14 Juin 2011 | Hélène Bodenez
Le lundi 20 juin 2011, sera lancée officiellement l’Alliance européenne en faveur du dimanche – European Sunday Alliance, à Bruxelles par les bons soins de la C.O.M.E.C.E.. L’Association pour la Fondation de Service politique (AFSP) décidé d’être membre de cette Alliance ; depuis la fronde à la loi du 10 août (J.O. 11 août 2009), l’AFSP rend compte régulièrement d’un débat loin d’être éteint par son Décryptage en ligne et par sa revueLiberté politique. Retour sur les raisons d’une bataille perdue en France faisant comprendre la nécessité aujourd’hui d’une alliance forte et élargie.
Le projet d’extension du travail le dimanche promis par le candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle française de mai 2007 a abouti le 11 août 2009, après une longue bataille parlementaire. La France a alors franchi le Rubicon et donné sans nul doute un signal malheureux aux autres pays agités par les mêmes tentations. Le texte de la proposition de loi désormais voté a résulté d’une triple combinaison : celle de la recommandation de la commission Attali en ses décisions 136 et 137 d’encourager le travail le dimanche ; de la volonté de l’Élysée de relancer la croissance par la remise à l’honneur de « la valeur travail » et de satisfaire la grande distribution ; des intérêts particuliers de tel ou tel parlementaire. La fronde a eu beau gronder de tout côté dès la fin de l’année 2008. Rien n’y a fait.
2009 s’est donc ouvert sur une vraie crise concernant ce qui est considéré par beaucoup comme une atteinte grave aux bienfaits reconnus du dimanche chômé : le gouvernement de François Fillon fut un temps contraint de reporter l’examen de la proposition de loi de Richard Mallié (UMP, Bouches-du-Rhône), au lendemain d’une séance particulièrement houleuse à l’Assemblée Nationale. Les opposants à la loi ont commencé à espérer alors qu’elle puisse être purement et simplement retirée. C’était sans compter la volonté inflexible des dirigeants français de faire passer coûte que coûte une loi présentée comme moderne, adaptée à un monde économique exigeant toujours plus de flexibilité et de dérégulation. Passage en force qui a nourri un mécontentement grandissant refusant le tout économique.
Finalement, c’est un texte de « compromis » quelque peu amendé mais non moins dangereux qui a été adopté de justesse dans la quasi indifférence de l’été, en procédure accélérée, malgré la résistance de nombreux mouvements, syndicats et associations familiales, malgré le courage également de parlementaires unis au-delà des partis politiques. En même temps que le « principe » du repos dominical a été « réaffirmé », des situations illégales existantes sont avalisées. C’est ainsi que les lois « d’exception » fonctionnent en France : le principe est protégé, mais l’infraction au principe, en l’espèce l’habitude de consommation créée de toute pièce, est légalisée.
Habile stratégie politique, schéma néanmoins décrypté qui consiste à proposer quelque chose d’énorme qui fera, on le sait, lever les oppositions ; l’on fait alors semblant de reculer en faisant mine d’accepter le dialogue, mais l’on arrive à ses fins : faire sauter le verrou nécessaire qui emportera l’ensemble.
Malgré la loi votée, le problème n’est pas résolu ; c’est d’ailleurs inattendu. L’opposition ne désarme pas, loin s’en faut. Personne ne veut de cette loi, y compris de nombreux dirigeants d’entreprise qui ont compris depuis longtemps qu’il n’y aura pas surcroît de consommation mais déplacement de la consommation. Des citoyens ne cessent de protester auprès de leurs élus et certains parlementaires se plaignent de recevoir toujours des signatures aux différentes pétitions activées avant le vote de la loi et toujours redirigées automatiquement vers eux. Ici et là, des salariés manifestent, refusant l’instauration du travail dominical dans leur entreprise. Sont particulièrement refusés les achats de confort le dimanche révélant sans conteste pour nombre de Français soucieux d’une qualité de vie « durable » une attitude éthiquement irresponsable. L’application de la proposition de loi Mallié reste contre toute attente en cette fin 2009 sur la sellette : les syndicats l’attaquent et ne manquent de souligner qu’elle ouvre une discrimination problématique entre les salariés des fameux PUCE (nouveaux périmètres d’usage de consommation exceptionnel créés pour la loi) et zones thermales privilégiés dans leur salaire doublé, dans la clause de volontariat contrairement à ceux des zones touristiques ou des communes touristiques dont le salaire est le même le dimanche que les autres jours ouvrables, ceux-là ne peuvent espérer la liberté de travailler le dimanche ou pas. La confusion terminologique est totale.
