Gérard Allard : pour une extension du repos dominical

Intervention intéressante que celle de Gérard Allard, conseiller général de Loire Atlantique (Bouaye – Rezé sud), président de la commission d’aménagement du territoire, et adjoint au maire de Rezé, chargé de l’urbanisme et du développement durable.

Sa conclusion : « e suis convaincu que nous devrons revoir dès que possible cette législation [la loi Mallié, ndls] pour interroger ces centaines de dérogations qui ont fini par enlever tout le sens de la loi de 1906. Je plaide pour ma part pour un élargissement progressif du repos dominical. Les familles, la santé, les entreprises, l’environnement et l’économie s’en trouveront mieux à terme. ».

Blog de Gérard Allard, 20/02/10

Ouverture des commerces le dimanche

Débat organisé vendredi 19 février à la maison des syndicats organisé par l’ASSECO CFDT, l’INDECOSA CGT et la CSF.

Je remercie les organisateurs pour ce débat social et économique, ce débat citoyen utile. Car aujourd’hui, nous n’avons plus le temps de débat, plus le temps de la rencontre, de l’échange d’idées entre les partenaires sociaux et politiques. Bravo pour cette initiative et merci. 

Il me revient de faire un rapide historique du repos dominical.

La première loi instaurant le travail dominical date de 1906. 

–   Tout au long de l’histoire en France, le repos dominical a fait l’objet de choix, religieux, puis idéologique ou politique. Nous retrouverons dans notre débat cet aspect non négligeable du débat, qui est loin d’être un débat seulement économique ou social. 

–   Historiquement, je ne vous apprendrai pas grand-chose dans une société marquée par le catholicisme, le repos du dimanche est inscrit dans la bible. Dire qu’il fut largement respecté par les régimes royaux chrétiens. 

–   La Révolution a aboli le principe du repos dominical en 1789. La Restauration le rétablit. Il est à nouveau annulé le 12 juillet 1880. 

–   C’est le 13 juillet 1906 que la loi instituant un repos hebdomadaire de 24 heures le dimanche a été voté. 

–   Cette loi  a mis fin à de graves tensions sociales et religieuses.

o    Tensions religieuses, car nous sommes au lendemain ou plutôt un an après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, alors que les tensions sont fortes s’agissant les inventaires des biens du Clergé. Ça se passe mal et il faut calmer le jeu avec l’Eglise, et le repos dominical est un enjeu symbolique.

o    Mais, c’est la tragédie de la mine de Courrières, qui va déclencher la décision. La revendication du dimanche chômé fait parti à cette époque des manifestations ouvrières. L’explosion dans la mine de Courrière tue 1099 personnes. 45000 mineurs se mettent en grève, et malgré la venue de Clémenceau et l’arrivée de 20000 militaires, la crise est à son comble. Le 1er mai, 50000 gueules noires vont défiler à Paris. Ils obtiennent une augmentation des salaires. Et avec l’arrivée de la gauche au pouvoir le 20 mai suivant, pour mettre fin à un conflit très long conflit social, la loi sur le travail dominical est votée. C’est la loi Sarrien qui était toujours d’actualité en 2009. 

–   Au fil du temps  cette loi Sarrien a connu bien des dérogations. En fonction des activités commerciales, des régions etc. C’est pourquoi le code du travail énonçait « le repos hebdomadaire est donné le dimanche, dont la violation est un trouble « manifestement illicite ». On comptait avant le vote de la loi en 2009 plus de 180 dérogations, permanentes pour les établissements dont le fonctionnement est nécessaire le dimanche pour les besoins du public et de la vie sociale (activités de service public : hopitaux etc. ou activités de restauration, hôtellerie etc.). C’est le cas des commerces dont le CA alimentaire dépasse les 80 % qui ont droit à ouverture le dimanche de 9h à 12h sous réserve de compensation en semaine.

On comptait aussi des dérogations temporaires : attribuées par le maire ou le préfet : exemple des communes touristiques et des 5 dimanches par an pour les grands magasins.

Et enfin des dérogations conventionnelles dans les activités industrielles nécessitant un travail continu (haut-fourneau). Selon l’INSEE 3,4 millions de salariés travaillent habituellement le dimanche et 4 millions occasionnellement. 

En conclusion de ce rapide historique, le repos dominical n’est pas si vieux que ça. On peut dire que la religion et l’idéologie ont joué un grand rôle dans la question du travail du dimanche. Ces aspects demeurent très clairement en fond de toile de ce débat. Aujourd’hui les arguments des opposants au repos dominical sont économiques, patronaux, et ils s’affrontent aux mêmes revendications du droit au repos le dimanche pour les salariés. 

En tant qu’élu du département, je ne suis pas directement concerné par la question de l’ouverture des magasins le dimanche.

