Consommateurs du dimanche, pensez un peu aux cassières

Nouvel Obs +, 9/9/11 

CONSOMMATION. Pour faire ses courses le dimanche, il faut des gens qui travaillent le dimanche. A tout hasard, ces cassiers/ères qui gagnent à peine le Smic. Et bien sûr, il faut qu’ils soient volontaires. Sauf si…
Sélectionné et édité par 
Hélène Decommer

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Faut-il absolument aller faire ses courses le dimanche ? Et si, ce faisant, nous participions à l’abjection d’un système qui broie les employés ?


Caissières, dans un supermarché de la région lyonnaise,
en 2005 (Auteur JEAN-PHILIPPE KSIAZEK) 

Faire ses courses le dimanche. Évidemment, la question implique autre chose : s’il faut faire ses courses le dimanche, alors il faut des gens qui travaillent le dimanche. Mais si ceux-ci ne veulent pas travailler le dimanche ? On fait quoi ?

Or, il y a des gens qui ne veulent pas travailler le dimanche. Des caissières, justement. A Albertville. Des savoyardes.

Elles ne veulent pas travailler le dimanche, parce qu’elles sont mères de famille et qu’elles veulent passer ce jour-là avec leur famille. Parmi elles, l’une est mère célibataire et travailler le dimanche l’obligerait à faire garder sa fille, ce qu’elle ne peut payer. Il est douteux que ce soit les seules caissières de France à refuser le travail du dimanche, mais j’ai entendu parler de celles-là par cet article de Basta mag.

Rappelons dès le début que les caissières travaillent déjà le samedi, et que de surcroît, le samedi est une très grosse journée, très fatigante.

Travailler le dimanche ou pas ?

Du temps de mes études, caissière le dimanche, j’ai fait, et ça ne me dérangeait pas plus que ça. Je ne sais pas où en était la loi à l’époque, mais le directeur du magasin m’avait posé la question de travailler le dimanche et j’avais accepté avec enthousiasme.

Mes autres collègues du dimanche étaient toutes volontaires, avec des motivations diverses (y compris l’une d’entre nous, fonctionnaire, qui faisait ce deuxième boulot au noir, tous les soirs, samedi, et dimanche, et n’avait donc que le seul dimanche après midi de libre) et du reste le directeur du magasin avait pris la décision d’ouvrir après accord avec les caissières et le boucher, pour être sûr d’avoir du personnel ce jour là.

Bref, la concertation avait été naturelle, et tout le monde était content de travailler le dimanche. Ça, c’est un cas de figure.

Qui travaille le dimanche ?

Il faut rappeler aussi que certains métiers bossent automatiquement le dimanche, comme les infirmières ou le personnel de restauration. Il s’agit cependant de corps de métier ou d’activité où la chose semble incontournable. Mais dans ces secteurs, il est envisageable de ne pas forcément travailler tous les weekend, et de faire tourner les weekend travaillés entre plusieurs employés.

Par ailleurs, dans certaines régions d’Espagne, par exemple, les supermarchés ne sont ouverts que le samedi matin. Une autre façon d’envisager les courses, si je puis dire.

Comment et dans quel contexte travailler le dimanche ?

La question, en fait, n’est pas tant de travailler ou pas le dimanche, mais d’avoir le choix, ou la possibilité de le faire le moins possible en organisant le planning. Le repos dominical imposé a l’avantage de laisser le dimanche libre systématiquement.

S’il était véritablement possible de choisir, on pourrait travailler le dimanche. Mais en réalité, dans la vraie vie, (et non pas dans le monde théorique de ceux qui ont rédigés la loi), il n’est pas possible de choisir, le travail dominical est souvent imposé aux employés des enseignes de grande distribution, alors que ce sont des mères de familles qui ne le souhaitent pas, et qu’il s’agit d’une modification de leur contrat de travail.

L’article mentionne le fait suivant : Etelvina, également caissière dans un supermarché ED-Dia, mais qui n’a pas voulu du travail dominical qu’a tenté de lui imposer sa direction au printemps 2009, a été licenciée pour ’’insubordination et refus de se plier au planning’’.

Il y a une différence entre choisir, même à son corps défendant, un emploi qui oblige à travailler le dimanche, en se débrouillant pour s’organiser, et se voir imposer, après plusieurs années, une modification de planning de cette envergure. Surtout que derrière toutes ces décisions, on n’a pas un patron humain, un petit chef d’entreprise confronté à des difficultés, et qui tente de faire survivre sa boîte (ou bien, si l’on est infirmière, des malades qu’il faut, évidemment, soigner tous les jours) : on a Dia, soit Carrefour, soit Lars Olofsson.

Dans quel contexte exige-t-on de ces femmes qu’elles travaillent le dimanche ?

Lars Olofsson, rappelons nous : c’est le type que les actionnaires de Carrefour paient grassement pour remonter la boîte (et qui n’y parvient pas).

Lars Olofsson, DG de Carrefour, lors d’une conférence de presse
à Boulogne Billancourt le 31/08/11 (AFP PHOTO/ERIC PIERMONT)

Le monsieur qui, suite à un astucieux calcul effectué à sa demande par les financiers du groupe, touchera, en guise de retraite – même s’il ne parvient pas à remettre le groupe à flot – un petit 500.000 euros par an, après son départ du groupe. Et dont le salaire en 2009 a été de 2,7 millions d’euros, sans oublier le bonus de 1,35 million d’euros, les stocks options : 130.000 unités à 33,70 euros et l’allocation de logement égal à 100.000 euros.

C’est l’homme qui souhaite que les caissières du ED-Dia d’Albertville bossent le dimanche, même si elles ne veulent pas, pour 1.000 euros par mois.

Et le but, c’est d’augmenter la valeur du groupe Carrefour.

On n’est pas dans la logique de l’épicerie familiale de village, avec la patronne qui peut faire faire les devoirs dans l’arrière boutique et surveiller la cuisson du repas du midi entre deux clients. Et que le fait parce qu’elle peut à la fois gérer sa vie de famille et sa vie pro, et gagner un peu plus.

Non, on est dans une logique d’exploitation, et d’autant plus choquante que l’homme qui est à la tête de ce groupe énorme gagne des sommes faramineuses, sans commune mesure avec le salaire des employés du groupe, et sans commune mesure avec son utilité réelle pour le groupe (il faut arrêter de délirer avec le salaire des patrons).

Revenons à la question : s’il n’est pas possible d’avoir le libre choix réel (et pas seulement legal) de travailler ou non
le dimanche, celui-ci doit être prohibé. Or, il n’est pas possible d’avoir ce libre choix puisque l’on a affaire à des enseignes ultra puissantes qui ne se gênent pas pour licencier les employés.

Autoriser le travail le dimanche dans ce contexte-là revient à mettre des employés à la merci totale des grandes entreprises. La loi doit donc être révisée.

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