Qui ont été les résistants à la proposition de loi Mallié ?
Nombreuses ont été les voix qui se sont élevées contre la banalisation du dimanche en France. Premier de cordée, un syndicat, la CFTC, confédération française des travailleurs chrétiens, qui s’est lancé dans la bataille ; le CAD (Collectif des Amis du dimanche), aconfessionnel, apolitique qui obtient fin 2009 plus de cent mille signatures à la pétition initiée par son site Internet travail-dimanche.com ; d’autres sites internet, comme le site catholique repos-dominical.com, attirent également des centaines de signatures ou un groupe sur Facebook. La mobilisation sur Facebook joue contre le travail du dimanche ; quarante-cinq groupes sont explicitement signalés contre le travail dominical et seulement cinq pour, près de dix mille membres se sont inscrits dans les groupes contre et moins de deux mille dans les groupes pour ; Liberté politique avec son dossier « Oui au repos dominical » suit l’actualité du travail le dimanche semaine après semaine pour la newsletter du vendredi soir touchant vingt-cinq mille personnes. Outre ces groupes en réseaux se connaissant, existe un site pour le diocèse d’Angers « Le dimanche, c’est sacré ! » qui relaie également une pétition.
Tous ces acteurs, chrétiens engagés dans la cité, ne croient pas au compromis, sont inquiets et essaient pendant les six mois avant le vote de mobiliser difficilement. Certains grands médias souvent acquis aux lobbies du travail le dimanche les boudent et les organes catholiques n’ont pas en 2009 la force et le suivi qu’il conviendrait, ou quand ils l’auront ce sera trop tard en juillet ; beaucoup s’imaginent alors que l’affaire est classée, qu’elle divise trop pour être à nouveau exhumée. Un écrivain voit clair pourtant et sort un roman au titre emblématique Le Dernier dimanche (Éditions des Mille et une Nuits), signant un diagnostic lucide de notre monde post-chrétien qui va joyeusement vers l’apostasie.
Au moment de la grogne, l’année 2008 avait vu les pasteurs réagir, évêques et prêtres. Une plaquette de l’un d’entre eux Le dimanche c’est sacré ! Jour de Dieu, jour de l’homme(Lethielleux, La Vie, DDB) avait été publiée. Mais une fois la loi reportée en janvier de l’année suivante, les évêques n’avaient plus guère manifesté de résistance particulière. Signe de cela : la soirée aux Collège des Bernardins [1], le tournant du 6 janvier, qui se proposait de répondre aux questions : « Pourquoi la proposition de réforme initiée par le gouvernement français avant l’été 2008 a-t-elle créé un tel émoi dans l’hexagone ? Est-ce par attachement à un droit chèrement acquis qui préserve la vie familiale et personnelle, voire la liberté religieuse ? Ou une forme de refus du modèle économique libéral mondialisé ? Ce mardi des « Questions d’actualité » faisait entendre des avis contradictoires un ancien Président de l’Union du grand commerce du centre-ville, face à un député UMP signataire du compromis. Le propos de ce dernier fut net : il signerait ce « bon » compromis. La fronde était donc officiellement terminée.
