Commerce: l'ouverture le dimanche ne fait pas recette

Le Figaro Economie, 3 avril 2010

Huit mois après la loi, seules trois communes touristiques et dix « périmètres» nouveaux ont été autorisés. La bataille commence à Paris, à l’initiative des grands magasins.

L’ouverture le dimanche reste l’exception

Huit mois après le vote de la loi Mallié, le paysage de l’ouverture des magasins le dimanche n’a guère évolué. L’illégalité a cédé la place à la complexité. Et les réticences restent grandes, notamment à Paris.

COMMERCE. Aux Quatre Temps, à la Défense, plus gros centre commercial de France (avec le Cnit voisin), on fait désormais ses courses le dimanche. Depuis le classement en zone touristique (grâce à la fàmeuse Arche), les commerçants sont autorisés à ouvrir sept jours sur sept.

La moitié d’entre eux a commencé à le faire fin octobre, rejoints par de nouvelles boutiques chaque semaine, soit plus de huit sur dix aujourd’hui.

Quelques magasins d’optique ou de téléphonie résistent encore … (Le dimanche est devenu pour de nombreuses enseignes la deuxième journée de ventes après le samedi, avec 12 % à 15 % du chiffre d’affaires» , se félicite Aline Sylla-Walbaum, directrice déléguée d’Unibail-Rodamco, propriétaire du centre.

En dehors de cet exemple important, il n’y a pas de raz de marée d’ouverture de commerces le dimanche, huit mois après l’adoption de la loi Mallié sur la question. ( On me traitait d’esclavagiste qui allait mettre toute la France au travail le dimanche. On est loin de cela », réagit le député UMP des Bouches du Rhône Richard Mallié, qui vient de boucler un point d’étape sur l’application de son texte.

La loi a prévu deux cas de figure distincts justifiant l’ouverture dominicale: des zones touristiques et des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel» (les Puces) dans les agglomérations de Paris, Lille et Marseille seulement, peu ou prou conçus pour traiter le cas des centres commerciaux qui ouvraient auparavant dans l’illégalité, comme Plan-de-Campagne, près de Marseille.

Résultat: aux 566 communes touristiques existantes, trois nouvelles se sont ajoutées depuis la loi: Sète, Fréjus et Chartres (les abords de la cathédrale). D’autres, comme Nice, ont fait la demande. Là, comme désormais sur les ChampsÉlysées, tous les magasins peuvent ouvrir à leur gré. Côté Puce, onze ont été autorisés, dont Roubaix, Plan-de-Campagne, Paris Nord 2. Une vingtaine d’autres sont en attente.

Nouveaux casse-tête

Cela peut susciter des situations étonnantes: dans le Val-de-Mame, le centre commercial Thiais Village, qui ouvrait illégalement avant la loi, a été autorisé; mais Belle-Épine, à quelques centaines de mètres de là, s’est vu refuser sa demande au motif… qu’il n’était pas ouvert  avant dans l’illégalité. Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la CFTC, en pointe contre le travail du dimanche, qualifie ce cas ubuesque de «prime aux délinquants» . Pour Richard Mallié, « il ne s’agissait pas de généraliser le travail du dimanche mais de régulariser des situations existantes ». Il n’empêche. Cette loi censée régler des aberrations juridiques en harmonisant les règles a créé de nouveaux casse-tête. « Des salariés d’une même enseigne peuvent être payés double le dimanche si leur magasin se trouve dans un puce et pas s‘ils appartiennent à un point de vente situé dans une zone touristique, souligne Joseph Thouvenel. Dans certaines chaînes se négocient des accords sociaux à la baisse. Nous donnons la consigne à nos délégués d’essayer de bloquer le plus possible. D’ailleurs, on constate avec bonheur qu’il y a beaucoup de réticences à ouvrir le dimanche de la part d’employeurs, conscients que c’est la mort assurée pour le petit commerce. »

Les patrons d’enseignes sont en effet pour le moins pmdents. Dans le meuble, ils peuvent ouvrir en vertu d’une loi spécifique de 2008, ce qui n’a pas empêché deux Ikea à Brest et à Nantes d’être contraints de fermer par des arrêtés préfectoraux. Dans l’habillement, les grandes chaînes, comme Zara (lire 3 questions à) , étudient la question au cas par cas avec circonspection. « Nous sommes très pragmatiques, il faut que cela réponde à une demande de la clientèle et des commerçants , explique Aline Sylla-Walbaum d’Unibail A la Défense, une minorité d’entre eux était à fond pour, une autre hypercontre, et la majorité sans religion. Or cela n’a de sens que si une majorité ouvre ensemble.) Unibail ouvre aussi le dimanche au Havre et étudie la question à Nice. Mais pas à Rosny 2, en région parisienne, pour l’instant… sauf si la situation évoluait à BelleÉpine.

C’est bien l’inquiétude des « anti » : que l’ouverture de certains fasse tache d’huile en contraignant les autres à s’y mettre malgré eux pour des raisons de concurrence.

Florentin Collomp

Et aussi…

Roubaix a obtenu l’autorisation d’ouvrir une zone commerciale. Une autre commune du Nord se l’est vue refuser.

Sète, Fréjus et Chartres sont devenues « zones touristiques », s’ajoutant aux 566 communes existantes.

Le nouveau centre commercial Docks Vauban, au centre-ville du Havre, ouvre le dimanche.