Pour autant, président de la commission aménagement du territoire, et en tant qu’élu du sud-loire, je me sens concerné de très près par la question du commerce, de son développement, de son implantation et de son développement. La question de l’ouverture le dimanche en fait partie. 

Je dirais pour commencer que nous sommes dans une situation particulièrement complexe concernant le commerce et en particulier le commerce des grandes surfaces qui sont les plus intéressées et demanderesses de l’ouverture des magasins le dimanche. 

Situation complexe et paradoxale car cette économie du commerce est très encadrée. C’est sans doute l’activité économique en France la plus encadrée. Et cela ne va pas s’arranger. Car législateur vient de décider de réglementer le développement du commerce en utilisant des règles d’urbanisme et donc les PLU, qui définiront par secteur géographique les possibilités ou non d’extensions commerciales. Aujourd’hui ce sont des commissions CDEC, CDAC qui ont le pouvoir de dire oui ou non au développement des surfaces commerciales. La véritable entrave au développement commercial, je le dis aux chefs d’entreprises est là. Davantage que dans la liberté de commercer le dimanche. Je suis bien placé pour le dire car je ne comprends pas que l’on empêche ici, je veux dire au sud-loire, le développement de grandes surfaces, quand d’autres secteurs sont saturées et continuent leur extension. Ce n’est pas tout à fait le sujet mais vous l’aurez compris, je ne suis nullement hostile à la liberté du commerce, quand les règles du jeu entre territoires, mais également entre catégories de commerce est vraiment équitable. 

S’agissant de la question de l’ouverture des commerces le dimanche qui est notre sujet je dirais qu’il y a trois façons de l’envisager qui au bout du compte doivent se rejoindre. Je veux parle de l’aspect économique,  de l’aspect social, mais également de l’aspect politique. 

Du côté économique. 

< P>–   Il faut bien sûr regarder avec attention l’intérêt économique du travail dominical dans un contexte économique et social difficile, de crise économique sans précédent. Si le travail du dimanche engendrait des bénéfices et des profits suffisants pour créer une dynamique économique, avec de l’emploi à la clé, il serait inconséquent d’y renoncer car nous avons besoin de dynamisme économique et d’emploi. Nous avons besoin de développement économique pour réduire le chômage et sortir de la crise. 

Des représentants de commerçants et de grands groupes commerciaux affirment ce point de vue. D’autres le contraire. Les études le prouvant sont assez rares. 

–   Les études du CREDOC en revanche ont démontré que les ouvertures du dimanche n’augmentent pas la consommation. Que la consommation dans les grandes surfaces le dimanche se fait au détriment des petits commerces de centre-ville. Il a été calculé que près de 30000 emplois pourraient être supprimés à terme dans le petit commerce.

C’est sans doute la raison pour laquelle les associations de petits commerçants demeurent majoritairement hostiles à l’ouverture des magasins le dimanche.

Par ailleurs :

o    Le pouvoir d’achat n’est pas extensible, sauf à développer le surendettement.

o    L’ouverture ou non des centres commerciaux le dimanche n’augmente pas les revenus des ménages.

o    Enfin, le chiffre d’affaires global de tous les commerces ne peut augmenter dans ces conditions. Par conséquent, et dans ces conditions le nombre d’emplois ne peut augmenter puisqu’il est fonction du chiffre d’affaire. 

–   Tout cela est assez logique. Pour qui connait comme nous, élus, la situation du porte-monnaie de nos concitoyens, si l’on augmente la durée d’ouverture des commerces, on n’augmente pas la consommation des ménages. Si l’on a besoin d’une voiture, d’un canapé ou de manger, et si les magasins ne sont pas ouverts le dimanche, on achète un autre jour. 

–   Certains arguments méritent aussi d’être entendus et pris en compte : en particulier les incohérences de la loi française qui prévoit tellement de cas particuliers et de dérogations que cela crée des situations aberrantes, incohérentes et injustes. Mais fallait-il ajouter de nouvelles situations de dérogations, donc encore plus d’injustice entre territoires et entre commerçants, ou plutôt revoir certaines exceptions ou dérogations ?   

–   L’argument des salariés volontaires est-il recevable ? Sans doute car certains salariés, jeunes, célibataires, sont favorables au travail du dimanche. Mais le seul argument avancé est celui du salaire, plus élevé, qui représente on le comprend une forte motivation. Mais que faut-il penser de la cohorte de salariés qui se sentent contraints et forcés sans le dire, car ils craignent pour leur emploi et qui se portent volontaires pour ne pas se faire mal voir de leur employeur.   

–   L’argument de la vente par internet après la vente sur catalogue est un vrai argument, car il vient fragiliser l’activité commerciale. 7j sur 7, 24h sur 24, on peut passer une commande et acheter en ligne. Cette nouvelle concurrence est à prendre en compte. 

