Vous voulez comprendre la France ? Penchez-vous sur ses fêtes légales et ses jours fériés. Les ayant passés au microscope, Jacqueline Lalouette, membre de l’Institut universitaire de France et professeur d’histoire contemporaine à Lille-III, nous offre le portrait d’une nation parfaitement contradictoire : championne de la laïcité après avoir été fille aînée de l’Eglise, républicaine jusqu’au bout des ongles et toujours prête à se donner un monarque.
Prenez le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte. Ils sont devenus jours fériés en 1886, en plein combat contre l’Eglise ! La IIIeRépublique venait de supprimer le repos dominical, de restaurer le divorce, de laïciser les programmes de l’école primaire… Mais ces deux journées, qui restaient marquées par des pèlerinages et des processions, étaient chômées en pratique, et c’est à la demande des chambres de commerce que le gouvernement en a fait des jours fériés.
La France en compte onze aujourd’hui, assez mal répartis dans l’année, mais avec une étonnante symétrie. Est-ce seulement un hasard si chaque fête religieuse possède son double profane ? On célèbre aux mêmes périodes Noël et le jour de l’An, Pâques et le 1er-Mai, le 14-Juillet et l’Assomption, la Toussaint et le 11-Novembre.
Les jours fériés ne sont pas obligatoirement des jours chômés, sauf en Alsace-Moselle. Jacqueline Lalouette fait remarquer que les fêtes légales n’ont pas été instituées pour donner des temps de repos supplémentaires, mais pour remplir des fonctions religieuses ou politiques : suivre les préceptes de l’Eglise, célébrer le souverain ou la patrie.
C’est l’Etat français, sous Pétain, qui légalisa la célébration du 1er mai, pour en faire une « fête du travail et de la concorde sociale » (la lutte des classes devant céder la place à la collaboration… entre employeurs et salariés). La Saint-Philippe se célébrait le 1er mai, ce qui contribua à« maréchaliser » cette journée. Après la Libération, elle deviendrait un jour férié et obligatoirement chômé.
Les fêtes civiques ont beaucoup varié au cours des deux siècles écoulés, en fonction du régime politique en place. Cela fait belle lurette, par exemple, qu’on ne célèbre plus l’anniversaire desTrois Glorieuses, les morts de février 1848 ou la Saint-Napoléon, fixée le 15 août en même temps que l’Assomption.
Nouveaux rendez-vous
Les fêtes religieuses, elles, ont survécu à tous les changements politiques. Mais elles sont célébrées autrement, et leur signification échappe à beaucoup de monde. Combien de Français connaissent aujourd’hui la différence entre l’Ascension et l’Assomption ? Les frontières entre fêtes religieuses, fêtes civiques et fêtes sociétales ont également bougé. Noël, censé marquer la naissance du Christ, n’est souvent plus qu’un réveillon. A l’inverse, le jour de l’An a pris une dimension religieuse et un caractère politique. Le pouvoir exécutif y adresse ses voeux aux citoyens et aux corps constitués. C’est l’heure des bilans et des résolutions – même pour les particuliers – et c’était vrai déjà au temps de Flaubert, qui écrivait le 31 décembre 1868 à la princesse Mathilde : « J’ai coutume tous les ans, pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, de me recueillir comme les dévots qui font leur examen de conscience, et de résumer mon année comme les négociants qui font leur inventaire. »
Depuis deux siècles, souligne Jacqueline Lalouette, aucune fête n’a été ou n’est demeurée véritablement consensuelle. On assiste aujourd’hui à deux sortes de débat. Le premier porte sur les fêtes religieuses : faut-il les supprimer, au nom de la laïcité ? Les revoir, pour y inclure notamment le Kippour et l’Aïd el-Kébir ? L’autre débat concerne la mémoire des deux guerres mondiales : le 11-Novembre et le 8-Mai ont-ils encore un sens à l’heure de l’Union européenne ? Mais toucher au calendrier peut provoquer un tremblement de terre. On l’a vu quand Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, a voulu faire de la Pentecôte une journée de solidarité.
De plus en plus, les loisirs ont supplanté le caractère religieux ou civique des fêtes. Il leur arrive même d’être célébrées de manière parfaitement incivique : chaque année désormais, les incendies de voitures éclairent la nuit de la Saint-Sylvestre comme des feux d’artifice.
De nouveaux rendez-vous se sont imposés (Fête de la musique, Fête des voisins, Gay Pride…) avec une signification et un but précis. Alors que les jours fériés, remarque Jacqueline Lalouette, ressemblent de plus en plus à « des coquilles vides que chaque individu, chaque famille, chaque groupe garnit à sa guise ».
JOURS DE FÊTE. JOURS FÉRIÉS ET FÊTES LÉGALES DANS LA FRANCE CONTEMPORAINE de Jacqueline Lalouette. Tallandier, « Approches », 390 p., 23,90 €.
Robert Solé