Quel jour, le dimanche ? Une question importante de terminologie
Dans un débat houleux mais pas irrationnel – contrairement à ce qu’a voulu faire croire le promoteur de la proposition de loi – force est de constater la grande pédagogie dont les forces en présence d’opposition, qu’elles soient politiques, syndicales ou religieuses, ont essayé de mettre en place pour toucher les mentalités. Cela n’a donc pas été suffisant pour empêcher la loi votée à quelques voix près le 10 août 2009. L’inculture ambiante qui touche également les chrétiens, l’anesthésie que réalisent silencieusement le consumérisme et les loisirs aliénants du week-end font leur grand œuvre. C’est ainsi que les termes utilisés souvent mal employés doivent retrouver tout leur sens ; il serait de la première importance d’éviter la confusion et le mensonge sur laquelle la partie adverse table. Pour l’État, il ne peut s’agir de « repos » mais seulement de « jour chômé ». Il s’agit de bien distinguer ce qui est de l’ordre du jour de temps libre, du jour chômé, du repos dominical, du jour du Seigneur.
Un leitmotiv revient systématiquement celui d’un jour de repos certes octroyé mais qui devrait être choisi à la carte comme John Stuart Mill le préconisait déjà dans son ouvrage De la Liberté au chapitre « Des limites de l’autorité » à propos de la notion de « droit social » (Folio, Essais, pp. 201-202.) « Un autre exemple important d’empiètement illégitime sur la liberté légitime de l’individu, qui n’est pas une simple menace, mais qui a depuis longtemps pris triomphalement effet, est celui de la législation du Sabbat ». Le danger est bien là. C’est la raison pour laquelle les défenseurs du dimanche sans travail font alors valoir que le dimanche chômé doit être sanctuarisé au-delà des raisons religieuses, demandent que les politiques encadrent un jour chômé le même pour tous.
Le dimanche est noyau d’un ordre social historique, possède une perfection que n’ont pas les autres jours comme le démontrent certaines études médicales, est créateur de lien social. Banaliser alors ce jour « spécial » alors qu’on se plaint de toutes parts que le lien social se délite relève de l’absurde. Le dimanche protège l’homme d’un tout économique asservissant, permet à la personne humaine une pause « d’élévation » spirituelle un jour sur sept. Le dimanche reste pour beaucoup en outre le jour du don, de la gratuité, le jour de la famille. Certes on ne manque pas de définir le dimanche comme un temps paradoxal qui peut être vécu comme ennui, vide ou difficulté de vivre, problématique des personnes à la vie familiale de plus en plus éclatée mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de retrouver le sens du temps, d’un temps précieux qui permet de se reprendre.
Le dimanche est en danger en France qui avait reformulé par une récente ordonnance – mais qui s’en était inquiété – l’intitulé du jour de repos hebdomadaire. On est passé de « Le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche » à « Le repos hebdomadaire est donné le dimanche ». L’obligation n’est plus ; il ne reste qu’une simple préférence, brèche ouverte à « la généralisation des dérogations » le dimanche ; faut-il redire que l’Église n’accepte que les seules « exceptions » ? L’exception n’est pas dérogation? Par ce choix du mot juste, est signifié que l’objet du travail doit être de la même grandeur que l’objet du repos : biens essentiels à la sécurité et à la vie. Il peut donc être légitime de travailler le dimanche pour des raisons vitales, nécessaires et « exceptionnelles », pas de déroger pour n’importe quelle basse raison alimentant une hyperconsommation qui gomme les valeurs supérieures, voire transcendantes, de la vie humaine.
Nécessaire alliance européenne pour le dimanche
2011 : les procédures judiciaires se multiplient en France et révèlent que la loi n’a rien simplifié, a renforcé l’absurdité qu’on prétendait supprimer, pire crée de l’inégalité. Au point que l’Organisation Internationale du Travail (l’O.I.T.) épingle la France. La sénatrice (Paris-UMP) Marie-Thérèse Hermange a posé à ce propos une question écrite au Ministre du travail.
La France a bel et bien perdu une bataille cruciale en 2009 : mais tout n’est pas dit, et alliée aux autres nations européennes, elle cherche opportunément à rectifier le tir et pourrait peut-être infléchir encore la donne. C’est tout le sens de notre participation à l’European Sunday Alliance.
L’association pour la Fondation de Service politique est membre de l’European Sunday Alliance. Le Collectif des Amis du Dimanche également (NDLR)