Depuis la loi Mallié d’août 2009, les possibilités d’ouvrir le dimanche dans le commerce sont étendues. Mais ce n’est pas encore assez pour les supermarchés de quartier de Paris, qui violent allègrement les autorisations. Les syndicats, unis dans un comité, passent à l’action.
« Un grand Clip pour une grande claque. » Avec son slogan choc, le Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (Clip) passe la seconde contre le travail du dimanche. Si les infractions à la loi Mallié d’août 2009 sont légion, les abus les plus flagrants s’observent chez les supérettes. La législation a certes prolongé leurs horaires de 12 heures à 13 heures Mais depuis, les dirigeants des magasins franchisés se sentent pousser des ailes : il n’est pas rare de constater des supermarchés de quartiers ouverts tard le soir.
Dès février 2010, les syndicats CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, Sud et FO du commerce ont décidé d’agir, entre autres, sur cette question. Et de former le Clip. « Nous nous sommes organisés en association pour régler la question, vu la défaillance des pouvoirs publics », explique Éric Scherrer, secrétaire général du Seci-CFTC. En 2009, seulement 20 procès-verbaux ont été dressés pour ouverture illégale dans ces commerces parisiens d’après la direction générale du travail (DGT). Le 13 avril, à l’appel du comité, 150 militants de plus de 50 établissements de commerce se sont réunis en assemblée générale pour pointer de nombreux dysfonctionnements : les faibles salaires, les ouvertures avant 9 heures et après 19 h 30… et surtout la banalisation du travail illégal le dimanche. « Il y a deux semaines, nous avons envoyé une lettre au préfet pour savoir si ces supermarchés avaient des dérogations », explique Karl Ghazi, secrétaire général de l’union syndicale CGT du commerce de Paris. Dans ses permanences juridiques, Laurent Degoussée, secrétaire de SUD commerce et services, voit de plus en plus défiler « des femmes seules, étrangères, qui travaillent dans ces commerces. Elles ne connaissent pas leurs droits, ça leur semble normal de bosser 35 heures dimanche compris, souvent sans majoration ». Ces salariés, peu qualifiés et en situation de précarité, sont maintenus dans l’ignorance de la loi. Et tenter de s’insurger semble périlleux.
Joanny Poncet, adjoint de direction dans un Franprix parisien, l’a expérimenté. Titulaire d’un bac + 4 en communication, il se fait embaucher en 2007. « Pendant deux ans, j’ai bossé tous les dimanches matin, sans majoration. En décembre 2007, je faisais office d’adjoint, sans en avoir le grade, ni le salaire. Je faisais 70 heures par semaine pour 1 280 euros net. J’ai ensuite officiellement obtenu le poste. En septembre 2009, tous les autres magasins se sont mis à ouvrir la journée entière, alors on a suivi. » Syndiqué CGT, c’est à ce moment qu’il propose d’organiser des élections professionnelles. Sauf que le patron de la franchise, propriétaire du Franprix, ne l’entend pas de cette oreille. D’après Joanny, il a tout fait pour saborder sa candidature. « Je n’ai eu qu’une seule voix, la mienne. C’est déjà bien d’avoir réussi à faire ces élections. Bizarrement, depuis, je ne travaille plus aucun dimanche ! Mais je continue de dire aux autres que c’est illégal après 13 heures Un des petits jeunes du magasin commence d’ailleurs à se plaindre de ne pas profiter de ses week-ends. » Contacté par l’Humanité, le responsable des ressources humaines du groupe Sarjel, auquel appartient ce Franprix, n’a pas souhaité répondre. Même combat au Daily Monop du 9e arrondissement de Paris. Jacques (1), syndiqué CGT, confirme que depuis deux mois, le magasin est ouvert jusqu’à minuit. « Ils ont embauché des nouvelles personnes, spécialement pour ce jour-là. Ils doivent à peine bosser quelques heures par semaine. D’ailleurs, je ne les ai pas encore croisés », reconnaît Jacques.
Les arguments massue pour justifier ces violations de la loi sont les mêmes : suivisme et apport économique non négligeable. Joanny Poncet révèle que dans son magasin, le dimanche a supplanté le samedi comme meilleur chiffre d’affaires de la semaine.
Maître Douëb, avocat à Paris, spécialisé dans ce type d’affaires, rappelle que les supérettes ne peuvent se soustraire à la loi. « Le seul recours pour ouvrir après 13 heures c’est d’avoir une autorisation préfectorale ou d’être en zone touristique d’affluence exceptionnelle (ZTAE). Sinon, c’est la sanction. Par la voie pénale, avec un contrôle de l’inspection du travail. Ou par la voix civile, si les syndicats dépêchent un huissier, dans le cadre d’une procédure d’astreinte. Ces démarches prennent énormément de temps, sont coûteuses. Et les amendes sont loin d’être dissuasives. » Pour Karl Ghalzi, la généralisation de ces ouvertures, n’a qu’un seul but : faire plier la loi. « C’est la politique du fait accompli, on ouvre dans l’illégalité et une loi arrive pour régulariser la situation. C’est ce qui s’était passé pour le cas du Virgin qui avait été condamné pour ouverture illégale. La loi Balladur de 1993 a normalisé cela. C’est la même chose pour la loi Mallié de 2009. » Maître Douëb, parle, quant à lui, « de loi d’amnistie qui a donné un blanc-seing à tous ceux qui ouvraient illégalement ».
Du côté du ministère du Travail, point d’affolement. Benjamin Raigneau, de la direction générale du travail (DGT), assure que l’institution « a noté cette recrudescence des ouvertures de supérettes. Le 9 avril, la DGT a d’ailleurs reçu les représentants de la fédération du commerce et de la distribution ». Pas plus d’explications en revanche sur les seules 20 verbalisations enregistrées en 2009. Pour contrer la langueur ministérielle, les syndicats promettent de passer à l’action fin mai. En faisant constater le travail après 13 heures par huissier. « On ne fait pas un coup, notre mouvement s’inscrit dans la durée », assène René Roche, président de la FNEC CFE-CGC. En juin, le Conseil de Paris devrait également statuer sur cette question. En attendant, les syndicats espèrent toujours une réponse du préfet sur les prétendues dérogations.
Cécile Rousseau
(1) Le prénom a été changé.
En 2008, le travail du dimanche concerne près de 6,5 millions de salariés. Parmi eux, 2,8 millions travaillent de manière habituelle le dimanche. .. D’après un sondage Ipsos de 2008, 64 % des Français ne veulent pas travailler régulièrement le dimanche. .. 84 % des Français considèrent comme primordial pour la vie familale, culturelle, religieuse… que le dimanche reste un jour de repos commun à la plupart des salariés. .. 63 % des Français ne croient pas au volontariat pour le travail du dimanche. .. 77 % de ceux qui travaillent le dimanche estiment comme nécessaire que le dimanche reste le jour de repos de la plupart des salariés