Ouverture le dimanche, la grande pagaille

Le JDD, 11/9/10

Un an après la loi sur le travail dominical, état des lieux. La préfecture vient d’annoncer avoir dressé 67 PV. Insuffisant pour les syndicats et la mairie.

Le dimanche à Paris, le badaud trouve de tout: des fleurs, des vêtements, des chaussures de sport, du parfum, des provisions pour la semaine, le JDD, des disques et même des livres empruntés dans l’une des trois bibliothèques ouvertes ce jour-là. Une avancée pour les usagers, à laquelle tient particulièrement la mairie… Mais depuis le 5 septembre et ce week-end encore, ces trois établissements sont en grève. Les bibliothécaires réclament à la mairie une prime de 100 euros net contre 75 euros brut actuellement.

Une revendication liée, selon Bertrand Pieri du syndicat Supap-FSU, « au double discours du maire: en public, il souhaite que les salariés soient payés davantage dans les zones touristiques où le travail le dimanche est autorisé. Mais, en interne, il n’a pas la même volonté« . Bertrand Delanoë a en effet demandé en mai dernier au préfet de Paris de transformer les sept zones touristiques de la capitale en Puce, ou périmètres d’usage de consommation exceptionnel, ce qui aurait pour effet d’augmenter le salaire des employés. Un classement refusé par le préfet avant l’été, au grand soulagement des commerçants des Champs-Elysées et de la rue des Francs-Bourgeois…

La loi Maillé, d’août 2009, baptisée « loi réaffirmant le principe du repos dominical », devait permettre de clarifier la situation, notamment pour les Champs-Elysées, où certains magasins culturels pouvaient vendre des livres et des accessoires de mode quand un magasin de vêtements devait garder portes closes. Un an après la loi, sur la plus belle avenue du monde, une quarantaine de boutiques supplémentaires, comme Lancel ou Bompard, ouvrent à présent – en toute légalité – le dimanche. Selon le comité des Champs-Elysées, ce sont « 98% des commerces de détail, une centaine environ, qui accueillent des clients ce jour-là« . La hausse du chiffre d’affaires réalisé le dimanche frôlerait les +20 à 30%.

Bertrand Delanoë a dit non aux Grands Magasins

Mais les boutiques ouvertes le week-end débordent largement de ces sept zones touristiques reconnues : elles s’éparpillent, par exemple, le long du canal Saint-Martin (10e), boulevard de Belleville (19e), à Bercy Village (12e) et dans tout le Marais. Une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme, l’Apur, rendue publique en juin, estime à plus de 200 ces magasins qui bafouent le repos dominical. Un sujet que connaît bien Patrick Aboukrat. Le président du comité des Francs-Bourgeois a bataillé des années durant pour obtenir le classement en zone touristique de la rue où il avait ouvert son premier Abou D’Abi Bazar.

« Aujourd’hui, on continue ailleurs! Le haut du Marais, la rue Vieille-du-Temple notamment, deviennent le nouveau quartier à la mode à Paris, avec des magasins qui font “deux samedis” dans la semaine. Pour nous, il y a une hypocrisie à ne pas reconnaître que c’est tout le Marais qui est un quartier touristique. Certaines zones attirent les visiteurs du monde entier, même les dimanches : il faut reconnaître leur rayonnement.« 

Même argument avancé par le comité Haussmann regroupant les Grands Magasins le Printemps et les Galeries Lafayette, pour demander un classement en zone touristique. Le maire de Paris a refusé en juin, invoquant le respect de la vie de famille des salariées des Grands Magasins, en majorité des femmes.

La CFTC Paris va porter plainte bientôt

Pour Lyne Cohen-Solal, adjointe chargée du commerce, « la loi Maillé a tout compliqué. Elle a donné des encouragements à ne pas respecter les textes en vigueur, puisqu’elle a régularisé des commerçants qui s’étaient mis hors la loi… Depuis, c’est le grand flou et de nombreux magasins alimentaires en ont profité pour ouvrir tout le dimanche ». Des Franprix, G20, 8 à huit ouvrent leurs rayons en fin de week-end… « Des franchisés indépendants« , selon les directions de ces groupes de distribution, qui assurent leur avoir fait passer des consignes de respect de la loi. Cet état de fait exaspère les petits épiciers parisiens et leur syndicat. Le Sefag a adressé depuis le début de l’année une quarantaine de courriers à des gérants de supérettes ouvrant illégalement le dimanche, soit environ une supérette sur sept à Paris.

Il y a quelques semaines, la préfecture a communiqué et annoncé 67 verbalisations transmises au parquet: 41 depuis janvier 2010, contre 26 en 2009. En août, sept supérettes ont été condamnées après jugement en référé à fermer le dimanche après-midi. Les amendes se montent à 1.500 euros par salarié: un gérant de boutique branchée de vêtements qui ne veut « surtout pas être cité pour éviter un contrôle » reconnaît avoir payé 30.000 euros (deux amendes pour dix salariés) en 2009. Une « prune » à déduire des gains obtenus le dimanche.

Exaspéré, Mohammed Benayad, gérant d’une alimentation générale dans le 19e, a monté lui-même son dossier, avec tickets de caisse dûment datés, prouvant l’ouverture illicite le dimanche soir d’une supérette voisine ; il a porté plainte. Il espère obtenir gain de cause lors du jugement au tribunal de commerce le 30 novembre prochain.

De son côté, le syndicat CFTC Paris est en train de collecter des adresses de magasins dans l’illégalité. La liste devrait être close d’ici à la fin septembre et donner lieu à une plainte. Pour Joseph Thouvenel, de la Confédération des travailleurs chrétiens, « toute la société n’a pas besoin de travailler le dimanche ou de consommer. On peut faire autre chose de ce jour de temps libre« .

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