En 2004, la Pologne s’est fait envahir par les grands groupes européens qui transgressent allègrement le droit du travail. Alfred Bujara, syndicaliste de Solidarnosc, mène un combat permanent. Témoignage.
Au départ, nous nous sommes enivrés de démocratie et de l’abondance dans les magasins. Aujourd’hui nous déchantons. Les grands distributeurs européens sont tous là : 72 Carrefour, 58 Tesco, 53 Real (Metro), 26 Auchan et le groupe portugais Jerónimo Martins. Ils sont réunis au sein de la POHiD (Polish Organisation of Commerce and Distribution), un organisme de lobbying.
Les conditions de travail sont très dures en raison de l’ouverture des magasins 7 jours sur 7 et pour certaines chaines comme Tesco : 24h sur 24. Parfois les salariés n’ont pas de dimanche de libre pendant plus d’un mois. Cela fait des années que ça dure. Avec la crise, la charge de travail a augmenté. De nombreux postes ont été supprimés. Aujourd’hui, une personne fait le travail de deux autrefois, ce qui concoure au burn out, à l’absentéisme, à un turn over toujours plus fort. Pourtant, le taux de chômage est de 14%, il serait possible de remédier à la pénurie de personnel. Mais les employeurs repoussent toujours les limites. Les salariés de la grande distribution sont contraints de travailler sans relâche. Les enfants ont la clé de leur maison pendue autour du cou, et un téléphone en poche en cas de problème, ils ne voient plus leurs parents, a fortiori leurs mères, car 70% des travailleurs de la grande distribution en Pologne sont des femmes.
Europe de seconde zone
Jusqu’à aujourd’hui, aucune loi,ni convention collective ne réglemente les conditions de travail et de rémunération. Le profit des multinationales augmente sans discontinuer, d’autant plus que les produits qu’ils nous vendent sont chers. Les prix sont à peu près identiques à ceux pratiqués en Europe occidentale, alors que le fossé entre les salaires est abyssal : 300€ en Pologne, 1200€ en Allemagne.
Ce qui est encourageant, c’est que les travailleurs commencent à s’organiser. Le Commerce est la seule branche où le taux de syndicalisation augmente. Il oscille entre 6 et 14% selon les chaînes, et Solidarnosc est l’union la plus forte. Les entrepreneurs du commerce polonais (Supreme Council of Trade and Service Associations (NRZHiU)) tentent aussi de peser contre les multinationales. Ils sont notamment contre le travail du dimanche.
Nous ne voulons pas être une Europe de seconde zone. Or jusqu’à présent, il y a deux Europe. L’organisation Uni Europa Commerce peut nous aider à changer cette situation. À suivre donc.
Ce témoignage a été recueilli lors de la conférence Uni Europa Commerce à Madrid le 10 juin dernier.