octobre dernier. Pourquoi en effet ne pas revenir au texte initial de l’article 1 de la loi du 13 juillet 1906 dont la simplicité est la meilleure garantie d’une application nette. Parler, comme aujourd’hui, de « l’intérêt des salariés » et ajouter « des familles » sonne-t-il bien juste aux oreilles du juriste ? Ne rejoint-on pas au fond les promoteurs du travail dominical quand on met au cœur du principe « l’intérêt » ? « Le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche » est une formulation parfaite.
On comprend l’affolement de Frédéric Lefebvre et de ses épigones. Une chose est sûre. La contradiction n’étouffe pas les dirigeants des supermarchés soutenus dans leur délinquance caractérisée par le pouvoir politique. Ambigu, Jean-Charles Naouri déclaraità propos de supérettes hors-la-loi de son groupe ouvrant le dimanche : « Le groupeCasino a toujours respecté la loi, y compris sur le travail du dimanche. Les cas que vous évoquez ne concernent que quelques franchisés qui ne représentent pas la position du groupe. Pour autant, nous entendons qu’ils respectent la loi et le leur avons fait savoir très fermement. Ce sujet sociétal fait débat mais les mentalités et les pratiques évoluent. » Peut-être le « groupe » pourrait-il rappeler sa « position » ? Cela l’honorerait. De la même façon, est-ce bon pour l’enseigne des Mousquetaires de brouiller ainsi son image, et pour longtemps
, quand elle promet sur le site du groupe « l’égalité qui apporte ‘le mieux être‘ au plus grand nombre » et opère en même temps un hold-up sur le jour chômé de droit des salariés.
Rien ne serait acquis de toute façon à gauche, l’ombre de Jacques Attali ayant plané sur Nicolas Sarkosy planerait avec la même force sur François Hollande.
La riposte ne saurait donc tarder. Comptons une fois encore sur la détermination de la CFTC et de Joseph Thouvenel, de la nôtre sans failles à Liberté politique. Mais en attendant, le diable en rit encore !