Sur le plan économique, un certain nombre d’arguments sont à prendre en considération. Ils sont à confronter aux arguments sociaux. 

L’économique et le social. Je tiens à lier les deux. On ne peut aujourd’hui dissocier l’économie du social. Nous sommes dans un cycle de développement durable de nos sociétés où l’économique et l’humain sont étroitement liés qu’on le veuille ou non. Aujourd’hui on parle de développement humain. Et de remplacer le PIB par un IDH (indice de développement humain). Car il ne peut y avoir de progrès économique sans progrès social. J’entendais hier une haute responsable de Danone qui affirmait que l’on devrait lier la rémunération des manageurs à la prise en compte du bien-être des salariés. 30% de la rémunération chez Danone.

 Si l’on veut bien prendre en compte la dimension sociale de la question, nombreux sont les arguments qui militent en faveur du maintien du repos dominical : 

–   Commençons par le point de vue des français et des sondages  que l’on a beaucoup utilisé avant de faire passer la loi. Que disent-ils aujourd’hui ? 

Plus d’un mois après la publication de la loi sur le travail dominical, 55% des personnes interrogées estimaient qu’il n’est « pas vraiment » voire « pas du tout normal d’élargir les possibilités de travail le dimanche ».
Pour 56,2%, cela ne les inciterait pas à fréquenter davantage les commerces ce jour-là. 

–   Puis le rapport au travail, aux conditions de travail, au rythme etc. le stress au travail est devenu un fléau, pour des tas de raisons, que je ne développerai pas ici. Mais la question du rythme de vie, de l’alternance entre temps de repos et temps de travail,  du rythme de vie est posée par les médecins et chercheurs. On a les 35 heurs, mais les gens n’ont jamais été aussi mal au travail. Le repos dominical est une des clés de cette situation. 

Et enfin, interrogeons la question environnementale et sociétale : 

–   Le rapport à l’environnement. L’ouverture des supermarchés le dimanche, c’est plus de déplacements en voiture, plus de nuisances, plus de consommation d’énergie dans les magasins. C’est un modèle dépassé du point de vue de la défense de l’environnement. C’est un modèle qui mise sur toujours plus de consommation, alors que sans vouloir tomber dans la décroissance, nous devons nous interroger sur ce modèle qui est toujours plus consommateurs d’énergie, de matières premières, de ressources naturelles. Un modèle qui détruit la planète et que nous devons réinterroger. 

–   La remise en cause du repos dominical est enfin une question centrale pour notre société. Dans quel monde voulons-nous vivre. Voulons-nous privilégier la vie de famille ou la vie sociale avec les amis déjà fortement mise en cause par nos modes de vie, de déplacement, notre rapport au travail ? Ou voulons-nous préserver ce temps pris en commun sur une journée dans la semaine avec femme, enfants et amis ? Quand organiser des fêtes familiales ? Des moments de convivialités entre amis ? Quand faire du sport et des rencontres sportives ? Quand aller ensemble à la campagne, se promener, aller au spectacle ? Au musée ? Le dimanche c’est aussi tout ça.

–   C’est la question du modèle de société qui est posée. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Vers quelle modèle de civilisation voulons-nous aller ? Quelle place pour la consommation ?

Progressivement, on le sent bien, au travers de la télévision et de cette question du rapport au travail, on voudrait remplacer le citoyen par le consommateur. Remplacer la civilisation des loisirs, par la civilisation du caddie.  

La question de la liberté a été avancée. Liberté pour le consommateur de consommer quand bon lui semble. Liberté du salarié de gagner plus et donc de travailler un jour où il est mieux rémunéré. C’est le fameux travailler plus, pour… 

–   Enfin quel est le rôle de la loi ? Est-elle faite pour favoriser la liberté ou les besoins du commerce ? Le commerce a-t-il besoin de cela ? La loi est-elle faite
pour maintenir ou imposer un modèle de société, un mode de vie en commun dans une société ? Deux idéologies s’affrontent. J’ai une préférence pour la protection d’un mode de vie collectif, qui tient compte de la famille, du bien vivre ensemble, avec les amis. Un mode de vie qui laisse le temps au repos partagé, aux loisirs, au sport et à la culture. 

C’est pourquoi, je suis non seulement défavorable à cette loi de 2009 remettant en cause le repos dominical pour bon nombre de salariés qui se voient appliquer le régime dérogatoire au repos dominical. 

Et je suis convaincu que nous devrons revoir dès que possible cette législation  pour interroger ces centaines de dérogations qui ont fini par enlever tout le sens de la loi de 1906. Je plaide pour ma part pour un élargissement progressif du repos dominical. Les familles, la santé, les entreprises, l’environnement et l’économie s’en trouveront mieux à terme.

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