Le Monde Vendredi 10 juin 2011 Page Économie (p. 17)
À leur corps défendant, ces trois salariés sont des symboles. Ils incarnent la résistance « des objecteurs du septième jour », comme l’a joliment titré le quotidien La Croix. Etelvina Fernandes, Elise Kongo et Amphonh Luangrath travaillaient aux caisses d’un magasin Ed à Oyonnax (Ain). Début 2009, la filiale de Carrefour spécialisée dans le maxidiscompte leur a demandé de venir certains dimanches. Ils ont dit non. Résultat : un licenciement pour « insubordination », qu’ils ont décidé d’attaquer en justice.
En ce mercredi 8 juin, les deux camps fourbissent leurs arguments devant le conseil des prud’hommes de Créteil. L’avocate des trois ex-salariés d’Ed, Me Inès Plantureux, explique que ses clients tenaient au repos dominical car lui seul leur permet de passer du temps avec leurs proches. L’une a un mari qui sillonne les routes tout au long de la semaine, l’autre a des enfants scolarisés à 100 kilomètres d’Oyonnax…
Certes, reconnaît Me Plantureux, Ed a le droit d’organiser les horaires de travail : c’est une faculté qui relève de son « pouvoir de direction ». Certes, admet-elle aussi, la réglementation autorise les « commerces de détail à prédominance alimentaire » d’ouvrir le dimanche matin. Mais il existe « certaines limites ». En l’espèce, le contrat de travail de Mmes Fernandes et Kongo et de M. Luangrath ne prévoyait pas de les employer le dimanche.
L’avocate invoque également plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont l’un, rendu le 2 mars, concerne un serveur de café qui, durant huit ans, a assuré son service du lundi au vendredi et qui a refusé son nouveau planning, du mercredi au dimanche. La haute juridiction a rappelé qu’il s’agissait d’une modification de son contrat qu’il était en droit de refuser, plaide M » Plantureux.
Quand on est recruté dans une enseigne comme Ed, on sait qu’on peut se retrouver, un jour, à son poste le dimanche, riposte Me Jean-Jacques Fournier. L’avocat du distributeur souligne les dérogations au repos dominical instaurées depuis de nombreuses d’années dans ce secteur d’activité. Dès lors, l’employeur ne peut pas se voir reprocher d’être resté « silencieux » sur les jours ouvrés dans le contrat de travail : « Ce n’est pas un élément déterminant au moment de l’embauche », affirme Me Fournier.
À ses yeux, l’ouverture dominicale constituait « un simple changement des conditions de travail » : si les trois salariés concernés n’en voulaient pas, Ed pouvait les remercier. « II n’y a eu aucun abus. »
L’établissement d’Oyonnax a décidé d’ouvrir ses portes le dimanche car c’était dans son intérêt et celui du personnel : la concurrence était plus vive, le chiffre d’affaires orienté à la baisse, explique Me Fournier. D’après lui, le remaniement des horaires « a permis de sauver le magasin et de créer des emplois ».
Jugement le 21 septembre.
Bertrand Bissuel