Au détour de cet article du Temps, la petite phrase d’Henri Gaino, l’éminence grise incontournable : « L’ambition était un peu plus grande ». Cette petite phrase indique deux choses : faire travailler les salariés le dimanche était bien une idée forte de l’Elysée, et l’action menée pour la contrer, même si elle est restée modeste face aux moyens déployés par l’Elysée, a bien eu des résultats tangibles : continuons le combat ! |
France: Nicolas Sarkozy, ou la déception du pouvoir – Sylvain Besson
Au plus bas dans les sondages après bientôt trois ans de mandat, l’hyperprésident a dû revoir à la baisse ses ambitions. Mais sa garde rapprochée croit en son rebond
Les dix prochains jours s’annoncent difficiles pour Nicolas Sarkozy. A moins d’un sursaut de dernière minute, les élections régionales des 14 et 21 mars risquent de rendre un verdict cinglant sur son action. Après bientôt trois ans de pouvoir, six Français sur dix en sont mécontents; son électorat est démobilisé (lire le complément ci-dessous); sa promesse de «rupture» avec un modèle national défaillant s’est évanouie.
Nicolas Sarkozy a-t-il échoué? Les hommes du président croient qu’il est trop tôt pour livrer un jugement définitif. L’analyse fine des sondages les réconforte quelque peu: «La façon dont il est jugé pour réformer, pour faire preuve d’énergie, reste un point positif pour lui», estime une source bien introduite à l’Elysée.
Alain Minc, consultant et essayiste proche de Nicolas Sarkozy, réfute l’idée d’une fatalité française, qui verrait les rêves de transformation du pays, portés par chaque président, s’enliser au bout de deux ou trois ans. «Ce n’est pas une fatalité de la France, mais une fatalité de la politique, estime-t-il. La situation de Sarkozy à mi-mandat est plus confortable que celle d’Obama après un an de pouvoir, ou que celle de Merkel après trois mois de gouvernement avec ses alliés libéraux.»
Alain Minc admet que «le système présidentiel français oblige à survendre» – ce qui s’était traduit par le slogan «changer la vie» de François Mitterrand en 1981, ou la «rupture» du candidat Sarkozy en 2007. «A l’époque, tout le problème était de desserrer certains freins, pour faire passer la croissance de +2% à +3%. Aujourd’hui, on essaie de passer de –2% à +1%… 2007, c’est la préhistoire.»
La crise a eu raison des objectifs initiaux du chef de l’Etat, mais l’Elysée pense que les Français ne lui en veulent pas. «La situation économique ne permet pas de faire immédiatement tout ce qu’on aurait pu faire, et ça les gens le comprennent bien, assure Franck Louvrier, conseiller à la communication et à la presse de Nicolas Sarkozy. Ils savent que le président fait le maximum.»
En France, «faire le maximum» implique de lutter au quotidien contre un système administratif rigide, où chaque avantage acquis doit faire l’objet de négociations serrées, et où le Ministère des finances, gardien du budget, s’emploie à rogner les initiatives jugées trop dispendieuses. «La réforme est un art compliqué», soupire Henri Guaino, conseiller spécial et «plume» du président. «Si vous mettez 500 millions de côté pour un projet, ils s’arrangent pour réduire la somme à 300 millions, et la prennent pour faire autre chose.»
Ne suffirait-il pas, pour dégager des ressources, de supprimer les dépenses improductives? «Oui, mais la table rase est impossible, répond Henri Guaino. Ces dépenses induisent des comportements qui ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Si vous supprimez les exonérations de charge sur les bas salaires, vous alourdissez de 25 milliards le coût du travail! Et si la Sécurité sociale arrête de rembourser les cures thermales, l’économie des villes d’eaux s’effondre.» Souvent, le président et son équipe ont dû se contenter de compromis. Comme sur le travail du dimanche – «l’ambition était un peu plus grande», reconnaît Henri Guaino – ou les régimes spéciaux de retraites, dont «les fruits seront longs» à venir. La renaissance de la politique industrielle n’en est qu’à ses balbutiements, avec la création du Fonds stratégique d’investissement ou le grand emprunt.
A défaut d’une grande réforme emblématique, des mesures plus limitées composent la shortlist des accomplissements présidentiels: autonomie des universités, Revenu de solidarité active, qui permet de cumuler une allocation de subsistance avec un travail, assouplissement des 35 heures, sans oublier les efforts, encore embryonnaires, en faveur de la «moralisation du capitalisme». Dans une interview à paraître samedi dans Le Figaro Magazine, Nicolas Sarkozy annonce qu’il conduira, en 2012, un «audit» destiné à «améliorer» ses réformes, voire à les simplifier en laissant le parlement «délégiférer».
La cohérence idéologique n’est pas le trait dominant de ces différentes politiques. Et l’on est loin d’une «table rase» d’inspiration libérale, ou de la refonte radicale de l’Etat providence, que les discours de Nicolas Sarkozy sur «l’échec de nos politiques publiques depuis trente ans» laissaient entrevoir en 2007.
Mais, selon Alain Minc, c’est bien ainsi: «Pour moi, cette somme de petites réformes sera suffisante. Elle répond au retard français, qui était un ensemble de micro-lâchetés multiples, qu’on avait laissé prospérer par souci du confort de la société française. Le système s’était déréglé par plein de petites choses, nécessitait toutes sortes de petits réglages.» Ceux qui réclamaient des réformes plus ambitieuses n’avaient, selon lui, «pas compris le retard français».
L’essayiste ne doute pas que Nicolas Sarkozy se représentera en 2012. «Ce qui va changer pour lui, c’est le fait qu’ensuite il ne sera plus rééligible», observe-t-il. Un effet du changement constitutionnel voté en 2008, qui empêche le chef de l’Etat de briguer un troisième mandat. Cette libération des contingences électorales pourrait autoriser le président à se poser, à nouveau, comme le seul candidat capable de réformer son pays. Reste à voir si les Français seront prêts à le croire une fois de plus.
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