Le Dimanche selon Houellebecq

[…] À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également. […]

Dimanche matin, je suis sorti un petit peu dans le quartier ; j’ai acheté un pain aux raisins. La journée était douce, mais un peu triste, comme souvent le dimanche à Paris, surtout quand on ne croit pas en Dieu[…]

« Eh bien ? eh bien ? fis-je avec bonhomie.

— Je t’avais dit que Vitry n’est pas une paroisse facile ; c’est encore pire que ce que tu peux imaginer. Depuis mon arrivée j’ai essayé de monter des groupes de jeunes ; aucun jeune n’est venu, jamais. Cela fait trois mois que je n’ai pas célébré un baptême. À la messe, je n’ai jamais réussi à dépasser cinq personnes : quatre africaines et une vieille bretonne ; je crois qu’el­le avait   quatre-vingt-deux   ans ;   c’était   une ancienne employée des chemins de fer. Elle était veuve depuis déjà longtemps ; ses enfants ne venaient plus la voir, elle n’avait plus leur adresse. Un dimanche, je ne l’ai pas vue à la messe. Je suis passé chez elle, elle habite une ZUP, par là… (il fit un geste vague, sa canette de bière à la main, aspergeant la moquette de quelques gouttes).  Ses voisins m’ont appris qu’elle venait de se faire agresser ; on l’avait transportée à l’hôpital, mais elle n’avait que des fractures légères. Je lui ai rendu visite : ses fractures mettraient du temps à se ressouder, bien sûr, mais il n’y avait aucun danger. Une semaine plus tard, quand je suis revenu, elle était morte. J’ai demandé des explications, les médecins  ont  refusé   de   m’en  donner.   Ils l’avaient déjà incinérée ; personne de la famille ne s’était déplacé. Je suis sûr qu’elle aurait souhaité un enterrement religieux ; elle ne me l’avait pas dit, elle ne parlait jamais de la mort ; mais je suis sûr que c’est ce qu’elle aurait souhaité. »

(Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, 1994, p.160).

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