Nous avions dit, sur tous les tons, que les sondages sur le dimanche étaient manipulés, biaisés, faussés. Lorsqu’Alain Garrigou, spécialiste en sciences politiques, confirme notre point de vue de citoyen, nous n’allons pas bouder notre plaisir. |
Eh citoyen, si tu apprenais à mieux lire les sondages ?
Aujourd’hui encore, 48h avant de voter, nous subissons le feu croisé des enquêtes d’opinion… que nous soupçonnons parfois de prendre des facilités avec la réalité… mais que nous sommes bien en peine d’analyser. Pour finir cette enquête (qui, nous l’espérons, vous aura donné 100 % de satisfaction), Alain Garrigou, spécialiste en sciences politiques, nous aide à ne pas crouler idiot sous les chiffres. A partir de l’analyse de cinq cas précis.
Ami lecteur de sondages,
Les chiffres, on a beau dire, ça fait sérieux. Ça en impose. Ça résiste à la critique. Un chiffre, c’est un chiffre, quoi. Ça vous cloue le bec. « 57% des Français ont trouvé Nicolas Sarkozy convaincant. »Que voulez-vous répondre à cela ? 57 %, ce n’est ni 56, ni 58 % C’est précis, net, carré. Scientifique, n’est-ce pas ?… Histoire de ne pas lire idiot enquêtes et sondages, voici pourtant quelques exercices concoctés par Alain Garrigou, professeur de sciences politiques à l’université de ParisX-Nanterre. Où l’on voit que le diable, là comme ailleurs, se cache dans les détails. Vous pouvez répéter la question ?
1/ « Quelle est selon vous la meilleure solution pour réduire le déficit de l’assurance maladie ?
– Economiser sur les dépenses de santé
– Augmenter les taxes sociales (CSG, CRDS, etc.)
– Augmenter la part des soins pris en charge par les mutuelles et les assurances privées
– Sans opinion » (Ifop-Acteurs publics, janvier 2010).
On ne demandera pas s’il faut augmenter les impôts des plus riches ou contrôler les prescripteurs.
Diagnostic : La réponse est dans la question.
2/ « Un projet de réforme va prochainement être proposé à l’Assemblée nationale. Il réaffirme le principe du repos dominical. Il autorise dans les communes et zones touristiques l’ouverture volontaire des commerces de détail (hors alimentation) et clarifie aussi les dérogations déjà existantes dans les agglomérations de Paris, Lille et Marseille. Personnellement, êtes-vous favorable ou pas favorable à ce nouveau projet de réforme ? » (Ifop-Publicis Consultants 11-12 juin 2009).
N’était-il pas plus simple de demander si l’on était favorable à l’ouverture des magasins le dimanche ? Comment refuser si l’on sait que la réforme ne sera applicable que dans des conditions précises comme le volontariat, des zones définies et que de toute façon cela existe déjà ? Il faudrait être de mauvaise foi pour suspecter que le volontariat n’est pas si simple et qu’une brèche ouverte peut s’élargir.
Diagnostic : on vous explique avant de répondre.
3/ « Estimez-vous que lors de son interview Nicolas Sarkozy a été très convaincant, assez convaincant, peu convaincant ou pas du tout convaincant ? » (CSA-Le Parisien, 26 septembre 2009)
Cette question, du type effeuillage de la marguerite, est si familière qu’on ne la suspecte pas. Un vice caché existe pourtant dans l’échantillon de ce sondage sur l’interview de Nicolas Sarkozy à New York sur TF1 et France 2, le 24 septembre 2009. Selon la fiche technique, il était effectué sur « un échantillon représentatif de 852 personnes ». Un peu faible, mais pas si éloigné des normes habituelles. Le problème, c’est que tous les Français n’ont pas regardé la télévision, ni tous ceux qui ont été interrogés. Il faut donc faire attention à la ligne publiée en-dessous :« Question posée aux personnes ayant vu ou entendu parler de l’interview télévisée, soit 68 % de l’échantillon ». Nul n’est besoin d’être devin pour imaginer que les téléspectateurs ayant assisté à la prestation du président de la République étaient surtout ses partisans. On est donc assuré d’obtenir une réponse favorable. L’AFP a diffusé ensuite sa dépêche titrée : « 57 % des Français l’ont trouvé convaincant en général. » Cette opération a été renouvelée après la rencontre de Nicolas Sarkozy avec des Français sur TF1 le 25 janvier 2010 avec des chiffres quasiment identiques : un échantillon de 805 personnes dont 67 % avaient donné leur avis, là encore convaincu à « une large majorité » (AFP). Par la force des choses, le sondage (le 12e du genre réalisé par CSA) avait organisé la claque.
Diagnostic : La réponse est dans l’échantillon.
4/ « Que pensez-vous de l’ascension fulgurante de Jean Sarkozy ? » (12 octobre 2009 après l’annonce de sa candidature à la présidence de l’Epad)
Sur le mode des quikie polls ou sondages rapides, cette question était proposée aux internautes du portail Orange, avec trois possibilités :
– Choquant
– Peu importe
– Pourquoi pas
Outre la question, qui suggère un aspect positif – « une ascension fulgurante » –, on remarquera que, pour ne pas être dissuasive, l’approbation est proposée en demi-teinte, presque comme de l’indifférence, surtout pas comme une manifestation d’enthousiasme – fortement improbable et symétrique de la franche désapprobation.
On sait ce qu’il en est advenu de « l’ascension fulgurante ».
Diagnostic : La question est volontairement biaisée. Les réponses aussi.
5/ « Il y aura un deuxième procès Clearstream avec M. de Villepin puisque le procureur de la République a décidé de faire appel. Pensez-vous que ce nouveau procès est :
– nécessaire pour connaître toute la vérité sur cette affaire
– inutile, le premier procès a permis d’aller au fond des choses
– sans opinion. »(Expression publique, 20 janvier 2010)
Dans une enquête sur échantillon spontané, on peut se demander l’intérêt de répondre quand on n’a pas d’opinion… Et pour ceux qui en avaient une, n’était-il pas plus franc de leur demander s’ils étaient pour ou contre la condamnation de Dominique de Villepin ?
Diagnostic : Une question peut en cacher une autre