Dans un article intitulé « l’examen raté de la dérogation religieuse », publié dans Le Monde daté du samedi 16 avril 2011, Caroline Fourest affirme « qu’il n’est pas possible de céder à toutes les demandes sans désorganiser la vie en commun ». Son argumentaire repose sur un certain nombre de contre-vérités qu’il est nécessaire d’éclairer.
L’article commence par stigmatiser une « poignée de juifs ultrareligieux ». Pourquoi transformer un pratiquant en un extrémiste ? Un catholique pratiquant qui va à la messe tous les dimanches est-il un ultrareligieux ? Le respect des exigences normales ne doit pas être confondu avec l’intégrisme. La religion juive impose au pratiquant le respect du chabbat et des fêtes juives : pas de travail, pas d’écriture, pas d’utilisation de moyen de transport… être pratiquant c’est mettre en pratique les règles habituelles sans faire de zèle. Il est vrai qu’aujourd’hui le nombre de pratiquants catholiques a fortement baissé mais dans de nombreux lieux on ne sert pas de viande le vendredi saint. Cela n’est généralement pas ressenti comme une atteinte à la laïcité.
Une seconde confusion apparait a propos de la fête de la Pâque juive : « avec un calendrier calé sur la Lune, la Pâque juive devait bien finir par croiser leur chemin ». J’invite les lecteurs du Monde à lire le numéro spécial de juin 2007 du Bulletin de l’association des anciens élèves et amis des langues orientales expliquant les Calendriers. Sans vouloir détailler le calendrier hébraïque, je rappelle que nous utilisons des mois lunaires mais des années solaires. En effet la grande majorité des fêtes juives ont aussi une signification agraire et il est impossible de fêter en décembre les moissons. L’utilisation stricte d’un calendrier lunaire réduit l’année de onze jours et provoque ainsi un décalage des mois par rapport au soleil et aux saisons. C’est ce qui se passe avec le mois du Ramadan, pour l’Islam, qui se déplace tout au long de l’année solaire. Enfin je rappellerais que la fête chrétienne de Pâques a gardé son lien avec le calendrier hébraïque. Le Concile de Nicée, en 325, fixa la règle qui est toujours en application : « Pâques est le dimanche qui suit le quatorzième jour de la [pleine] Lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après. » Suivant les années, Pâques peut se situer entre le 22 mars et le 25 avril. Ces calculs ne reposent pas sur l’observation de la véritable lune astronomique mais sur une lune fictive, dite « lune ecclésiastique » qui peut entraîner une erreur d’un mois, dans un sens ou l’autre. De grands mathématiciens ont élaboré des formules permettant d’obtenir aisément la date de Pâques : c’est ce que fit Carl Gauss, en 1800.
Un troisième argument met en scène l’intervention de l’Élysée. Je n’ai aucune information à ce sujet mais je voudrais souligner que ce problème n’est pas politique ni spécialement lié à l’UMP. J’ai été, dans les années 80, secrétaire duGrand Rabbin de France sous la présidence de François Mitterrand. À ce titre je suis intervenu plusieurs fois pour trouver des arrangements pour les étudiants juifs pratiquants. Ce problème n’est pas nouveau et chaque année des solutions sont trouvées sans atteinte à la laïcité et sans faire de problème politique. J’ajouterais, pour les connaisseurs, que ce problème avait été réglé il y a 2 000 ans par l’Empire romain. La religion juive était tolérée et le pouvoir politique avait mis en place certaines exceptions. Cela concernait le service militaire et le versement de certains dons qui pouvaient avoir lieu le samedi. Les juifs bénéficiaient ainsi d’une prestation spécifique le dimanche.
Enfin je voudrais rappeler que la Constitution française reconnait à tous les citoyens la liberté religieuse, donc la liberté du culte. Le principe de la laïcité est de ne pas privilégier une religion. Pourtant la grande majorité des fêtes légales en France a une signification catholique : Noël, Pâques et le lundi, l’Ascension, Pentecôte et le lundi, le 15 août, 1er novembre, soit huit jours sur onze sont des fêtes religieuses. J’ajouterais que seule la religion juive a des contraintes spécifiques concernant le repos absolu. Il n’y a pas d’interdiction pour un catholique de travailler le dimanche, d’utiliser sa voiture ou d’écrire. Depuis Vatican II, il peut même aller à la messe le samedi s’il n’est pas libre le dimanche. Pourtant la loi oblige au repos dominical et interdit l’ouverture des commerces ce jour-là. Contrairement à Caroline Fourest, je pense que la France peut sans problème respecter les contraintes religieuses normales de tous ses citoyens. Je suis le premier à m’opposer aux pratiques discriminantes face à l’Islam et je souhaite que la laïcité soit respectée dans son sens originel, le respect de toutes les pratiques.
Yohanan Lambert, ancien secrétaire du Grand Rabbin de France, docteur en études hébraïques