Le travail dominical ne s’est pas encore généralisé dans le monde du commerce et de la grande distribution. Six mois et demi après la promulgation de la loi du 10 août 2009, qui élargit les possibilités de dérogations au repos du dimanche, le nombre d’employeurs cherchant à tirer partie de ces nouvelles dispositions reste limité. Toutefois, les pratiques évoluent un peu : plusieurs enseignes ont décidé d’accueillir les clients ce jour-là, alors qu’elles restaient fermées auparavant, ce qui engendre parfois des conflits et quelques dérives.
Critiquée par la gauche et par les confédérations syndicales, la loi du 10 août 2009, dite « loi Mallié » (du nom du député des Bouches-du-Rhône qui en est à l’origine), introduit deux grandes innovations. Primo : elle prévoit la possibilité de créer des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE) dans les agglomérations lilloise, marseillaise et parisienne. A l’intérieur de ces zones, délimitées par le préfet après une demande de la municipalité, un commerce de détail peut faire travailler ses salariés le dimanche à condition qu’ils soient d’accord et que leur rémunération soit majorée.
Deuxième nouveauté : dans les communes« d’intérêt touristique ou thermal » et dans les« zones touristiques d’affluence exceptionnelle »(définies là aussi par le préfet sur requête des maires), les établissements de vente au détail sont autorisés à ouvrir le dimanche ; mais contrairement aux PUCE, les employeurs ne sont pas obligés d’accorder des compensations à leurs personnels.
Dernières précisions importantes à rappeler : dans les magasins de meubles, la loi du 3 janvier 2008 « pour le développement de la concurrence » autorise le travail chaque dimanche. Quant aux commerces alimentaires, ils peuvent recevoir du public jusqu’à 13 heures, ce jour-là.
D’après Jean-Denis Combrexelle, le responsable de la direction générale du travail (DGT), la mise en application de la loi Mallié s’effectue à pas comptés. A la fin février, onze PUCE avaient été définis, dont un pour le centre commercial de Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône) où un accord a été conclu avec la CFE-CGC, la CFTC et FO.
Cependant, le nombre de PUCE va progresser car des communes ont déposé ou s’apprêtent à déposer une demande. C’est par exemple le cas d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), bien que le maire, Pierre Gosnat (PCF), soit opposé à la loi Mallié. Dans cette commune se trouve un magasin Leroy-Merlin ouvert tous les dimanches depuis des années, explique Laurent Jeannin, directeur de cabinet de M. Gosnat. « Par pragmatisme », une majorité de conseillers municipaux ont voté la mise en place d’un PUCE, quasiment limité à ce seul établissement, afin qu’il puisse rester ouvert le dimanche, ajoute M. Jeannin.
« PRIME À LA DÉLINQUANCE »
Les deux lois de 2008 et de 2009 étaient très attendues par les magasins qui ouvraient le dimanche sur la base d’autorisations susceptibles d’être annulées par la justice. Grâce à ces deux textes législatifs, ils sont sortis de l’illégalité, ce qui fait dire à Joseph Thouvenel, de la CFTC, qu’ils ont touché « une prime à la délinquance ». A l’heure actuelle, plusieurs grandes enseignes, telles que Castorama, Conforama, Ikea ou Leroy-Merlin, assurent ne pas vouloir ouvrir d’autres établissements chaque dimanche – en dehors de ceux déjà dans cette situation avant 2008. Elles rappellent que le personnel employé ce jour-là est volontaire et bénéficie de majorations de salaire.
En revanche, la Fnac et Virgin ont profité du classement de la Défense (Hauts-de-Seine) en « zone touristique d’affluence exceptionnelle » pour ouvrir, depuis quelques semaines, leur magasin situé dans le centre commercial des Quatre-Temps. Chez Virgin, cette initiative a été rendue possible grâce à un accord « signé par SUD et par la CGT », affirme le PDG, Jean-Noël Reinhardt. Là encore, le volontariat est de mise et les heures effectuées sont payées le double. La Fnac, elle, dit avoir lancé une réflexion pour savoir s’il était judicieux d’ouvrir d’autres établissements le dimanche.
Le travail dominical progresse aussi dans l’univers du commerce alimentaire, non sans se heurter parfois à l’hostilité des salariés. A Carcassonne, un Géant Casino a annoncé durant l’automne 2009 qu’il souhaitait ouvrir ses portes chaque dimanche matin. Levée de bouclier du personnel. Le maire de la ville a été saisi du dossier, rapporte son directeur de cabinet, Christophe Fernandez.« Finalement, le projet a été abandonné », indique-t-il.
Plus récemment, deux magasins Leader Price, également implantés à Carcassonne, ont manifesté la même intention. Des salariés ont protesté, ils ont été reçus par le maire.
A Albertville (Savoie), le personnel d’un magasin Ed s’oppose depuis plusieurs mois à son ouverture dominicale en s’installant devant les entrées, chaque dimanche matin. A cause de ce« mouvement social », l’établissement « ne réalise pas le chiffre d’affaires attendu », précise une porte-parole de Carrefour, propriétaire de l’enseigne.
Certains commerces alimentaires ont carrément franchi la ligne jaune à Paris en restant ouverts au-delà de 13 heures, rapporte M. Combrexelle. « Une vingtaine de procès-verbaux » ont été dressés. A ce jour, ce sont les seuls débordements qui sont remontés jusqu’à la DGT.
Bertrand Bissuel