L’Organisation internationale du travail rappelle la France à l’ordre au sujet du travail dominical, pays où, comparé à bon nombre de ses voisins européens, les dérogations au repos dominical sont particulièrement nombreuses. Les contentieux se multiplient.
L’Organisation internationale du travail (OIT) a lancé un avertissement à la France. Elle néglige les conséquences sociales du travail dominical, estiment les auteurs d’un rapport, publié le 5 avril.
L’ouverture des commerces le dimanche répond à des préoccupations économiques, liées à la concurrence, et aux souhaits des consommateurs. Les considérations sociales, quant à elles, à savoir l’impact de cette dérogation sur les travailleurs concernés et leurs familles, ne paraissent pas avoir été prises en compte ou en tout cas pas au même titre que les considérations économiques.
Deux lois sont particulièrement visées. Celle du 3 janvier 2008 permet aux magasins d’ameublement de déroger au repos dominical. Une dérogation qui ne « paraît pas répondre à une nécessité telle que l’application du régime normal de repos hebdomadaire se révèle impossible » soulignent les auteurs de l’étude.
La loi du 10 août 2009 élargit, elle, l’autorisation aux « zones touristiques d’affluence exceptionnelle », « d’animation culturelle permanente » ou aux stations thermales. Des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE) peuvent être créés par le préfet, à l’initiative du conseil municipal, dans les villes de plus d’un million d’habitants. Seules conditions à cette extension de l’activité commerciale le dimanche: le travail doit être volontaire, un repos compensateur est obligatoire et la rémunération est au moins deux fois supérieure au salaire habituel.
Légalisation des pratiques illégales
« Depuis l’entrée en vigueur de ces lois, les contentieux se multiplient. Le volontariat n’est pas toujours respecté: certains, qui ne souhaitent pas travailler ce jour-là, ne sont pas embauchés, ou pire licenciés sous d’autres prétextes. De même, la rémunération n’est parfois augmentée que de 25%. La recommandation de l’OIT est donc parfaitement logique », s’indigne Jean Dionnot. Le président du Collectif des amis du dimanche (CAD) milite pour un jour commun de repos pour tous. Un espace pour rétablir le lien social, familial, se cultiver.
« Le résultat de la loi a été de légaliser des pratiques illégales », ironise-t-il. Comme Plan de campagne, cette zone commerciale dans les Bouches-du-Rhône, ouverte le dimanche depuis 1966. Les PUCE et zones touristiques ne sont pas toujours clairement définis et délimités dans le texte législatif, assure Jean Dionnot.
Les coiffeurs n’y coupent pas
La nouvelle législation a parfois compliqué la situation de certains commerçants. Les salons de coiffure n’ont pas le droit d’ouvrir le dimanche dans la majorité des départements à cause d’arrêtés préfectoraux. Problème: quand ils sont installés dans un centre commercial, ils sont tenus de travailler par le bail commercial si la galerie accueille les consommateurs ce jour-là.
« S’ils restent grille baissée, le gestionnaire du centre peut les assigner ou leur donner une amende. Dans le cas contraire, ils peuvent être condamnés par l’inspection du travail à payer jusqu’à 750 euros par salarié présent. En décembre dernier, un contrôleur a demandé aux clientes et aux employés d’un salon à Lyon de partir », explique Michelle Duval, secrétaire générale du Conseil national des entreprises de coiffure.
L’OIT demande donc « au gouvernement français de poursuivre l’examen avec les partenaires sociaux » des deux nouvelles lois « sur le plan pratique, en tenant compte des considérations tant sociales qu’économiques ». Si la législation est remise en cause en France, peu de débats agitent les autres pays du continent. L’Union européenne ayant laissé la décision à l’appréciation des Etats, chacun possède sa règlementation. Des plus libéraux comme la Suède, la Hongrie, la Roumanie ou la République tchèque au plus restrictifs, tels que l’Autriche.
Les îles britanniques très permissives
L’Irlande est l’une des plus permissives. Le travail dominical est parfaitement légal. Certains services publics, comme la Poste, sont ouverts. Les employés négocient au cas par cas, directement avec l’employeur, leurs avantages: paye plus importante ou congés payés le reste de la semaine. La question des contrôles n’est pas vraiment abordée dans la loi. Le Labour Relations Commission a rendu un rapport en 2006 mais il se contente de recommandations.
