La Commission européenne ouvre mercredi 24 mars les consultations en vue d’une nouvelle directive sur le temps de travail. Des syndicats, élus européens et les Églises chrétiennes veulent faire reconnaître, par « principe », le dimanche comme jour de repos
Le dimanche doit-il devenir un jour comme les autres en Europe ? Au moment où la Commission européenne relance les consultations avant de soumettre une nouvelle législation encadrant le temps de travail dans l’Union européenne, des organisations syndicales (FO, CGT, CFTC pour la France), des élus européens de tous bords et les représentations à Bruxelles des Églises chrétiennes réaffirment la singularité du congé dominical.
Un événement est prévu à cette fin au Parlement européen à Bruxelles mercredi 24 mars après-midi. « Nous attendons entre 400 et 450 participants », se félicite-t-on dans l’entourage de l’eurodéputé allemand, Thomas Mann, vice-président de la commission parlementaire des affaires sociales, à l’origine de la conférence. Celle-ci compte déboucher sur un appel lancé aux 27 chefs d’État et de gouvernement, réunis à partir de mercredi en sommet, pour que le droit au dimanche férié soit reconnu, par principe, à tous les citoyens européens.
« Ce jour de repos commun sert à renforcer la cohésion sociale dans nos sociétés, une cohésion qui est si sévèrement ébranlée par la crise économique actuelle », argumente l’élu conservateur allemand, signalant combien le dimanche sert aux rassemblements familiaux, aux récréations collectives ou à l’engagement associatif. Et il est déjà reconnu en droit européen comme jour de repos pour les enfants et adolescents.
Travailler le week-end ne serait pas sans effets négatifs
Une protection générale du dimanche fut un temps reconnue par la législation européenne. La première directive sur le temps de travail de 1993 avait retenu que le droit à un repos hebdomadaire devait « en principe inclure le dimanche ». Mais, attaquée par le Royaume-Uni devant la Cour européenne de justice, cette spécificité dominicale a été abandonnée en 1996.
La Cour européenne a en effet alors jugé que rien n’obligeait à ce que le repos hebdomadaire d’un travailleur soit pris le dimanche au nom de la santé et de la sécurité au travail, seule base légale de la directive européenne. Autrement dit, un travailleur ne serait pas en moins bonne santé s’il se repose un jeudi ou tout autre jour de la semaine plutôt qu’un dimanche.
Les défenseurs du repos dominical font depuis valoir de récents travaux d’une agence publique de l’Union européenne, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail (Eurofound), montrant que travailler le week-end ne serait pas sans effets négatifs sur l’absentéisme, la motivation et les maladies au travail.
«Son fondement juridique est difficile à établir»
« L’argumentation scientifique, déjà utilisée lors des débats en 2009, reste assez faible », estime toutefois Catelene Passchier, secrétaire confédérale à la Confédération européenne des syndicats (CES), rappelant que la directive actuelle prévoit déjà un repos ininterrompu de 36 heures par semaine, pris en pratique le plus souvent en fin de semaine.
« L’attitude de la droite européenne est ambiguë sur ce sujet, ajoute-t-elle à La Croix. Thomas Mann veut sauver le dimanche mais a voté pour le maintien de la dérogation (opt-out) à travailler au-delà de 48 heures par semaine. C’est incohérent ! » L’abolition de cette dérogation, à laquelle tient le Royaume-Uni, reste la priorité de la CES.
« Nous ne sommes bien sûr pas opposés à une protection du dimanche, mais son fondement juridique est difficile à établir en droit européen, compte tenu du jugement de la Cour européenne de justice. C’est une préoccupation essentiellement allemande », observe Catelene Passchier. L’arrivée possible d’un gouvernement conservateur outre-Manche ne devrait que compliquer la tâche pour parvenir à un accord européen. « Il serait préférable de miser sur une protection nationale ou par la négociation collective », poursuit la dirigeante syndicale.
Sa dimension religieuse n’échappe à personne
La Commission européenne devrait aussi adopter cette attitude. « C’est une question de subsidiarité. Rien n’empêche les États de protéger le dimanche, comme c’est déjà le cas dans 16 pays de l’Union », observe-t-on dans l’entourage de Laszlo Andor, nouveau commissaire européen aux affaires sociales. Cet économiste hongrois est chargé de rédiger une nouvelle proposition de directive sur le temps de travail après l’échec en avril 2009 d’une précédente tentative remontant à 2004.
Une première phase de consultation des partenaires sociaux est officiellement lancée mercredi 24 mars pour au moins six mois. Le texte législatif proprement dit ne devrait pas être mis sur la table du Parlement européen et des Vingt-Sept avant la fin de cette année. Intervenant cet après-midi à la conférence pour le dimanche, Laszlo Andor devrait se garder à ce stade de trancher dans un sens ou l’autre cette question sensible.
« Le dimanche convient aux chrétiens. Mais quid alors du samedi pour les juifs et du vendredi pour les musulmans ? » soulève par ailleurs une source communautaire proche du dossier. Bien que les représentations des Églises chrétiennes veillent à ne pas militer trop ouvertement sur la question dominicale, sa dimension religieuse n’échappe à personne.
Assouplir les heures d’ouverture des magasins
Si elle avait été retenue, la mention de l’héritage chrétien dans le préambule du traité européen aurait d’ailleurs été utilisée comme possible base juridique pour légiférer. « Toute protection du dimanche doit rester neutre sur le plan religieux », met en garde Catelene Passchier, relevant que « le dimanche est bien chômé en Inde alors que les chrétiens y sont très minoritaires ».
Au-delà de la légitimité du repos dominical, c’est la question de l’ouverture des magasins le dimanche que le débat soulève aussi. Les services de la Commission européenne traitant du fonctionnement du marché européen s’intéressent aux distorsions concurrentielles dans la distribution qu’induit un encadrement différent des plages d’ouverture des commerces entre pays. En particulier à l’heure du commerce électronique qui, lui, ne connaît pas de fermeture pour repos.
Selon le Financial Times de mardi 23 mars, le président de la Commission, José Manuel Barroso, estime qu’un moyen de dynamiser la consommation outre-Rhin et d’ainsi tirer la demande en Europe serait, entre autres, d’assouplir les heures d’ouverture des magasins.
Sébastien MAILLARD, à Bruxelles |