La Vie Jean-Pierre Denis – publié le 18/08/2010
EDITORIAL Le malaise
Entre Sarko et les cathos, tout avait si bien commencé… Cela faisait longtemps que les pratiquants n’avaient pas voté si franchement à droite. Autour d’Emmanuelle Mignon – sa plume et sa directrice de cabinet –, autour du dominicain Philippe Verdin, qui publia en 2004 l’ouvrage remarqué du candidat – la République, les Religions et l’Espérance –, les catholiques conservateurs tenaient « leur » président, un homme qui ne se cache pas derrière son petit doigt pour évoquer la « laïcité positive ».
Très vite, cependant, certains doutèrent. Le nouveau locataire de l’Élysée voulait effectuer une « retraite », et on l’apercevait sur le yacht d’un milliardaire. Fait chanoine du Latran, il présentait au pape le vulgaire Bigard. Mariages. Divorces. Remariages. Volontiers puritaine, l’aile droite du catholicisme n’aime pas trop cette ambiance.
De récentes études d’opinion indiquent que le fossé se creuse avec une base catholique qui n’apprécie ni les affaires d’argent, ni les effets de manches xénophobes. Et des déclarations épiscopales révèlent qu’au sommet on est désormais trop mal à l’aise pour se taire. Inquiet, parfois démoralisé, malmené de diverses façons, le discret troupeau des pratiquants réguliers peut sans doute apprécier un discours identitaire. Mais si on pense lui faire prendre un virage sécuritaire ou lui désigner des boucs émissaires, on risque de se tromper. « Nul être humain ne peut être déchu de son humanité », martèle le vice-président de l’épiscopat, Hippolyte Simon. Une claire allusion au passé (le discours de
Mgr Saliège contre l’antisémitisme, en 1942) et au présent (la volonté du Président de retirer leur nationalité française aux auteurs d’agressions contre les policiers). Plus qu’un coup de semonce, c’est un coup de crosse, asséné au Puy-en-Velay devant 20 000 fidèles.
Il sera suivi d’un deuxième, assumé par le cardinal Vingt-Trois, entre benoîte homélie et coup de grâce politique.
Au nom de la dignité de l’homme, l’Église catholique est plutôt de droite en matière de morale privée – l’avortement, par exemple –, mais plutôt de gauche quant à la morale sociale – dont la question migratoire fait partie. Elle n’a cessé de multiplier les messages en ce sens, de Jean Paul II à Benoît XVI, et, si l’on ose dire, de l’évêque de Rome aux évêques soucieux des Roms. Sur la bioéthique, le Président a plutôt fait pencher la balance du bon côté, enterrant notamment le débat sur l’euthanasie. Mais, sur le social, il n’en a pas été de même. La libéralisation du travail du dimanche fut un vrai tournant. Des évêques de tout bord montèrent au créneau. Pour la deuxième fois du quinquennat, Nicolas Sarkozy
est en train de réussir le tour de force d’unifier toutes les sensibilités ecclésiales. Contre sa politique.
Ce n’est pas une révolte, sire. Moins encore une révolution. Il serait étonnant que les pratiquants, qui penchent nettement au centre droit ou à droite, passent avec armes et bagages à une gauche dont ils ne partagent pas les options sociétales. Par légitimisme autant que par civisme, ils iront sans doute voter en 2012, mais peut-être songent-ils déjà à se pincer le nez. Le démocrate-chrétien n’aime ni l’éclat du bling-bling, ni les sirènes hur lantes de ces derniers jours. Le discours martial sécuritaire n’est pas vraiment fait pour le conservateur tempéré, dont les oreilles sont devenues plus sensibles que naguère à la parole du Christ : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli. » Rappelons que le pratiquant régulier vote moins Le Pen que la moyenne des Français. Son catholicisme le prévient contre le populisme. Si jamais il était tenté de craquer parce qu’il se sent seul et affaibli, le message épis copal survient, limpide. C’est non ! Comment pourrait-il en être autrement si on lit l’Évangile ?