Au Royaume-Uni, le Sunday Trading Act, adopté en 1994, autorise le travail du dimanche si le contrat de travail le mentionne. Seule restriction: les magasins de plus de 280m2 ne peuvent ouvrir que de 10 heures à 18 heures. Alors que le salaire était doublé avant cette loi, aucune compensation n’est obligatoire depuis. Le dimanche est devenu le deuxième jour le plus prisé pour le shopping après le samedi.
Assouplissements au Portugal et en Espagne
En Espagne les petits magasins peuvent ouvrir tous les dimanches. Madrid est la seule ville à autoriser le travail dominical pour tous les commerces, quelle que soit leur taille. Le Premier ministre José Luis Zapatero souhaite un assouplissement des horaires dans les zones touristiques.
Dans certains secteurs comme le com
merce, l’hôtellerie, le tourisme et le jeu, l’entreprise doit verser 15 euros par mois aux salariés susceptibles d’être présents le dimanche. Après six dimanches ou jours fériés travaillés depuis le 1er janvier, le salarié reçoit une prime de 33 euros à chaque fois. Celle-ci grimpe à 36 euros à partir de treize.
Au Portugal, le repos dominical a été institué en 1910. Mais le code du travail prévoit depuis 2009 que le travailleur a droit à au moins un jour de repos hebdomadaire. Il peut être pris dans la semaine si l’entreprise a obtenu une dérogation pour continuer son activité le dimanche. Sont ainsi dispensés ceux qui font le ménage ou qui surveillent, ceux qui travaillent dans les foires et sur des expositions.
La législation autorisait également le commerce tous les jours de la semaine dans les grandes et moyennes surfaces. En juillet 2010, un décret-loi du conseil des ministres a permis aux hypermarchés d’ouvrir entre 6 heures et 24 heures, contre 8 et 13 auparavant. Les municipalités décident pour les grandes surfaces de leur circonscription. Assez favorables au départ, elles sont de plus en plus nombreuses à faire demi-tour, sous la pression du commerce de proximité et de la tradition très respectée du repos le dimanche.
Dimanche sacré en Allemagne et en Italie
En Allemagne, le respect du repos dominical est sacré, que ce soit pour des questions religieuses, ou pour défendre les droits des travailleurs. En 2009, la cour constitutionnelle de Karlsruhe a même examiné un recours déposé par les églises catholiques et protestantes, pour faire interdire le travail du dimanche à Berlin.
Depuis 2006, la capitale allemande bénéficie, en effet, une autorisation spéciale permettant d’ouvrir les grands magasins dix dimanches par an: les quatre précédant les fêtes de Noël, ainsi que quatre autres week-ends choisis arbitrairement par la ville-État de Berlin. L’ouverture est autorisée uniquement de 13 heures à 20 heures, afin de ne pas nuire à la fréquentation des services religieux. Dans les petites et moyennes agglomérations, certains commerces ferment dès le vendredi après-midi pour ne rouvrir que le lundi.
En Italie, le pays le plus catholique, le pape a également insisté sur le caractère sacré du dimanche le 19 mars dernier. A l’occasion du pèlerinage dans la diocèse de terni, Benoît XVI a rappelé que le travail « est un moyen de valoriser la dignité de la personne. Dans notre société, le rythme de la consommation risque de nous voler le sens de la fête et du jour du Seigneur. »
La Belgique libéralise officieusement
En Belgique l’interdit est de plus en plus théorique. Certaines activités autorisées le dernier jour de la semaine lorsque l’exploitation normale de l’entreprise ne permet pas de les exercer un autre jour de la semaine. Mais aussi dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, ainsi que dans établissements et services dispensant des soins de santé. La liste des autres dérogations s’est tellement allongée que presque tout devient possible. Les commerces des zones touristiques peuvent ouvrir du 1er mai au 30 septembre, durant les vacances de Pâques et de Noël, ainsi qu’une dizaine de dimanches.