Dimanche, jour du Seigneur, du JDD et… du shopping ? Hors de question ! répond Bertrand Delanoë. Le maire PS de la capitale annoncera lundi matin, au conseil de Paris, qu’il refuse de créer de nouvelles « zones touristiques » et d’étendre le périmètre des sept zones existantes*– où les commerces peuvent ouvrir le dimanche sans contrepartie pour les salariés. Il tient là une petite revanche sur Nicolas Sarkozy, qui souhaitait une ouverture dominicale généralisée à Paris. Il y a près d’un an, le 30 juin 2009, le président de la République ironisait: « Est-ce qu’il est normal que le dimanche, quand Mme Obama veut visiter les magasins parisiens avec ses filles, je doive passer un coup de téléphone pour les faire ouvrir ? […] Nous allons changer cela. »
Or la loi sur le travail dominical qui prévoyait de confier ce pouvoir au préfet a été retoquée le 6 août par le Conseil constitutionnel, hostile à l’idée d’un régime spécial pour Paris. La prérogative est donc revenue au maire (loi du 10 août 2009). Ce sera le statu quo, au grand dam de la droite parisienne, de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) et des Grands Magasins, comme le Printemps et les Galeries Lafayette, les deux enseignes phares du boulevard Haussmann.
20 % des 62.000 commerces parisiens ouverts le 7e jour
Bertrand Delanoë fonde sa décision sur une étude qu’il a commandée à l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). Il résulte de cet « état des lieux » que « 12.000 à 15.000 commerces, cafés, restaurants et lieux de spectacles sont ouverts chaque dimanche à Paris», soit 20 % des 62.000 commerces parisiens. La capitale serait même « plus ouverte » le 7e jour que ses homologues européennes, Londres, Berlin ou Madrid, ou encore Milan. « La situation parisienne est donc équilibrée, bien loin de la vision caricaturale qui voudrait que Paris soit une “belle endormie” », se félicite Delanoë. Une enquête ciblée sur la zone touristique du boulevard Saint-Germain révèle que seulement 10 magasins sur 34 recensés pratiquent l’ouverture dominicale, dont Les Deux Magots et le Café de Flore ; que « 15 magasins de mode sur 16 sont fermés […]. Ceux-ci arguent, dans leur grande majorité (52 %), que les clients ne sont pas assez nombreux le dimanche […], 30 % des gérants estiment que le personnel serait hostile à cette ouverture dominicale et 9 % que les coûts salariaux seraient augmentés« . Les réponses sont sensiblement les mêmes dans les 121 commerces d’ameublement parisiens. L’opposition dénigre une étude « à charge ».
Dans le même temps, un groupe de travail réunissant des élus de tout bord a organisé des tables rondes. Conclusions: les conséquences sociales d’une extension du travail dominical seraient négatives pour les salariés, majoritairement des femmes, à temps partiel et sous-payées. D’autant que « le volontariat est un leurre« , assure Delanoë. Il insiste aussi sur la « dimension de civilisation » de ce débat: « Que voulons-nous? Une société qui réduit la vie à la production et à la consommation? Ou une société qui laisse leur place à la culture, à l’intimité, à la vie privée et associative? »
Mais Paris est en concurrence avec les autres capitales européennes, fait remarquer la droite. Avec 28 millions de visiteurs chaque année, la ville est la première destination touristique du monde. Sur le seul secteur des Grands Magasins, le directeur des Galeries Lafayette, Paul Delaoutre, à la tête du Comité Haussmann, affirme qu’une ouverture dominicale génèrerait « 150 millions d’eurosde chiffre d’affaires supplémentaires« , qui se traduiraient par le « recrutement de 600 personnes en CDI« . Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat et élu UMP du 9e, avance, lui, le chiffre de « 2.000 emplois non créés » dans ce secteur. « Delanoë détourne les Chinois et les Japonais vers Oxford street« , dit-il. Pour Jérôme Dubus, élu Nouveau Centre (ex-UMP) et délégué général du Medef Ile-de-France, « 200.000 emplois directs et indirects dépendent du tourisme à Paris, soit 15 % des emplois« . Il dénonce le positionnement « frileux, malthusien et antiéconomique » de l’exécutif municipal. Et propose la création de cinq nouvelles zones touristiques (boulevard Haussmann, Saint-Michel, Forum des Halles, Beaubourg, Opéra).
Droite et gauche voteront un régime plus favorable pour les employés
Le président du groupe UMP Jean-François Lamour déplore la « posture archaïque et politicienne » de la Ville. François Lebel, le maire du 8e, raille le « conservatisme de la gauche pour des prétextes sociaux et des raisons idéologiques qui remontent à 1936« . L’UMP soumettra au vote la proposition de la CCIP de créer une « zone d’hypercentre », allant de l’Etoile à la Bastille et de Montparnasse aux Grands Boulevards, qui n’a aucune chance d’aboutir. Cependant, le groupe approuvera le voeu de la majorité municipale, à l’adresse du préfet, pour la transformation des actuelles zones touristiques en « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (Puce), qui impliquent des hausses de salaire et un régime plus favorable pour les employés. Le Nouveau Centre s’y opposera, redoutant un « massacre pour les petits commerces« , selon Jérôme Dubus.
De son côté, l’adjointe PS au commerce Lyne Cohen-Solal rappelle que « chacun est libre d’ouvrir son magasin quand il le souhaite s’il n’emploie personne« . Elle avance que, outre les syndicats et les associations familiales, les petits commerçants – à l’instar de ceux de la rue de Rennes –, la Chambre des métiers ou encore la Fédération de l’habillement sont opposés à l’extension du travail dominical. De plus, demande-t-elle, « qui paierait les services publics supplémentaires, bus, métro, Propreté de Paris…? »
* Butte Montmartre (18e), place des Vosges-rue des Francs-Bourgeois (3e-4e, dans le Marais), viaduc des Arts (12e), rue d’Arcole (île de la Cité, 4e), bd Saint-Germain (6e), rue de Rivoli (1er), Champs-Elysées (8e).