ANNE HIDALGO EST PREMIÈRE ADJOINTE AU MAIRE DE PARIS, LYNE COHEN-SOLAL EST ADJOINTE CHARGÉE DU COMMERCE, DE L’ARTISANAT, DES PROFESSIONS INDÉPENDANTES ET DES MÉTIERS D’ART.
Dans une tribune parue dans « Les Echos » du 4 juin, Mme Tachene et M. Dubus louent la « modernité »du travail dominical et estiment que Paris serait « à la traîne ».
Contestant ce propos péremptoire, une étude récente de l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) établit une réalité bien différente : ainsi, de 12.000 à 15.000 commerces, services, cafés et restaurants accueillent leurs clients le dimanche, soit 20 % des commerces parisiens, sans compter les 80 marchés alimentaires. C’est conforme, voire supérieur, à la situation des autres capitales européennes : à Londres, par exemple, le petit commerce est fermé chaque dimanche, seules les grandes enseignes ouvrant dans les quartiers touristiques entre 12 et 18 heures. Et, à Berlin, les ouvertures dominicales sont désormais restreintes à huit dimanches par an contre dix auparavant. En outre, il apparaît sans ambiguïté que l’extension des zones autorisant le travail dominical à destination de la seule clientèle touristique ne profiterait qu’aux grands magasins. En revanche, la Chambre des métiers et la Fédération nationale de l’habillement soulignent que cette déréglementation pénaliserait tous les autres commerces, les condamnant à suivre le mouvement alors qu’ils ne disposent pas des moyens économiques adaptés. Rappelons, enfin, l’impact social d’un tel bouleversement. Les salariés du commerce sont dans leur immense majorité des femmes. Elles ont souvent des enfants. Quel intérêt financier le travail dominical représenterait-il pour elles si elles doivent débourser de l’argent pour les faire garder ? Dans une ville où les familles monoparentales représentent 26 % de l’ensemble des foyers, comment ignorer un tel paramètre ?
L’enjeu du travail le dimanche est aussi philosophique : voulons-nous un monde où tout serait soumis à la logique marchande ? Ou un monde qui laisse leur part à la vie sociale et familiale, à l’intimité, à la culture ? La question vaut à l’échelle d’une personne, d’un foyer, mais aussi d’une cité. La solution se trouve donc dans la finesse de l’analyse et la négociation. Par exemple, on aurait pu envisager que, pour certains grands magasins du boulevard Haussmann, le nombre de dimanches ouvrables chaque année passe de cinq actuellement à huit ou dix. Les textes actuels ne le permettent pas, englobant par jusqu’au-boutisme les centres commerciaux périurbains et les grandes villes.
Texte complet, paru sur le blog de Lyne Cohen Solal, 8/6/10
Dans une tribune parue dans Les Echos du 4 juin, Madame Tachene et monsieur Dubus louent la « modernité » du travail dominical et estiment que Paris serait « à la traîne ».
Contestant ce propos péremptoire, une étude récente de l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme) établit une réalité bien différente : ainsi, 12 à 15 000 commerces, services, cafés et restaurants accueillent leurs clients le dimanche, soit 20% des commerces parisiens, sans compter les quatre-vingts marchés alimentaires. C’est conforme, voire supérieur, à la situation des autres capitales européennes : à Londres, par exemple, le petit commerce est fermé chaque dimanche, seules les grandes enseignes ouvrant dans les quartiers touristiques entre 12 et 18 heures. Et à Berlin, les ouvertures dominicales sont désormais restreintes à huit dimanche par an contre dix auparavant. Faudrait-il tendre, cependant, vers une généralisation du travail dominical ? « La loi votée en août 2009 a donné la possibilité au maire de la capitale de rattraper son retard » nous disent les deux auteurs de cette tribune. Formulation osée quand on se souvient que l’intention du gouvernement était de réserver à notre ville un statut d’exception où seul, le préfet – et non les élus – aurait eu le pouvoir de déterminer la « carte » du travail dominical. Cette disposition inique – soutenue par tous les députés de la droite parisienne – a heureusement été sanctionnée par le Conseil constitutionnel. Afin de traiter cet enjeu avec le sérieux indispensable, le maire de Paris a souhaité la création d’un groupe de travail rassemblant des élus parisiens de toute sensibilité. Celui-ci a auditionné l’ensemble des acteurs concernés : entreprises, organisations syndicales, associations de consommateurs, associations familiales, ainsi que des partenaires comme les chambres consulaires ou les fédérations professionnelles. Sur cette base, il apparaît sans ambiguïté que l’extension des zones autorisant le travail dominical à destination de la seule clientèle touristique ne profiterait qu’aux grands magasins.
En revanche, la chambre des métiers et la Fédération Nationale de l’Habillement soulignent que cette déréglementation pénaliserait tous les autres commerces, les condamnant à suivre le mouvement alors qu’ils ne disposent pas des moyens économiques adaptés.
L’objectif est-il la disparition de notre commerce de proximité ? Cette diversité commerciale ne constitue-t-elle pas, au contraire, l’un de nos atouts touristiques ? Autre dimension, essentielle : l’impact social d’un tel bouleversement. Rappelons que les salariés du commerce sont dans leur immense majorité des femmes. Elles ont souvent des enfants. Quel intérêt financier le travail dominical représenterait-il pour elles, si elles doivent débourser de l’argent pour les faire garder? Dans une ville où les familles monoparentales représentent 26% de l’ensemble des foyers, comment ignorer un tel paramètre ? Le gouvernement croit apaiser nos inquiétudes, en affirmant que tout se fera sur la base du volontariat. Faut-il être candide, ou cynique, pour imaginer que le volontariat existe réellement dans le contexte actuel ? Quand votre patron vous demande de travailler le dimanche, et surtout si votre salaire est bas, vous devenez très spontanément volontaire…
Madame Tachene et Monsieur Dubus (ce dernier étant par ailleurs délégué général du MEDEF de la région Ile de France) oublient aussi de préciser qu’aucune grande ville française ne s’est saisie des nouvelles dispositions législatives pour étendre le travail du dimanche sur son territoire. Parce ce que l’enjeu est aussi philosophique : voulons-nous un monde où tout serait soumis à la logique marchande ? Ou un monde qui laisse leur part à la vie sociale et familiale, à l’intimité, à la culture ? La question vaut à l’échelle d’une personne, d’un foyer, mais aussi d’une cité. La solution se trouve donc dans la finesse de l’analyse et la négociation. La droite nous accuse de dogmatisme parce que nous préconisons des solutions respectueuses de la vie des personnes et des rythmes de la ville. Par exemple, on aurait pu envisager que, pour certains grands magasins du Boulevard Haussmann, le nombre de dimanche ouvrables chaque année, passe de cinq actuellement à huit ou dix. Les textes actuels ne le permettent pas, englobant par jusqu’au-boutisme les centres commerciaux périurbains et les grandes villes. Alors, qui est dogmatique ? A ce stade, donc, nous prônons u
ne cohérence accrue, à travers le classement de toutes les zones touristiques de Paris en « périmètres d’usage et de consommation exceptionnels ». Cela permettrait à tous les salariés de Paris, quel que soit le quartier où ils travaillent le dimanche, de bénéficier de compensations, notamment salariales. Paris est une métropole ouverte sur le XXIème siècle. Son dynamisme, sa santé économique et commerciale, sont au cœur des enjeux. Mais sa force, ne l’oublions jamais, dépendra aussi de sa capacité à incarner un certain art de vivre et un sens aigu de la justice sociale. A chacun d’en être digne.