Le centre Plan de Campagne, près de Marseille, pour qui la loi Mallié a été conçue, ouvre enfin légalement, avec 104 commerces autorisés.

Marie-Cécile Renault

A Paris, les grands magasins seuls contre tous

Quand la loi régularisant l’ouverture dominicale des commerces a été votée, les grands magasins parisiens étaient dans les staning-blocks. Dès le début 2010, promettaient-ils, ils allaient être ouverts sept jours sur sept, comme leurs homologues de Londres ou New York, embauches et hausse de 10 % du chiffre d’affaires à la clé.

Bertrand Delanoë ne l’entendait pas de cette oreille. Puisque le Conseil d’État a confirmé les prérogatives du maire en la matière – alors que le texte de la loi Mallié avait cherché à le contourner au profit du préfet -, il allait prendre le temps d’étudier la question. Ce qui fut fait au cours de quatre débats de concertation, dont son adjointe au commerce, Lyne Cohen-Solal, doit lui rendre compte vendredi prochain. Le sujet devrait ensuite être inscrit à l’ordre du jour du Conseil de Paris en mai ou juin. N’en déplaise au gouvernement et à une partie de l’UMP, qui ont tenté de lui forcer la main à l’automne en réclamant un classement de la quasi-totalité de la ville en zone touristique, la Mairie de Paris semble se diriger vers une solution a minima.

« Globalement, on ne peut pas dire qu’il y ait unanimité chez les demandeurs, constate Lyne Cohen-Solal. Les seuls à réclamer une ouverture dominicale sont les grands magasins, et encore pas tous. La CGPME est contre, les indépendants de l’habillement sont contre, les commerçants de la rue de Rennes sont contre. Ils craignent qu’une large ouverture contraigne tout le monde à suivre le mouvement, sans parvenir à couvrir leurs surcoÛts par du chiffire d’affaires supplémentaire. »

Créer 1 000 emplois

Les Galeries Lafayette (ainsi que leur filiale BHV, concurrencée par l’autorisation accordée aux magasins de meubles) et le Printemps trépignent. « C’est le seul dossier en France oÙ l’on propose de créer plus d’un millier d’emplois sans demander un sou à personne et on nous en empêche» , peste un proche du dossier. Les Galeries pro
mettent 400 embauches, le Printemps 200, à quoi il faut ajouter 300 postes de « démonstrateurs» (les vendeurs payés par les marques), sans compter ceux dans les enseignes voisines et la restauration. « Ces promesses ne sont jamais tenues, comme chez Virgin sur les Champs-Élysées, dénonce Joseph Thouvenel de la CFTC. L’ensemble des organisations syndicales sont contre le projet. Pourquoi les grands magasins ne payent-ils pas double les dimanches déjà travaillés? En réalité, il s’agit surtout de multiplier les temps partiels. »

Pour Lyne Cohen-Solal, « on ne peut pas dire que touristes et Parisiens soient en manque de consommation le dimanche : 12 000 à 15 000 commerces sont déjà ouverts dans la capitale.» Les grands magasins argumentent que les visiteurs chinois, eux, n’attendent pas le lundi pour aller voir ailleurs.

Les supermarchés à l’amende

SI les commerces alimentaires peuvent ouvrir le dimanche jusqu’à 13 heures, un nombre croissant de supermarchés le font depuis plusieurs mois toute la journée dans la capitale. C’est notamment le cas de certains Franprix, Shopi ou G20. Monoprix, qui respectait jusqu’à présent la législation, teste cette option dans quelques points de vente Monop.

Les contrôles de l’inspection du travail et les recours de syndicats se multiplient. Une vingtaine de procès-verbaux ont été dressés en 2009, selon le ministère du Travail. Mais certains gérants prétèrent payer l’amende de 1 500 euros par salarié par dimanche ouvert plutôt que de laisser filer la clientèle. Bertrand Delanoë vient d’écrire au gouvernement pour dénoncer « le peu de contrôles effectués» . F. C.

 

Jean-Jacques Salaün (Zara)

Avez-vous décidé d’ouvrir vos magasins le dimanche?

Nous avons ouvert là où nous avons le droit: aux Quatre Temps à La Défense et sur les Champs-Élysées. Nous sommes en train de négocier un accord avec les salariés, en adoptant la position la plus favorable : dimanche payé double et récupéré, appel au volontariat, que ce soit une zone touristique ou un Puce.

Quel impact cela a-t-il sur votre activité?

Le chiffre d’affaires du dimanche équivaut à celui d’un vendredi, voire d’un samedi. Sur les ChampsÉlysées, cela n’impacte pas le reste de la semaine car il s’agit de touristes qui ne seraient pas venus un autre jour. À La Défense, cela mord un peu sur les ventes du samedi. Au  total, on gagne 7 à 8 % de chiffre d’aftàires supplémentaire.

Dans quelle mesure allez-vous étendre ces ouvertures à vos 150 magasins en France?

Dans le respect du cadre légal, l’ouverture dominicale n’est pas justifiée partout. Certaines zones dites « touristiques» le sont réellement, d’autres moins. Et les budgets des ménages ne sont pas extensibles. Si Bordeaux ou Marseille sont classées zones touristiques, je ne pense pas qu’on y ouvrira tous nos magasins.

Florentin Collomp

 

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